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L’Uruguay ou le football de survie

Par Ruben Curiel, à Santiago de Chile
4 minutes
L’Uruguay ou le football de survie

Privé de son meilleur élément, l'Uruguay s'est présenté au Chili avec un football attentiste, voire ennuyant. Pourtant, le petit pays de trois millions d'habitants est en quarts de finale – face à l'hôte de la compétition – et peut rêver d'une seizième couronne. La force du football « amer » ?

Héctor Scarone et ses innombrables buts. Obdulio Varela et son autorité. Pedro Rocha, buteur aux quatre participations en Coupe du monde d’affilée. Enzo Francescoli, dessinant des arabesques avec le cuir. Álvaro Recoba, son pied gauche et ses coups francs. Diego Forlán et son élégance. Sebastián Abreu et sa folie. Luis Suárez et son excessive avidité. Ces hommes ont démontré (et démontrent encore pour certains) que le football uruguayen ne peut être réduit à l’expression de la « garra charrúa » , la hargne éternelle attribuée à la sélection céleste. Mais sans Luis Suárez, l’équipe entraînée par le maestro Tabárez semble atone, incapable de rayonner. Pourtant, le petit pays coincé entre deux géants du football mondial est qualifié en quarts de finale, et devrait poser une montagne de problèmes au Chili, fervent adepte de l’esthétique et de la possession. Une opposition de style qui aurait ravi Eduardo Galeano, écrivain uruguayen décédé il y a deux mois, et auteur du livre El fútbol a sol y sombra.

L’antithèse de Galeano

Dans cette déclaration d’amour au football, Galeano écrit : « Les années ont passé, et j’ai fini par assumer mon identité : je ne suis rien d’autre qu’un mendiant du beau football. Je parcours le monde et dans les stades, je supplie : « Une belle action, pour l’amour de Dieu. » Et quand le beau football se produit, je remercie le miracle, peu importe le pays ou le club qui me l’offre. » Aujourd’hui, le football proposé par l’Uruguay est l’antithèse parfaite de celui défendu par l’un des plus grands auteurs latino-américains du siècle. Face à la faible Jamaïque, l’Uruguay s’est longtemps heurté à un bloc similaire au leur (avec un certain talent en moins). Contre l’Argentine, les joueurs menés par l’adorateur du combat qu’est Diego Godín ont déçu. Le tant attendu Clásico du Río de la Plata a été débloqué par une anticipation d’Agüero. Enfin, face à des Paraguayens à la philosophie similaire, l’Uruguay semble s’être disputé avec son frère. Acolytes d’un football où le coup de pied arrêté est la ressource principale pour déverrouiller un match, les deux équipes ont offert une succession d’actions infructueuses. Charrúas et Guaranís ont justifié les vers d’Eduardo Galeano, critique d’ « un football de vitesse pure et de force, qui renonce à la joie, atrophie la fantaisie et interdit l’audace » . Pourtant, l’histoire et le destin prouvent que l’Uruguay peut produire ce football de survie. En quart de finale, la sélection d’Edinson Cavani (pour l’instant muet) affrontera le peuple chilien. Une raison de plus pour Tabárez de placer ses soldats sur la défensive. Car c’est souvent dans l’adversité que son équipe se sublime. Les Argentins, qui ont dû observer les « provinciaux » soulever la dernière Copa América chez eux, peuvent en témoigner. Le Chili va donc devoir affronter une équipe regroupée, dans un match placé sous le signe de l’antagonisme. Ce match, qui sera sans doute la plus compliquée des oppositions tactiques de cette compétition, offrira un duel entre Valdivia, un milieu obsédé par la création, et la paire de milieux défensifs chargés de l’empêcher que sont Arévalo et González.

L’Uruguay comme l’Atlético Madrid ?

Mais l’Uruguay peut-il faire mieux ? Óscar Tabárez peut-il aligner une équipe plus portée vers l’offensive ? D’abord, le sélectionneur se retrouve face à une nouveauté difficile à aborder. C’est la première fois depuis longtemps que l’Uruguay ne voit pas Suárez et Forlán combiner, ce qui contraint le coach en place depuis presque dix ans à gribouiller un schéma d’attaque où Cavani et Rolán semblent égarés. Le onze de départ ressemble donc souvent à une accumulation de joueurs qui incarnent cette fameuse « garra charrúa » , tels que Carlos Sánchez, Godín, José María Giménez ou les deux milieux défensifs cités précédemment. D’ailleurs, le capitaine uruguayen déclarait en conférence de presse « qu’il y avait beaucoup de similitudes entre le jeu de l’Atlético Madrid et de l’Uruguay » . L’Uruguay serait donc une sorte d’ersatz de l’équipe entraînée, voire créée, par Diego Siemone ? Ou est-ce peut-être l’inverse ? Toujours est-il que les mêmes ingrédients sont utilisés des deux côtés de l’Atlantique : « travail, sacrifice et humilité » , comme l’explique Diego Godín. Et le capitaine de la Celeste de poursuivre : « Ils sont chez eux, ils ont le devoir de gagner devant leur public. Ils sont devant l’opportunité historique de gagner un titre. Mais nous disputerons ce match comme une finale. » Ce discours, qui ressemble aux banalités de conférences de presse d’avant-match, prouve tout de même que l’adversité est le principal ressort moral de la sélection uruguayenne.
Sans Luis Suárez, l’idole du peuple, l’Uruguay doit impérativement revenir à ses origines pour optimiser ses chances de conserver sa ceinture de champion acquise en 2011. Car, comme l’écrivait Eduardo Galeano : « L’histoire du football est un triste voyage du plaisir au devoir. » Et il est grand temps que le plaisir reprenne le dessus.

Edoardo Bove : et maintenant ?

Par Ruben Curiel, à Santiago de Chile

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