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Les entraîneurs doivent-ils faire preuve de pédagogie avec le monde extérieur ?

Par Clément Gavard

Dimanche dernier, Luis Enrique a répondu avec véhémence à une question posée par un journaliste après la victoire du PSG à Rennes, entretenant sa relation tumultueuse avec la presse en général. Mais les entraîneurs ont-ils vraiment une mission de pédagogie avec le monde extérieur ?

Les entraîneurs doivent-ils faire preuve de pédagogie avec le monde extérieur ?

Luis Enrique n’est pas le premier, et ne sera pas le dernier non plus, à ne pas goûter une question posée par un journaliste et à le faire savoir. Dimanche dernier, le technicien espagnol est rentré dans le lard d’Alexandre Ruiz, lors de l’émission Free Ligue 1, après une interrogation plutôt banale sur les axes d’amélioration du PSG à la suite de la victoire sur la pelouse de Rennes. La séquence a fait parler, sans doute trop. Elle intervient aussi dans la continuité d’un constat observé par certains suiveurs du club de la capitale. Luis Enrique prendrait de haut les journalistes et ne serait pas très enclin à leur expliquer ses choix tactiques, comme sa mise en place du 4-2-4 à Newcastle. Il a le droit de penser qu’il n’a pas de comptes à rendre à un parterre de journalistes, et il n’aurait pas vraiment tort. Reste cette question, encore une, en suspens : les entraîneurs ont-ils pour mission de faire preuve de pédagogie avec « le commun des mortels » ?

Un équilibre entre la pédagogie et le secret

Le passage obligatoire devant la presse, avant et après les matchs, est rarement le moment préféré des coachs, et encore moins l’aspect le plus stimulant de leur métier. « Mais ça en fait partie, pose Julien Stéphan. Je pense aussi que ça peut éviter certains écueils et laisser moins de place à l’interprétation. Plus tu seras pédagogue, mieux ce sera. Au début, je préparais beaucoup cet exercice assez nouveau pour moi, car si tu te rates, ça reste longtemps dans l’esprit des gens. » Les conférences de presse sont de plus en plus observées, la plupart des clubs les diffusant en direct ou en différé. Le discours des entraîneurs est scruté et ne se limite plus à quelques lignes dans le canard du lendemain. « Je suis plutôt pour la pédagogie, je sais que ça intéresse qu’on explique nos choix, assure Olivier Dall’Oglio. Il faut aussi faire attention, tout est décrypté par les staffs aujourd’hui. On regarde tout, on écoute les conférences de presse pour avoir des informations. Le mieux, c’est de ne pas entrer dans les détails. » Ou alors le faire en off, loin des micros. Pas forcément par connivence, mais pour donner des éléments supplémentaires, comme des statistiques précises. Stéphan : «  C’est bon pour tout le monde finalement. Je ne peux pas reprocher à un journaliste de faire un papier ou une analyse sans avoir tous les éléments si on ne lui en fournit pas quelques-uns. Pas tous, bien sûr, mais les bilans statistiques ne dévoilent rien d’hypersecret. Ça se fait dans un souci de pédagogie. »

On a un vestiaire à gérer, les joueurs ont de l’ego, de la susceptibilité. Il y a un devoir de protection par rapport à son groupe. Parfois, la défense n’a pas bien joué et on n’est pas là pour les enfoncer : on sait que le problème est venu de cette ligne, mais on ne va pas le dire.

Olivier Dall’Oglio

Il y a la presse, mais aussi tous les autres. Chaque prise de parole est écoutée par des membres du club, comme le président, et bien sûr par les supporters les plus acharnés. « Il faut en profiter pour communiquer avec l’extérieur. Quand tu réponds à une question, tu ne réponds pas qu’à un journaliste, tu réponds à beaucoup de personnes et tu fais passer des messages par ce biais », confirme Stéphan. Dans l’équation, il ne faut pas oublier les joueurs qui, s’ils ne suivent pas tout ça en direct, peuvent être rapidement informés d’un passage les concernant. Une petite phrase peut être brutale, un silence peut sauver les apparences. Dall’Oglio : « On a un vestiaire à gérer, les joueurs ont de l’ego, de la susceptibilité. Il y a un devoir de protection par rapport à son groupe. Parfois, la défense n’a pas bien joué et on n’est pas là pour les enfoncer : on sait que le problème est venu de cette ligne, mais on ne va pas le dire. » Des remarques tactiques et techniques sont vouées à rester dans l’intimité du groupe, surtout à chaud.

