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Luka Elsner, l’impatient slovène

Par Simon Butel
Luka Elsner, l’impatient slovène

C'est l'histoire d'un type en avance sur son destin. De la Slovénie à Amiens en passant par Chypre et la Belgique, Luka Elsner trace depuis une quinzaine d'années sa voie dans le métier d'entraîneur à vitesse grand V. À seulement 36 ans, le voici déjà quasiment au sommet : sur un banc de Ligue 1, dont il sera le plus jeune coach à la reprise. Une surprise ? Ceux qui l'ont côtoyé parlent plutôt d'une étape.

On devient vieux, paraît-il, quand son joueur préféré est plus jeune que soi. C’est sans doute aussi vrai quand notre nouvel entraîneur – ou celui de notre club préféré – est plus jeune que nous. Ou pour ceux en qui l’évocation du patronyme Elsner ramène le souvenir de Marko, défenseur slovène qui fit les beaux jours de l’OGC Nice au carrefour des eighties et des nineties. Pour tous ces gens-là, le coup a été doublement dur, le 19 juin 2019, date de la nomination d’un dénommé Elsner sur le banc de l’Amiens Sporting Club. Parce qu’il ne s’agissait pas de Marko, mais de son rejeton Luka, 36 ans. Foutu temps qui passe.

Vieux parmi les jeunes, jeune parmi les vieux

Luka Elsner a donc 36 ans, ce qui est jeune pour un entraîneur, qui plus est en France, où l’âge moyen – en hausse par rapport à 2016 – sur les bancs de Ligue 1 était de 53 ans en novembre dernier. Mais à 20 ans, déjà, il posait des questions de daron, si l’on en croit Serge Targhetta, son coach d’alors en équipe réserve à Cagnes-sur-Mer (2000-2004), en DHR. « Il aimait déjà tout savoir, rembobine celui qui est aujourd’hui le directeur sportif de l’US Valbonne (D2 Côte d’Azur). On discutait après les séances, en particulier les séances physiques, puisqu’il préparait un diplôme de préparateur physique. Il cherchait à comprendre et était toujours à l’écoute. Tu peux faire ce que tu veux de ton entraînement, certains s’en foutent. Lui, il avait cet intérêt que d’autres n’ont pas, à son âge. » Une curiosité décuplée en Slovénie, son pays natal, où il a effectué l’essentiel de sa carrière pro (au NK Domžale, où il a évolué entre 2004 et 2010 et de 2010 à 2012). Mais aussi en Autriche, où il a fait une pige en 2010 à l’Austria Kantërn, côtoyant un certain Jocelyn Blanchard. Capitaine du club autrichien cette année-là, l’ancien Lensois et Messin dresse lui le portrait d’un équipier « très pro, très rigoureux » , à la « condition physique exceptionnelle » , et qui aurait donc « pu jouer quelques années encore » .

Mais à tout juste 31 ans, Elsner a raccroché pour embrasser avant l’heure sa deuxième vie, celle d’entraîneur. Une évidence pour Blanchard : « Il était quasiment destiné à faire ce métier, car il avait déjà cette capacité à comprendre les aspects tactiques » . Moins pour Targhetta : « Chez les jeunes (Elsner entraînait les U11 de l’US Cagnes), j’ai senti qu’il avait quelque chose, mais de là à le voir aller si loin… Je ne l’imaginais pas faire ce métier-là. » Ce métier, le Slovène l’a donc apprivoisé dans son club de presque toujours, Domžale, dont il a rapidement été catapulté coach principal en 2013 et occupé le banc durant trois saisons. Concluant son premier exercice avec une moyenne de points doublée par rapport à son prédécesseur (1,41 contre 0,75), et conduisant son équipe deux fois sur le podium de la Prva Liga Telekom Slovenije (en 2015 et 2016). Performance rééditée la saison suivante dans la capitale, à l’Olimpija Ljubljana, l’un des deux gros clubs slovènes avec le NK Maribor, où il a brillamment pris le relais de l’Italien Rodolfo Vanoli, bouclant son passage dans sa ville natale avec un bilan coquet de 2,21 points par match.

