En 1986, vous débarquez au Mexique en étant champions d’Europe en titre. Est-ce que vous arrivez plus confiants pour la compétition ?
C’est vrai qu’en 1986 on venait de gagner l’Euro, il ne faut pas oublier que l’équipe de France avait également terminé 3e de la Coupe du monde 1982 en Espagne (4e en réalité, ndlr), donc oui, tu ne peux arriver qu’avec plus de confiance et de maturité. Donc quand on arrive au Mexique, on a des certitudes, on sait qu’on a un groupe qui a les forces pour faire quelque chose de beau à la Coupe du monde.
Vous parlez des forces de l’équipe, c’est vrai qu’à cette époque, il y a une sacrée équipe entre Platini, Bats, Giresse, Papin, Amoros, Rocheteau, vous…
C’est vrai qu’on a une grosse équipe, mais il ne faut pas oublier que cette année-là, il y a l’Argentine de Maradona, le Mexique qui joue à domicile et qui est très fort, le Brésil, je ne t’en parle même pas. Il y avait quand même de gros clients en face. Et puis une Coupe du monde, il faut surtout être prêt physiquement et dans sa tête. Tu sors d’une saison entière, ce n’est pas toujours évident d’être top, même si un tel événement te permet de te transcender. Une compétition comme celle-là ne se joue pas que sur le physique, il faut que la tête et la confiance suivent, si ce n’est pas le cas, ça peut poser problème.
D’ailleurs, au début de la compétition, on vous attendait plus forts que ça, avec une courte victoire contre le Canada (1-0) et un nul contre l’Union soviétique (1-1) ?
C’est vrai que le début a été difficile, mais il faut bien penser qu’il y a le changement climatique, l’adaptation à l’altitude qui est délicate, on avait énormément de mal à respirer. Et puis, comme je te disais, tu sors d’une grosse saison avec ton club, il y a forcément de la casse, c’est inévitable. Après, l’essentiel, c’était de gagner le premier match, et on l’a fait. Derrière, le nul contre les Russes, ça reste un bon résultat, car on les avait vus entrer dans la compétition
en mettant six buts à la Hongrie.
D’ailleurs, pour ce nul contre eux, c’est vous qui égalisez et qui entretenez l’espoir de la qualification. Est-ce que vous vous souvenez bien de ce but ?
Ouais, je me souviens surtout de la passe de Giresse. L’avantage de jouer avec des joueurs comme ça, c’est qu’ils ont la faculté de vous trouver tout de suite, il suffisait de faire un appel et ils vous servaient dans les meilleures conditions. Le ballon arrivait exactement là où tu l’attendais. Sur mon but, j’ai la chance de bien réussir mon contrôle ce qui fait qu’après je n’ai plus qu’à le mettre hors de portée du portier.
Un but en Coupe du monde, ça a une saveur particulière ?
Quand tu marques un but en Coupe du monde c’est incroyable, oui. En plus, là c’était contre l’URSS qui était, à l’époque, l’une des grandes nations du football. Quand tu marques dans une telle compétition, c’est quand même un moment particulier, je peux te le dire, même si je n’en ai pas marqué beaucoup (rires), puisque j’ai mis celui-là, et un tir au but contre le Brésil en quarts. Mais c’est bien, c’est quelque chose qui restera, je suis content d’y être arrivé.
La suite de la compétition est remarquable, puisque vous sortez de votre poule, vous éliminez l’Italie, tenante du titre, en huitièmes. Et puis, bien entendu, il y a ce fameux quart de finale contre le Brésil qui est considéré, encore aujourd’hui, comme l’un des plus beaux matchs de l’histoire. Parlez-nous de ce match.
Le Brésil était en train de réaliser une belle Coupe du monde, ils avaient une équipe formidable qui enchaînait les bons résultats. C’était clairement les favoris pour gagner cette Coupe du monde, de toute façon. En plus, au bout d’une quinzaine de minutes de jeu, ils nous plantent un but qui nous a fait mal à la tête. Un but d’une rapidité d’exécution et d’une finesse remarquables. Ensuite, on arrive à revenir grâce à Michel (Platini) juste avant la mi-temps. La deuxième mi-temps est vraiment remarquable avec des actions des deux côtés, un ballon qui va d’un camp à l’autre, c’était un match assez spectaculaire.
Ça reste, pour vous, le plus beau match auquel vous ayez participé ?