Petites colères, grandes conséquences

Dans ces moments-là, après une victoire ou une défaite, il n’est pas toujours simple d’encaisser des questions, qu’elles soient offensives ou non. L’entraîneur sort de près de deux heures de bouillonnement intense. « On a un peu parlé avec son staff, mais on n’a pas toujours le recul, on est encore un peu dans la rencontre, raconte Dall’Oglio. Ce n’est pas évident d’être objectif. Ça m’est arrivé de monter le ton quand je trouvais une question déplacée, mais sinon on prend sur soi, ça ne fait pas avancer le problème de s’énerver. » Julien Stéphan ne dit pas autre chose : « Ce n’est pas simple d’analyser de manière très juste un match terminé depuis trente minutes, sans l’avoir encore revu. Quand on est au bord du terrain, on a une perception moins bonne que vous en tribune de presse, où il y a plus de hauteur. Après les rencontres, quand il y a de l’émotion, on peut être agacé par une question, mais on doit essayer de faire bonne figure. » 

Les deux entraîneurs, sans banc actuellement, confient pourtant leur préférence pour les interventions après les matchs, où il est davantage question de la rencontre qui vient de se terminer, ce qui permet de revenir plus facilement sur les options choisies au coup d’envoi et au cours de la partie. Chaque coach a connu ce sentiment, celui de devoir s’expliquer face à une personne qui en sait moins que lui, sans être forcément animé par un devoir de pédagogie à cet instant précis. « Avec le PSG, on parle d’un club qui est hyperexposé, pointe Stéphan. Je crois que c’est arrivé à d’autres entraîneurs de connaître des difficultés avec la presse à Paris, donc ce n’est pas uniquement du fait de Luis Enrique. Ça prend toujours des proportions encore plus grandes dans ce type de club. »

Quand on ne parle pas de foot, les gens ne sont pas contents, quand on parle trop de foot, on va te taxer d’arrogance. On est rarement content, finalement.

Julien Stéphan

Parler de jeu, la bonne tactique ? 

Les questions centrées sur le jeu, la tactique, peuvent parfois réconcilier ces deux mondes, où les égos peuvent prendre le dessus sur le reste. Si Luis Enrique aime se présenter avec nonchalance devant la presse, il avait salué une interrogation sur l’utilisation de Vitinha en début de saison, avant de développer son idée. « Quand on lit les journaux, on lit de moins en moins de football. Les gens sont friands des problèmes, des affaires, constate Olivier Dall’Oglio. On parle moins de tactique, alors que c’est l’aspect le plus palpitant pour nous et même pour ceux qui sont des accros du foot chez les journalistes ou les supporters. Je préfère répondre là-dessus, tout en gardant un peu de secret. » Il faut aussi savoir mettre des mots sur des idées de jeu, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Régis Le Bris, à Lorient, fait partie de ceux qui savent le faire. Une faculté peut-être née de son expérience en centre de formation, « où tu as l’habitude de verbaliser auprès des jeunes joueurs et d’expliquer tout ce que tu attends d’eux », témoigne Stéphan.

En arrivant sur le banc du Stade rennais à 39 ans, le Breton de naissance s’était rapidement distingué par sa façon de parler de jeu ou d’expliquer ses choix. Il a connu le revers de la médaille de cette approche, passant parfois pour un donneur de leçons et un jeune prétentieux dans le milieu. « Je sais que ça a été pris de cette manière, mais je ne regrette pas de l’avoir fait, estime-t-il aujourd’hui. Quand on ne parle pas de foot, les gens ne sont pas contents, quand on parle trop de foot, on va te taxer d’arrogance. On est rarement content, finalement. C’était mon ressenti, ma manière d’expliquer le foot, de le voir, de le comprendre. Il faut aussi se blinder, on ne peut pas plaire à tout le monde. » Marcelo Bielsa connaît cette maxime : certains journalistes lui reprochaient de ne pas les regarder dans les yeux, alors que le technicien argentin a la réputation de pouvoir parler de foot et de ses idées pendant des heures. Ce sport n’est pourtant pas toujours rationnel, et le scénario d’une rencontre est parfois difficilement analysable. C’est un peu le parti pris de Paul Le Guen, qui considère ces cours magistraux réalisés dans ce contexte complètement inutiles. « On ne prend pas assez en compte le fait que le foot peut être aléatoire. Il peut se passer des trucs de fou… Comment expliquer des choses complètement illogiques ?, questionne Dall’Oglio. Un entraîneur qui a bien fait jouer son équipe ne sera pas bien noté si elle perd. Aujourd’hui, tout est lié au résultat. » Luis Enrique sait ce qu’il lui reste à faire au PSG : gagner des matchs pour slalomer plus sereinement entre les questions qui ne lui plaisent pas… ou faire son retour sur Twitch, où son compte est toujours suivi par plus de 800 000 personnes.

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Par Clément Gavard

Tous propos recueillis par CG, sauf mention

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