- Lois du football
Lukas Brud (Ifab) : « Je doute que le principe même de la loi sur le hors-jeu changera »
Ces dernières semaines, certaines personnalités du football ont appelé, en réponse aux polémiques nées de la vidéo, à un changement de la règle du hors-jeu. Mais aucun changement ne sera apporté sans que l'International Football Association Board (Ifab), l'organisme qui édicte les lois du football, n'ait donné son accord. Entretien vérité avec son secrétaire général, Lukas Brud.
De plus en plus de personnes dans le monde du football appellent à une modification de la loi du hors-jeu à la suite des différentes polémiques nées de l’utilisation de la VAR. Est-ce que vous pensez que ça peut vraiment arriver ?Ce qui peut être fait dans les années à venir est très compliqué à évaluer. Le hors-jeu, ça a fonctionné pendant des années, et désormais, avec la vidéo, c’est un nouveau défi qu’il faut relever. Mais je ne pense pas que ce défi concerne la loi en elle-même, je pense qu’il concerne l’acceptation de la part du public que l’on dispose désormais d’un outil qui nous permet de prendre des décisions très précises. Dans le passé, quand un arbitre assistant signalait très justement un hors-jeu de quelques centimètres, on le félicitait. Maintenant, on a la capacité d’être encore plus précis. Je comprends les débats que cela suscite, mais il va falloir s’y habituer. Et je peux vous assurer que dans certains pays qui utilisent la vidéo, cette évolution est très bien reçue. Je doute que le principe même de la loi changera, mais il est possible que l’on y apporte quelques ajustements. Une chose est sûre, ça ne sera pas cette année.
Le directeur général de la Premier League Richard Masters évoquait la possibilité d’introduire dans la loi un degré de tolérance. Est-ce vraiment réaliste ?On ne peut pas vraiment introduire de tolérance dans la loi. Ça n’a pas vraiment de sens. Mais l’idée d’une tolérance, c’est de couvrir une certaine marge d’erreur. Et cette marge d’erreur ne vient pas de la technologie, mais de son utilisation. Les lignes de hors-jeu que l’on voit à la télévision ne sont pas des indicateurs automatiques, ce sont des outils manuels destinés à aider l’arbitre à identifier la position de hors-jeu. Dans la mesure où c’est un humain derrière la machine, il y a toujours une dose d’erreur, donc toujours un degré de tolérance.
Quand la VAR a été introduite, est-ce que vous vous attendiez à ce qu’elle ait un tel impact et provoque autant de débats ?On savait que ça allait provoquer des débats.
En ce qui concerne le hors-jeu en particulier, je ne m’y attendais pas forcément. Mais évidemment, on ne s’attendait pas à tout régler avec la vidéo. Nous en avons parlé avec de nombreux responsables d’autres sports qui utilisaient déjà la vidéo. Et je n’oublierai jamais ce que l’un d’eux m’avait dit à la sortie d’une réunion : « Si tu crois qu’il n’y aura plus aucun débat le lundi matin grâce à la vidéo, tu te fourres le doigt dans l’œil. »
Est-ce que vous avez le sentiment que la technologie est utilisée différemment selon les pays ? Par exemple, qu’on ne se sert pas de la VAR de la même façon en Angleterre qu’en France ou en Allemagne ?Je ne crois pas qu’il y ait une grosse différence de façon générale. Il y a un protocole, qui est le même pour tout le monde, et les pays l’appliquent en fonction de leur façon de jouer au football. Après, concernant la Premier League, cela peut aussi être une question de perception, qui peut s’expliquer par plusieurs choses. Déjà, c’est leur première saison complète avec la VAR. Les médias britanniques et à travers le monde portent une attention particulière à la Premier League, donc il y a certainement plus de discussions autour d’elle que des autres championnats. Il pourrait aussi y avoir plus de décisions liées au hors-jeu en Angleterre qu’ailleurs. En Allemagne par exemple, ça n’était pas vraiment un sujet de discussion jusqu’à ce que Mario Gómez se voie refuser six buts pour hors-jeu par décision de la VAR en trois matchs (contre Darmstadt, Nuremberg et Sandhausen, en décembre dernier, N.D.L.R.). Et oui, ça a fait débat. Mais d’un autre côté, toutes les décisions la concernant ont été correctement prises. Enfin, durant la phase d’expérimentation de la technologie, nous avons remarqué que, statistiquement, il y a plus d’interventions de la VAR la première année que les suivantes, notamment parce que quand on introduit quelque chose de nouveau, on s’attend à ce que ce soit utilisé.
La Fédération italienne souhaite introduire des recours (challenges) à la vidéo déposés par les entraîneurs pour réguler son utilisation. Est-ce quelque chose que vous envisagez ?On a évoqué la possibilité des challenges au tout début, avant même la phase d’expérimentation. Mais nous sommes tous tombés d’accord pour l’écarter. Nous avions deux groupes de travail très expérimentés pour nous conseiller, composés de joueurs, d’entraîneurs et d’arbitres, et tous nous ont dit la même chose : qu’est-ce qu’on veut faire avec la VAR ? Aider les arbitres, pas « challenger » leurs décisions. Au niveau professionnel, il y a une équipe d’arbitres qui sont assis dans une salle avec un accès à de nombreux angles de caméras et qui peuvent tout vérifier. Alors en quoi des challenges déclenchés par les entraîneurs apporteraient quelque chose ? Comment est-ce que l’entraîneur, depuis son banc, peut avoir vu quelque chose que les arbitres vidéo ne voient pas ? C’est un outil pour aider les arbitres, pas pour permettre aux entraîneurs de contester leurs décisions.
