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Luís Castro : « Nous, les Portugais, on est confiants dans notre manière d’entraîner »

Propos recueillis par Vivien Dupont, à Dunkerque
12 minutes

Cette saison, un invité surprise met son grain de sel dans la course à la montée en Ligue 1 : Dunkerque. Son coach, le Portugais Luís Castro (44 ans), nous a reçus pour évoquer son parcours, sa passion pour le football, sa relation avec Demba Ba et la météo dunkerquoise. Entretien avec un homme pour qui le football est un sacerdoce.

Luís Castro : « Nous, les Portugais, on est confiants dans notre manière d’entraîner »

Cette saison, vous êtes en train d’écrire l’une des plus belles pages de l’histoire de Dunkerque (6e du championnat et à 4 points du podium, avant le duel contre Annecy). Vous le ressentez quand vous sortez en ville ? Les gens viennent souvent me voir. Quelqu’un m’a dit : « Coach, ça fait 20 ans que je vais au stade et c’est la première fois que je prends autant de plaisir. Même quand on perd, on essaie quand même de jouer, et ça nous rend fier. » Mais je connais le foot : aujourd’hui tu es le meilleur, demain tu es le pire. Les choses changent très vite.

Comment vous êtes-vous intéressé au football ? Près de chez moi (à Moreira de Cónegos, petite ville du nord du Portugal, NDLR), il n’y avait pas vraiment de club, alors j’ai commencé à jouer dans la rue avec les autres enfants. Puis je suis parti étudier à Vizela, où tout mon groupe d’amis jouait au foot. Ils m’emmenaient aux matchs, on jouait au futsal… Comme j’adorais le sport et le contact avec les jeunes, j’ai voulu devenir professeur d’EPS. Pendant mes troisième et quatrième années d’université, j’allais en cours la semaine, et le week-end, j’entraînais les U6 et U7 de Vizela. À l’époque, je n’avais pas envie de devenir entraîneur professionnel, je le faisais car j’aimais ça.

Quel est votre club de cœur au Portugal ? C’est une question difficile. Le club le plus proche d’où je viens, c’est le FC Vizela (D2 portugaise, NDLR). Je regarde tous leurs matchs. Je m’intéresse aussi beaucoup au Vitória Guimarães et au Moreirense, qui sont aussi basés dans ma région. Mais évidemment, en ce moment, mon club, c’est Dunkerque.

Quelle était votre idole ? J’en ai eu beaucoup. Mon idole de jeunesse, c’était Andrea Pirlo, parce que c’est l’un des joueurs les plus intelligents. Mais pour moi, le meilleur, c’est Ronaldo Fenomeno, le Brésilien. Il peut changer un match à lui tout seul. Au Portugal, il y en a pas mal que j’admirais aussi : Paulo Souza, João Pinto…

Dans votre vingtaine, vous êtes parti en Arabie saoudite. Qu’est-ce que vous êtes allé faire là-bas ? C’était quand j’entraînais les jeunes de Vizela et que j’étais encore professeur d’EPS. Al-Nassr m’a contacté pour être entraîneur des jeunes et coordinateur adjoint de son centre de formation. C’était la première fois que je pouvais faire du football mon métier et m’y concentrer à 100 %. Je me suis dit : « OK, j’essaie et je vois ce que ça donne, je saurai si c’est ce que je veux faire de ma vie. » J’y suis resté un an. J’aurais pu rester plus, mais c’est à ce moment-là que le Vitória Guimarães m’a contacté.

Mourinho a montré qu’on pouvait devenir un grand entraîneur sans avoir été joueur professionnel.

Luís Castro

Avant de devenir entraîneur, vous n’avez jamais été joueur de football professionnel. Vous le regrettez ? Non, aucun regret. Je n’avais aucune chance. Mes parents voulaient que j’étudie, pas que je joue au foot. De toute façon, je n’avais pas le talent pour ça. José Mourinho, dont j’étais très fan dans ma jeunesse et qui lui aussi était professeur d’EPS, a montré qu’on pouvait devenir un grand entraîneur sans avoir été joueur professionnel.

Aujourd’hui, quels sont les entraîneurs qui vous inspirent ? Au-delà de Mourinho, j’aime aussi regarder ce que fait Pep Guardiola. Son Barça a montré à tout le monde qu’on peut gagner avec des joueurs de toutes les tailles, que le foot n’est pas seulement pour ceux qui mesurent deux mètres. J’aimais beaucoup ce que faisait Rúben Amorim au Sporting. Il faut que Manchester United lui laisse du temps. La saison dernière, je regardais pas mal le LOSC de Paulo Fonseca.

Après les jeunes du Vitória Guimarães, s’est ouvert à vous Benfica, sans doute le meilleur club formateur au monde. Qu’est-ce qu’ils font mieux que les autres ? D’abord, je pense qu’ils sont très forts dans le scouting. Ils repèrent les jeunes très tôt et pas seulement à Lisbonne. Au Portugal, ils ont cinq écoles de foot un peu partout : dans le Nord, l’Algarve, la région de Viseu… À leurs 12 ans, les gamins partent pour Lisbonne. Ensuite, ils sont aussi plus concentrés dans la progression du joueur que dans le résultat et la performance collective.