Des chiffres et des lettres

Pourquoi ces chiffres ? Parce que l’homme en est mordu, dit-on, au point, à l’image de ce qui se fait dans certains sports US, de faire des statistiques un véritable critère d’embauche. Lequel passe aussi parfois par les sites de recrutement, de LinkedIn à foot-national, plateforme via laquelle il a déniché le milieu normand Benjamin Morel en 2014 ou le gardien varois Antonin Trilles en 2015. Une méthode originale, certes, mais qui dénote surtout, selon Blanchard, de la capacité du technicien à s’adapter aux moyens mis à sa disposition et à en tirer le maximum, ce qui est plutôt bienvenu quand on s’apprête à rejoindre le 13e budget de L1 la saison passée. Pour le reste, que sait-on du Slovène ? Qu’il a vécu et évolué à Nice et supporte le Gym, au point de jouer durant sa carrière avec un tee-shirt de supporters des Aiglons sous le maillot. Qu’il est donc totalement francophone, entre autres langues au répertoire. Qu’il compte une sélection avec la Slovénie (en 2008), et que sa famille est à peu près au foot slovène ce que les Laudrup sont au foot danois. Que la littérature et Napoléon le passionnent, et qu’il a fait installer une bibliothèque dans la salle de détente de l’Union Saint-Gilloise, avec qui il a frôlé l’accession en D1 belge en mai dernier.

Et côté sportif ? Le mieux est encore de tendre le micro aux joueurs qui l’ont connu. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’homme fait l’unanimité dans le bon sens du terme, de Blanchard à Morel en passant par Antonin Trilles ou Ismael Kandouss, défenseur qu’il a eu sous ses ordres en Belgique ces six derniers mois. De l’aveu général, le Slovène aime s’appuyer sur une base défensive solide, rigoureuse. Mais aussi et surtout avoir la possession et proposer du jeu, ce qui se traduit à l’entraînement par un travail athlétique conséquent, et sur le pré – dans la mesure du possible – par un bloc haut et un pressing tout terrain intense dès la perte de balle, pour limiter les courses. Au-delà de ces principes de jeu, tous évoquent un technicien ouvert, passionné, travailleur, exigeant, novateur, curieux et humble. Un homme avide de progresser et réussir, se remettant sans cesse en question et ayant le souci du moindre détail, comme par exemple sur les coups de pied arrêtés. Un coach tout en nuances : proche de ses joueurs, mais à l’autorité naturelle évidente ; calme et serein sur son banc, mais capable de trancher dans le vif, taper du poing sur la table et d’appuyer là où ça fait mal, si besoin.

Rendez-vous en terrain connu

Un type à même, en tout cas, de faire progresser ses ouailles, faire passer un cap à ses équipes et faire évoluer structurellement ses clubs. « C’est un coach qui m’a vraiment fait franchir des paliers, tant sur le plan athlétique que tactique, salue Morel. Il n’est pas figé sur un schéma et arrive toujours à innover et tirer le meilleur de son équipe. » Même son de cloche du côté d’Antonin Trilles, pourtant gardien, doublure et au crépuscule de sa carrière pro à son arrivée en Slovénie : « Il m’a poussé à jouer encore plus haut, à prendre encore plus de responsabilités au pied, et m’a surtout donné une confiance… Le numéro 1 était en place et capitaine, mais il m’a toujours bien considéré et m’a laissé me faire ma place. Il m’a fait grandir en tant que joueur et en tant qu’homme. » « Franchement, j’ai appris beaucoup de choses avec lui, sur le positionnement, la relance, complète Kandouss. Même un match amical, il va le jouer à fond comme un match de Coupe de Belgique. C’est un super coach, qui a fait grandir le club et mérite d’entraîner en Ligue 1. » Avant d’aller voir encore plus haut, en France ou dans un autre pays du Big 5 européen ? « Je ne serais pas surpris » , assure Morel.

Ni surprenante sportivement, ni imméritée pour ses anciens protégés, cette nomination convainc aussi Jocelyn Blanchard, ancien directeur sportif du RC Lens. Dans l’Artois, le profil du Slovène n’était d’ailleurs pas passé inaperçu : « Je l’ai contacté plusieurs fois. Quand on cherchait des entraîneurs pour différents postes, je l’ai toujours mis sur les listes. Il fait partie de ces entraîneurs jeunes, neufs et qui progressent sur lesquels il faut miser. » Reste désormais à convertir tous ces heureux présages en points. Car en dépit de son expérience et de sa fraîcheur, Luka Elsner le sait : c’est sur l’autel des résultats qu’il sera jugé. « Il a la chance d’aller dans un club où on sera un peu plus patient qu’ailleurs avec lui, estime Serge Targhetta. Mais il ne faut pas qu’il fasse un mauvais départ. S’il perd ses trois premiers matchs… » Quitte à n’en perdre qu’un, autant que ce soit le premier, au fond : le 10 août, c’est à Nice qu’Elsner connaîtra sa première officielle sur le banc amiénois. Tee-shirt des Aiglons sous la chemise ? Pas sûr. Ce qui l’est plus, c’est que certains sur la Côte vont prendre un sacré coup de vieux ce jour-là.

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Par Simon Butel

Tous propos recueillis par SB

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