Concernant ces décisions, justement, pas mal de supporters aimeraient bien voir dans le football le même système qu’au rugby, avec des arbitres équipés de micros qui nous permettraient d’entendre leurs discussions avec les joueurs. Est-ce que c’est une chose à laquelle vous réfléchissez ?Nous l’envisageons, oui, mais uniquement en rapport avec la VAR. Les premières années d’utilisation de la VAR, nous nous sommes concentrés sur l’application correcte du protocole. Aujourd’hui, nous avons le sentiment, au regard des nombreux débats fondés sur une pure incompréhension des décisions des arbitres, que nous devons chercher à améliorer la communication sur ces décisions. Nous sommes d’accord que si le public sait ce qu’il se passe, il accepterait mieux les décisions. Beaucoup de gens ne comprennent également pas bien les Lois du Jeu, ni le type de latitude dont dispose parfois l’arbitre, ni les bases sur lesquelles il prend une décision. Donc oui, nous examinons la question, mais à quel niveau et comment cela pourrait-il se présenter ? Tout ce que nous faisons a généralement des conséquences non voulues, que nous devons minimiser. Pour le moment, nous essayons de comprendre ce que font les autres sports, quelles ont été leurs expériences et les bonnes et mauvaises choses qui en ressortent.
Le protocole lié aux commotions cérébrales sera également au centre de la prochaine réunion annuelle de l’Ifab (le 29 février prochain à Belfast). Peut-on s’attendre à des annonces prochainement ?Malheureusement, pas encore. Ce sujet est beaucoup plus complexe que quiconque n’aurait pu l’imaginer. Les recherches en cours ne sont pas encore concluantes. Il existe de nombreux rapports et de nombreux points de vue différents, même médicaux, sur les différentes questions liées aux commotions. Pour nous, la sécurité des joueurs est primordiale, mais nous devons également veiller à préserver l’intégrité du jeu. Nous voulons nous assurer que tout ce que nous introduirons dans la loi à l’avenir sera basé sur des faits clairement établis. Mais je peux vous dire que nous travaillons sans relâche sur ce sujet. Nous avons eu récemment une réunion du groupe d’experts sur les commotions, et je reviens tout juste des États-Unis où j’ai pu parler à des responsables d’autres sports de la façon dont ils travaillent sur ce sujet. Nous ne retardons pas les choses, mais nous ne voulons pas être mis sous pression et prendre une décision qui ne serait pas optimale.
Les remplacements temporaires pourraient-ils par exemple être envisagés ?Il est clair que le remplacement apparaît comme la voie à suivre. Si un joueur a une commotion cérébrale, il doit être remplacé, comme pour tout autre blessure. Après, une commotion, ça ne se voit pas, et les symptômes peuvent être retardés, parfois de 30 minutes, parfois d’une journée entière. Mais vous pouvez envisager le remplacement sous différents angles. Les remplacements temporaires peuvent protéger un joueur, on le fait sortir puis le faire revenir. Ou bien il y a un remplacement permanent, avec une prise de position forte : s’il y a le moindre soupçon, on sort le joueur.
Et cela ne compterait pas comme l’un des trois remplacements autorisés ?C’est à l’étude actuellement. Nous devons d’abord comprendre le point de vue médical à ce sujet. Mais il y a tellement de points de vue différents…
Nous essayons d’identifier un « chemin dégagé » pour le football sur cette question, en matière de niveaux de connaissances dont nous avons besoin pour prendre des décisions appropriées au football. Différentes options seront testées et examinées, afin que nous puissions introduire quelque chose dans la loi au plus tôt en 2021. Pas avant. Encore une fois, nous n’avons pas besoin de pression : nous avons besoin de temps.
L’année dernière, de nombreux changements ont été apportés aux lois du jeu. Doit-on s’attendre à d’autres changements majeurs pour la saison prochaine ?Non, nous discuterons cette année des sujets les plus pesants : les commotions et la vidéo notamment. Il n’y aura pas de changements majeurs. Depuis 2016, nous avons complètement modernisé les lois du jeu et nous en sommes arrivés à un point où nous sommes relativement stables. Ce sur quoi nous devons nous concentrer davantage, c’est sur la compréhension des lois par le public. Sur les mains, par exemple, qui sont probablement le plus grand problème du football. Avant, on ne sanctionnait que les mains volontaires. Mais comment peut-on juger de l’intentionnalité ? On ne peut pas se mettre dans la tête des joueurs. Nous avons dû faire d’une immense zone grise une petite zone grise. Il faudra du temps pour comprendre, appliquer et accepter les modifications apportées à la loi sur les mains, mais nous sommes convaincus que c’est l’une des meilleures modifications jamais apportées à une loi, qui est la plus délicate. C’est un bon changement, mais nous devons être un peu plus patients pour que les choses soient appliquées comme elles devraient l’être. Parfois, nous apportons des modifications à la loi et nous estimons, au bout d’un an ou deux, qu’il faut encore les ajuster. Mais je continue de croire que chaque changement est fait pour une bonne raison.
Par Alexandre Aflalo
Propos recueillis par AAF