Là-bas, vous remportez la Youth League 2022, avec une rouste 6-0 en finale infligée à Salzbourg. Quel souvenir gardez-vous de ce tournoi ? C’est une compétition qui m’a fait évoluer. On perd la première rencontre 4-0, et je pense que c’est le match le plus important du tournoi. Dans les vestiaires après le coup de sifflet final, je dis aux joueurs : « On sera champions, mais seulement avec ceux qui ont l’envie. » Des fois, il faut prendre des décisions pour le groupe et pas pour une individualité.

Demba Ba m’a fait comprendre que j’étais la personne dont il avait besoin pour son projet, et ça m’a touché.

Luís Castro

Quand Dunkerque vous contacte à l’été 2023, que connaissiez-vous de ce club ? Déjà, c’était la première fois que j’en entendais parler. Je me suis renseigné, et j’ai vu que c’était un promu du National, qui n’avait joué que deux saisons en Ligue 2 durant les 20 dernières années. La première chose que je me dis, c’est que je ne vais pas venir. Car j’ai déjà beaucoup d’autres sollicitations, au Portugal, au Koweït, en Arabie saoudite, en Slovénie, en Espagne… Je sortais du Benfica, un grand club européen à qui j’ai fait gagner la Youth League pour la première fois… J’attendais l’offre que je pensais être la meilleure pour moi. Mais mon agent pense que Dunkerque est un bon projet et que c’est un club qui va beaucoup progresser avec son nouveau propriétaire (Jasper Yildirim). On rencontre Demba Ba (directeur du football de l’USDL, NDLR), et là, je change complètement d’avis. Dès que j’ai discuté football avec lui, je me suis dit : « On y va. »

Comment Demba Ba vous a-t-il convaincu ? D’abord, il m’a montré que le projet était très bien organisé. Ensuite, il ne voulait pas d’un entraîneur pour quelques mois, qui pourrait changer au gré des premières défaites. Beaucoup de clubs m’avaient appelé pour me dire « Tu viens ? », mais lui, il a fait les choses différemment. Demba Ba m’a dit : « OK, j’ai regardé ce match de ton équipe, tu jouais de cette façon-là et c’est ce qu’il nous faut à Dunkerque. » Il m’a fait comprendre que j’étais la personne dont il avait besoin pour son projet, et ça m’a touché.

Aujourd’hui, quelle est votre relation avec lui ? On a une relation très forte. Si j’ai prolongé mon contrat, c’est en grande partie parce que ça fonctionne très bien avec Demba Ba. Si c’était pour l’argent, je ne serais pas ici. Même avant d’avoir discuté d’un sujet, on se rend compte qu’on a souvent la même vision.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en arrivant ici ? Quand je suis arrivé, il y a eu un temps d’adaptation. J’arrive seul, avec un staff déjà en place et que je ne connais pas. Et ils ont fait le maximum pour être tout le temps avec moi. Ils me sont restés fidèles dans les moments difficiles. C’est quelque chose qui m’a marqué, car je connais le foot : il y a des gens bien, mais aussi des vipères. Concernant la ville, c’était compliqué au début. Je viens d’un pays où il y a plus de soleil. Ici, il pleut beaucoup, mais comme je reste beaucoup à la maison, ça va. Aujourd’hui, je me suis adapté et j’aime beaucoup Dunkerque.

Dans La Voix du Nord, votre ancien gardien Arnaud Balijon a dit que vous aviez « une méthode très complète, bien pensée ». Vous pouvez nous décrire un peu la méthode Castro ? Difficile de répondre, car je ne connais que la mienne, je n’ai jamais été adjoint pour pouvoir comparer avec un autre coach. Je dirais que je regarde les caractéristiques de mes joueurs pour les mettre dans les meilleures dispositions. J’ai mes idées, et j’essaie de les adapter à mon effectif. Pour les entraînements, je comprends qu’on dise qu’ils soient un peu différents, car on ne fait que des exercices avec ballon. Pas d’exercices physiques sans ballon. Mais il faudrait plutôt demander aux joueurs ce qu’ils pensent de ma méthode. Je pense qu’ils diraient qu’ils apprécient les entraînements, qu’ils y prennent du plaisir.

Notre projet n’est pas la montée. Il suffit de regarder le budget des gros clubs de Ligue 2 : ils sont capables d’acheter un joueur qui vaut l’intégralité de notre masse salariale annuelle…

Luís Castro

Votre équipe attache beaucoup d’importance aux sorties de balle propres depuis l’arrière. Est-ce que l’on peut se permettre de prendre des risques à la relance en Ligue 2 ? C’est cette façon de jouer que j’apprécie. Quand je vais au stade en tant que supporter, j’aime beaucoup regarder les équipes qui jouent comme ça, de manière offensive et qui maîtrisent le match. Je pense être un coach qui fait le maximum pour que les supporters soient fiers de leur équipe. Et les joueurs prennent aussi plus de plaisir en jouant comme ça. De toute façon, si tu dégages le ballon, tu prends aussi un risque : tu risques de le perdre.