Oui, clairement ! On a quand même tenu tête à une équipe qui jouait formidablement bien au football. Et puis ce match avait tous les ingrédients des grands matchs : de la qualité, du suspens, du jeu, des occasions. Ça reste un match référence, pour moi. Tu as le but du Brésil qui est à montrer dans les écoles de football, et puis nous qui avons su relever la tête. En plus, sur le terrain comme en tribunes, l’ambiance était remarquable. C’était vraiment le match parfait, le genre de match pour lequel on aime le football, finalement.
Quand on arrive à accrocher la séance de tirs au but après un tel match, on se dit que c’est clairement jouable, qu’on va le faire, non ?
De toute façon, pour moi, les tirs au but, c’est pile ou face. Je pense même qu’il faudrait arrêter de les faire tirer, c’est vraiment horrible. Quand tu es du bon côté ça va, mais quand t’es de l’autre c’est affreux. Bon voilà, après 120 minutes de jeu, il te faut bien un vainqueur, mais le facteur chance reste trop important. Ce jour-là, on aurait dû continuer à jouer, et le premier qui marquait aurait été qualifié…
Bon, tout le monde le sait, c’est vous qui mettez le dernier tir au but, celui de la qualification. Comment vous avez vécu ce moment-là ?
Je n’ai jamais hésité, le plus important, c’est de ne pas se poser de questions. De toute façon, si tu cogites trop, tu ne peux pas y arriver. Après, c’est évident que tu peux toujours le rater, le gardien peut l’arrêter, mais ce jour-là, je n’y suis pas allé avec de la fièvre. En partant, je savais exactement où j’allais le tirer, j’étais décidé. Quand tu tires un penalty, il faut être convaincu ; si tu te mets à hésiter sur où tu vas tirer, ça devient compliqué.
Vous vous souvenez des secondes qui ont suivi ce tir au but décisif, de l’explosion de joie notamment ?
Bah, t’es heureux, forcément. Tu partages ta joie avec tes partenaires, tout le monde est content. On était surtout satisfait d’avoir réussi à éliminer cette grande équipe du Brésil. Après, au niveau de la célébration dans l’instant, c’est toujours pareil : tout le monde se saute dans les bras, on s’embrasse. Et puis après des tirs au but, on saute toujours sur le gardien ou sur le dernier buteur, c’est comme ça. Mais c’était un moment de joie intense, un moment très fort.
Bon, et puis il y a cette défaite en demi-finale. Contre l’Allemagne, encore. Que s’est-il passé ?
Pour être honnête, je pense que notre Coupe du monde s’est arrêtée après le quart contre le Brésil. Ce match contre l’Allemagne, je ne m’en rappelle même pas, pour te dire. Je pense également qu’on a trop joué ce match dans nos têtes, on était peut-être trop dans un esprit de revanche par rapport à ce qui s’était passé en 1982, alors que ce n’était pas le bon état d’esprit à avoir. Mais je te promets, c’est incroyable à quel point je n’ai pas d’images. Je sais qu’on perd 2-0, qu’on n’a pas été bons, et puis voilà. Pour finir, heureusement, on sort par la grande porte en finissant 3es du Mondial ; mais c’est vrai qu’on aurait aimé aller au bout et notamment offrir un duel Platini-Maradona en finale, mais on n’y est pas arrivé.
Vous parlez du match de 3e place. Comment on aborde un match comme celui-là, n’est-on pas encore trop frustré par l’élimination ? Arrive-t-on à lui donner une véritable importance ?
Tu lui accordes de l’importance, car ça te permet de finir sur le podium d’une Coupe du monde, ce qui n’est tout de même pas négligeable. Et puis quand t’y réfléchis, être la 3e nation dans une Coupe du monde, c’est quelque chose de fantastique. Le sélectionneur avait fait tourner un peu pour ce match-là, et ceux qui ont joué ont prouvé que l’on était un groupe uni. Ils ont joué ce match de façon remarquable et ça nous a permis de terminer la compétition par une victoire, donc on était vraiment satisfaits.
Aujourd’hui, quand vous y repensez, vous gardez la satisfaction de terminer troisième d’une Coupe du monde ou la frustration de cette élimination en demies ?
La satisfaction d’avoir fait une grande Coupe du monde, quand même. On a été à la hauteur de l’événement, en sortant les Italiens champions du monde et les favoris brésiliens. Au final, on a fait un beau parcours, et je garde la joie d’avoir terminé 3e de cette grande compétition.
Non, Le Graët ne regrette rien