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Luis Fernandez : « En 1984, rien ne pouvait nous arrêter »

Propos recueillis par Enzo Leanni, avec Chérif Ghemmour
9 minutes

Après un Mondial 1982 aussi encourageant que traumatisant, l’équipe de France aborde l’Euro 1984 à domicile avec un nouveau statut à confirmer, celui de favori. Luis Fernandez porte le maillot bleu pour sa première compétition internationale et se souvient d’une génération dorée portée par les deux Michel, Platini et Hidalgo.

Luis Fernandez : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>En 1984, rien ne pouvait nous arrêter<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

On fête les 40 ans cette année, mais quel est ton premier souvenir lié à l’Euro 1984 ?

C’est le match contre le Danemark en ouverture. On gagne 1-0, mais c’était un match extrêmement laborieux. On était hyperattendus parce qu’on était pays organisateur et qu’on sortait de la belle Coupe du monde 1982. Personnellement, je n’y étais pas donc j’avais aussi cette pression sur mes épaules. On n’a pas pris le Danemark de haut, mais on avait peut-être les genoux qui tremblaient un peu au début face à ces sacrés combattants. Finalement, cette victoire nous lance pour l’Euro qu’on connaît.

Beaucoup racontent que l’arrivée de Michel Platini au stage de Font-Romeu juste avant l’Euro avait galvanisé les Bleus. Tu confirmes ?

Il venait d’être Ballon d’or, il est aussi champion d’Italie avec la Juventus cette saison-là, son arrivée a permis de nous donner confiance. On savait qu’on jouait gros, avec de la pression, et le fait de compter sur le meilleur joueur du monde aide forcément pour aller faire quelque chose de grand. J’ai toujours aimé être à ses côtés. Une fois, lors d’une réunion, il a défendu avec conviction l’intérêt de ses coéquipiers. Il n’était pas juste un leader technique, il a toujours été dans le partage. C’est un peu comme l’Argentine avec ou sans Maradona, avec ou sans Messi, le Brésil avec ou sans Pelé quoi. En revanche, il n’y avait pas que Michel, je ne vais pas tous les citer, mais c’est la génération de Giresse, Tigana, Lacombe, Rocheteau, Bossis… Eux ont connu les débuts de l’aventure avec Michel Hidalgo durant les Coupes du monde 1978 et 1982, donc t’es obligé d’afficher la volonté et l’envie du favori à l’Euro. J’ai essayé de m’inspirer d’eux.

Ça fait quoi de commencer la compétition dans « ton » Parc des Princes ?

Je connaissais très bien ce terrain, ses mesures, l’atmosphère, j’ai eu l’honneur d’y commencer ma carrière. Mais là, ce ne sont pas les supporters du Paris Saint-Germain, ce sont ceux de l’équipe de France avec une ambiance différente. Ça m’a donné une confiance totale d’affronter le Danemark au Parc.

On se sentait responsables, vis-à-vis de Michel Hidalgo, de lui redonner tout ce qu’il nous avait transmis, on ne voulait pas le décevoir.

Luis Fernandez

Le match face à la Belgique en phase de groupes (victoire 5-0 à la Beaujoire) est souvent présenté comme le plus réussi de l’ère Hidalgo. Que s’est-il passé pour rendre une copie aussi parfaite ?

C’est notre match référence. On a galéré contre le Danemark, mais cette fois on se lâche, on joue, on attaque comme on sait faire. Surtout que c’est une grande équipe de Belgique, avec une belle génération, et elle n’a jamais existé contre nous. Le groupe se sentait de mieux en mieux, on était libérés. Je pense qu’on se sentait responsables, vis-à-vis de Michel Hidalgo, paix à son âme, de lui redonner tout ce qu’il nous avait transmis, on ne voulait pas le décevoir. C’était un régal de travailler avec lui, ses causeries étaient toujours intéressantes. Il m’a toujours inspiré au niveau tactique, mais aussi au niveau humain avec ses joueurs. On ne parle pas beaucoup de son rôle de meneur d’homme, mais il avait aussi cette aisance et cette facilité remarquables.

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C’est aussi la victoire des cinq milieux et de ton positionnement, sur le papier, au poste de latéral.

Je commence effectivement arrière droit parce que Michel Hidalgo m’avait demandé de prendre la zone de Franky Vercauteren, un attaquant très actif, un peu le Platini belge avant Enzo Scifo qui était encore jeune. J’ai travaillé ça à l’entraînement, mais il aurait pu me mettre arrière gauche, avant-centre ou gardien : tant que je jouais pour l’équipe de France, j’étais heureux. Le match était tellement parfait de notre part que j’ai pu monter pour marquer sur une passe d’Alain Giresse.

Ça fait quoi de marquer sous le maillot bleu dans une telle rencontre ?

Tu sais, c’est quelque chose de grand par rapport à un pays qui m’a accueilli, avec mes frères, mes sœurs et ma maman. Je suis sorti du quartier pour aller jouer au Paris Saint-Germain, je me suis retrouvé avec les meilleurs joueurs du monde, mais je me suis toujours dit : « Tais-toi, joue là où on te dit d’aller et fais tout ce que l’entraîneur te demande. » Donc ce but à l’Euro 1984 est un souvenir gravé à vie, et c’est le moment où je me dis que je peux peut-être être un joueur plus influent aussi comme j’ai pu l’être en 1986.

Tigana avait une élégance et une facilité technique folles, Giresse était un super passeur, Platini était soit de la dernière passe, soit du but, et je n’ai jamais souffert d’être le besogneux, au contraire je trouve ça valorisant d’avoir pu les soulager.

