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Luis Aragonés : « Le maître du ballon est le maître du jeu »

Propos recueillis par Javier Prieto-Santos
5 minutes
Luis Aragonés : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le maître du ballon est le maître du jeu<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il y a quelques mois, So Foot avait interviewé Luis Aragonés dans le cadre du numéro des 10 ans consacré aux n°10. S'il ne fut question que de meneurs de jeu dans cette dernière interview, elle nous apprend entre les lignes qu'elle était la vision tactique de l’homme qui a révolutionné la Roja et en a fait ce qu'elle est aujourd'hui : la meilleure équipe nationale de foot.

C’est quoi pour vous le numéro 10 ?

Le n°10 est juste un numéro, mais habituellement c’est un joueur qui distribue le jeu et qui fait briller ses coéquipiers. Pour moi, c’est celui qui a la plus grande idée du collectif dans une équipe.

Ça va pas au-delà de ça ?

Tous les joueurs extraordinaires qui ont fait rêver les gens ont porté le n°10, c’est pour ça qu’il est spécial. En Espagne, il y a toujours eu un véritable fantasme par rapport à ce numéro parce qu’ils étaient souvent étrangers. Zidane, Platini, Pelé, Maradona, ce sont des types qui ont tous gagné beaucoup de titres avec leurs sélections et équipes respectives. Pendant longtemps, nous n’avons pas eu cette chance, donc le public regardait ces leaders avec beaucoup d’intérêt. Aujourd’hui, on a la chance d’avoir des Xavi et des Iniesta, qui sont des leaders techniques pour la Roja et pour le Barça. Pour le public, ce sont des n°10, même s’ils ne portent pas ce numéro dans le dos.

Dans la Roja de 2008, considérez-vous que Xavi et Iniesta jouaient n°10 ?

Xavi, c’est vraiment un distributeur. Iniesta, je dirais plus qu’il correspond à l’image du 10 classique que tout le monde connaît. Sa manière de bouger sur le terrain est très aérienne, il a un contrôle du ballon extraordinaire et il sait effacer ses adversaires en un contre un. Et puis il a marqué le but de la finale en 2010. En Espagne, il est adoré, à chaque fois qu’il est remplacé, il a le droit à une ovation. C’est un n°10 dans le sens où sa qualité dépasse la notion de goût et de couleur de n’importe qui. Que tu aimes ou pas le Barça ou la Roja, tu es obligé de reconnaître sa qualité.

Quand vous avez repris l’Espagne, vous aviez en tête une réflexion tactique autour du n°10 ?

Mon idée a été très simple. Quand j’ai pris la sélection espagnole, je me suis demandé : « Dans ce pays qui joue bien au football ? » C’étaient les petits. Xavi, Iniesta, Villa, Silva. Je voulais la possession du ballon pour faire courir les adversaires et heureusement, c’est ce qui s’est passé. On peut passer des heures à parler et à théoriser sur le football, mais le maître du ballon est le maître du jeu. Si tu ne l’as pas, tu subis. Mais si tu l’as, normalement tu finis par gagner. Mon idée en reprenant l’Espagne, c’était ça, avoir le ballon. Dans le football, qui est le maître du ballon ? Le n°10. Les milieux de terrain. Pelé, Zidane et compagnie étaient les patrons sur le terrain et bizarrement, ils ont remporté des titres…

Quelle est la qualité n°1 pour être numéro 10 selon vous ?

Tu peux avoir toutes les qualités du monde, mais si tu n’as pas d’intelligence de jeu, ça ne sert à rien. Tous les n°10 de l’histoire avaient ça. De l’intelligence de jeu, de la vision et de l’instinct. On parle beaucoup de l’instinct des buteurs, mais pas assez de celui des milieux de terrain à mon goût, alors que c’est très important, voire primordial. Le milieu de terrain, c’est là où tout se passe aujourd’hui. Si tu ne réfléchis pas vite et que tu n’as pas de capacités d’analyse rapide, c’est difficile. Les n°10 ont un talent inné, qui ne s’explique pas et ça s’appelle le génie, c’est tout.

Pour vous, le n°10 est-il le joueur le plus important d’une équipe ?

Le n°10 est important, mais pas plus que le n°8 selon moi. Aujourd’hui, tu ne peux pas te contenter d’avoir un seul leader technique parce que le jeu est devenu de plus en plus exigeant. Si l’Espagne joue avec autant de milieux de terrain, c’est parce que c’est là qu’elle est la plus forte. On joue sur nos qualités, pas sur les défauts des autres. Les numéros importent peu, l’important c’est de réunir des cerveaux. On ne peut pas rivaliser physiquement, donc le seul moyen pour nous, c’est de faire utiliser notre matière grise. Pour moi, un n°10, ce n’est pas un numéro de milieu de terrain, de défenseur ou d’attaquant. Si tu es défenseur et que tu es le plus intelligent, tu peux exiger le n°10. Quand j’entraînais Valence, j’avais un joueur qui s’appelait Romario. Très, très fort. Il avait beau être attaquant, il avait exigé le n°10. Et on lui a donné. Ça s’est fait naturellement. Pourquoi ? Parce qu’en matière de football, il en savait un rayon.

De nos jours, il n’y a plus trop de n°10. Comment l’expliquez-vous ?

Le double pivot n’a pas tué le n°10. C’est la surpopulation en milieux de terrain qui a tué le n°10. Aujourd’hui, tout se joue dans cette partie de terrain, parce que c’est là que tu gagnes ou perds les matchs. Certains partent du principe qu’ils veulent mettre un but de plus que l’adversaire. Et d’autres partent du principe qu’ils ne veulent pas en prendre. Moi, j’ai toujours voulu en mettre plus que l’adversaire. Avec un double pivot, c’est difficile, c’est pourquoi je jouais avec trois milieux de terrain créatifs devant un milieu de terrain à vocation plus défensive intercalé entre ce trio et la défense.

Selon vous, quel fut le plus grand n°10 de l’histoire ?

Quand j’étais joueur, j’ai dû affronter beaucoup de n°10, parce qu’à l’époque, ils étaient plus nombreux. Mais je dirais que Maradona ou Pelé étaient les plus spéciaux. J’ai énormément de respect également pour un joueur comme Zidane. Il était merveilleux à voir jouer.Il y aura toujours des n°10. Tant qu’il y aura du talent et qu’ils seront protégés, je ne me fais pas de souci.
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Lucas, Digne de confiance
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