Vous pourriez jouer de cette façon sans un milieu comme Enzo Bardeli, très à l’aise techniquement et en forme cette saison ? Je suis très content d’avoir Enzo dans l’équipe. C’est un joueur très fort, intelligent et en pleine progression. Mais il y a aussi Naatan (Skyttä, NDLR) qui joue au même poste. Et pour que le ballon arrive jusqu’à Enzo dans de bonnes conditions, il faut beaucoup de bons joueurs. Il est très en vue en ce moment, car il a mis trois buts sur les trois derniers matchs (entretien réalisé le 12 janvier, NDLR), mais il n’est qu’un des très bons joueurs de cette équipe.

Quand on vous parle de Ligue 1, vous parlez du petit budget du club, des décisions arbitrales que vous jugez injustes contre les gros clubs de Ligue 2… Pensez-vous vraiment que Dunkerque est trop petit pour monter ? Je pense que tout le monde peut monter, mais que c’est plus difficile pour Dunkerque que pour les autres. De toute façon, notre projet n’est pas la montée. Il suffit de regarder le budget des gros clubs de Ligue 2 : ils sont capables d’acheter un joueur qui vaut l’intégralité de notre masse salariale annuelle.

Ces dernières années, certains entraîneurs disent que leur métier les fatigue, qu’ils n’arrivent à pas à en décrocher une fois la journée terminée. C’est aussi votre cas ? On travaille beaucoup plus que huit heures par jour, c’est sûr. Il y a des jours où tu bosses du réveil au coucher car tu as tout le temps la tête au football. Mais pour moi, c’est du plaisir. Quand j’étais au Vitória Guimarães, ma femme parlait souvent du décalage de nos trains de vie. Je lui disais : « C’est simple, dans une journée, j’ai huit heures de travail et quatre pour mon hobby : le foot. »

Quand vous êtes seul dans votre lit le soir, vous pensez tactique ? Oui, c’est normal. Je ne ressens pas le besoin de décrocher. Quand je sors faire une promenade, je pense aussi au foot. Le seul moment où je peux en sortir, c’est avec ma famille. Quand je suis avec mon fils, ma fille et ma femme, j’arrive à penser à autre chose. Avec mes amis, c’est plus difficile, car ils parlent tous foot aussi.

Vous arrivez à rester en contact avec vos proches au Portugal ? Tous les jours avec mon téléphone. Quand j’ai deux jours de repos, j’essaie d’aller les voir, mais c’est rare. Pendant les vacances scolaires, ils viennent à Dunkerque.

Ce n’est pas possible que la Ligue 2 n’ait pas de VAR. Au Portugal, la D2 l’a déjà depuis trois ans.

Luís Castro

En ce moment, la Premier League compte quatre coachs portugais. En plus de vous, en Ligue 2, il y a aussi Bruno Baltazar à Caen. Pourquoi les entraîneurs portugais s’exportent aussi bien ? Je pense que nous, les Portugais, on est confiants dans notre manière d’entraîner, on n’en dévie pas. L’année dernière, tout le monde disait qu’on allait descendre. Si j’avais été faible mentalement et que j’avais changé ma façon de faire, ça n’aurait pas marché. Autre chose, je pense que les Portugais s’adaptent très vite à un nouveau championnat, à un nouveau pays ou à une nouvelle ville. Je suis arrivé à Dunkerque sans parler un mot de français, et au bout d’un mois, je faisais ma première conférence de presse en français. Je ne parle pas encore très bien, je dois m’améliorer, mais il y a beaucoup d’entraîneurs d’autres pays qui ne font pas cet effort.

Qu’est-ce que vous pensez du niveau de la Ligue 2 ? C’était important pour moi d’entraîner dans un pays du top 5 européen, et je trouve que la Ligue 2 a un bon niveau. Maintenant que je connais mieux ce pays, je peux dire que la France est peut-être le pays avec la plus grande diversité de joueurs, en matière de nationalité. Il y a beaucoup de joueurs africains, maghrébins, européens… Sur le plan individuel, la France est le meilleur pays d’Europe et l’un des plus forts du monde.

Pourtant, le football français est souvent moqué et la Ligue 1 surnommée la « Farmers League »… Je pense qu’il faut savoir bien vendre le produit. C’est pas possible que les droits TV soient aussi bas. C’est pas possible que la Ligue 2 n’ait pas de VAR. Au Portugal, la D2 l’a déjà depuis trois ans. Et je ne critique pas juste pour le plaisir, je critique parce que j’aime être ici en France.

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