Luis Fernandez

Michel Platini plante justement un triplé…

(Il coupe.) Et il en remet un direct après dans le troisième match de groupe face à la Yougoslavie. Michel était en feu pendant toute la compétition, et la victoire porte évidemment son empreinte. Je ne sais pas s’il gardera le record de buts, j’espère que si parce que ce record est aussi collectif, mais il faut noter qu’il en a marqué neuf en cinq matchs. Aujourd’hui, si tu vas en finale, tu joues sept matchs, donc t’as plus de chances d’y arriver, et pourtant personne ne l’a approché.

La demi-finale contre le Portugal se joue dans un Vélodrome en fusion, vous sentiez que le pays était derrière vous comment rarement jusque-là ?

Il y avait une ambiance de fou dans tous les stades. Quand tu joues à La Beaujoire, Geoffroy-Guichard, le Parc des Princes ou le Vélodrome, tu te laisses emporter par la ferveur. Ça fait parfois peut-être faire des erreurs, comme contre la Yougoslavie (les Bleus sont menés à la pause et Michel Hidalgo leur passe un savon pour une victoire finale 3-2, NDLR) où on a cru qu’on était déjà champions d’Europe, mais je n’ai jamais revécu ces ambiances dans la suite de ma carrière. Cette compétition a peut-être fait changer quelque chose au niveau du public en France. J’ai envie de lui dire merci, parce qu’il nous a aidés à gagner l’Euro. Zizou, qui était ramasseur de balle sur le match à Marseille contre le Portugal, m’a dit qu’on avait donné quelque chose de fort ce jour-là, surtout au vu du scénario.

Justement, c’est la première fois que vous doutez vraiment lorsque le Portugal mène 2-1 en prolongation. As-tu senti le traumatisme de Séville remonter à la surface ?

Non, non, non ! On est menés, certes, mais je pense qu’on a moins douté que contre le Danemark. Après les matchs qu’on sort contre la Belgique et la Yougoslavie, en plus avec un buteur comme Michel Platini, tu ne peux pas douter parce que tu sais que tu finiras par gagner. On était dans la dynamique de la confiance, du jeu et de la victoire. Pour que Jean-François Domergue, un défenseur, marque deux buts, c’est que vraiment rien ne pouvait nous arrêter.

Tu repasses au milieu pour ce match avec Giresse, Tigana et Platini, est-ce la meilleure période du carré magique ?

Il ne fallait pas oublier Bernard Genghini qui a fait de super choses et qui était encore là à l’Euro. Sur ce carré magique de 1984, on avait chacun une attribution pour faire mieux qu’en 1982. J’avais peut-être le rôle le plus dur à réaliser, celui du bon complément, parce qu’on avait une équipe très joueuse et qu’il fallait récupérer derrière. Il manquait peut-être ce joueur un peu moins technique par le passé. Tigana avait une élégance et une facilité technique folles, Giresse était un super passeur, Platini était soit de la dernière passe, soit du but, et je n’ai jamais souffert d’être le besogneux, au contraire je trouve ça valorisant d’avoir pu les soulager. C’était un cadeau de la providence de jouer avec eux.

En finale, je me suis fait pas mal insulter, les Espagnols m’ont traité de traître pour essayer de me déstabiliser.

Luis Fernandez

La finale est particulière pour toi en raison de ta double nationalité franco-espagnole. Comment abordes-tu la rencontre ?

J’ai su que ça allait être spécial dès qu’on a appris, le lendemain de notre demi-finale, que ça allait être l’Espagne en finale. Mais je l’ai abordé avec le coq sur le maillot parce que mon pays, c’est la France. J’étais fier de chanter La Marseillaise ce jour-là. Sur le terrain, je me suis fait pas mal insulter, les Espagnols m’ont traité de traître pour essayer de me déstabiliser. Beaucoup m’ont dit ensuite : « Ça n’a pas marché parce que tu es resté digne et tu as fait le match parfait pour remporter le trophée. » C’est un beau compliment.

Sur le coup franc de Platini contre l’Espagne, la boulette d’Arconada se passe sous tes yeux… (Il coupe.) Ça me fait mal au cœur et ça me rend heureux en même temps. Ça me rend toujours triste de voir un gardien se faire surprendre, mais encore plus quand c’est Luis Arconada qui est quelqu’un que j’ai admiré en Espagne et en club. J’aurais préféré que le coup franc de Michel aille directement en lucarne.

Qu’est-ce qui te passe par la tête lorsque Bruno Bellone inscrit le but du 2-0 dans le temps additionnel ?

Jeannot (Tigana) fait la même accélération que contre le Portugal et on sait dès le départ que ça va aller au bout. Il envoie une super passe dans la course de Bruno qui a la lucidité de lober Arconada. À ce moment-là, on est heureux, libérés.

On se dit qu’on a marqué à jamais l’histoire du pays ?

Pas vraiment parce qu’il y a eu la génération de Raymond Kopa et Just Fontaine. Après, on est les premiers à ramener un titre, en plus en France. Notre génération a amené un renouveau avec les Coupes du monde 1982 et 1986, cet Euro 1984 et les Jeux olympiques de Los Angeles. On a donné de la joie et on a permis à d’autres de s’engager par la suite, notamment ceux de la génération 1998. Ça fait 40 ans cette année et on ne peut pas nous effacer… Même si, en France, on n’a pas la culture des anciens. Je pense qu’en Espagne, en Italie ou en Allemagne, on serait encore invités pour voir des matchs de la sélection, mais ici ce n’est pas le cas. Je ne sais pas s’il y a un événement de prévu prochainement, ce n’était déjà pas exceptionnel pour l’hommage à Michel Hidalgo. Ce n’est pas à moi de m’en occuper, c’est à la Fédération.

 


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