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Lui, c’est Peter Storey, « le salaud des salauds »

Par Joachim Barbier et Matthew Spiro, à Saint-Martin-Labouval (Lot)
Lui, c&rsquo;est Peter Storey, «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>le salaud des salauds<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il a d’abord envoyé du tacle et de la châtaigne, gagné des coupes et un championnat, porté Arsenal au pinacle. Puis, une fois à la retraite, il a décidé que ce n’était pas assez. Alors est venu le temps des nuits sans fin à trinquer avec les gangsters, de la reconversion en tenancier de bordel et du trafic de films porno. Jusqu’à goûter aux charmes de Wormwood Scrubs, la prison la plus glauque de Londres. Voici l’histoire du défenseur Peter Storey, ou une certaine idée de l’Angleterre seventies.

Difficile d’imaginer que l’Angleterre des années 1970 surnomma cet homme le « salaud des salauds ». En 2011, Peter Storey accueille le jour de son 70e anniversaire sur le perron d’une modeste maison, en short et claquettes. Comme tant de retraités britanniques ayant choisi de terminer leur existence dans le sud-ouest de la France, l’ancien défenseur d’Arsenal habite depuis huit ans un village reculé de la vallée du Lot, avec sa quatrième femme, Danielle, une Française rencontrée à Londres, un chien, deux chèvres, six poules et sept chats. Lui-même miaule plus qu’il ne parle. Jusqu’à ce qu’on évoque sa place dans l’histoire du football anglais : celle du hatchet man, le casseur. Là, le grand-père se fait précis : « La clé, c’est de frapper tôt dans le match, parce qu’à ce moment-là, l’arbitre ne t’expulse pas. Il faut viser le ballon et – sans vouloir lui casser la jambe – prendre bien l’homme aussi. Le premier choc doit ressembler à un accident de voiture ou une collision avec un mur de béton. »

Arsenal, c’était comme les communistes. Ils voulaient que tout le monde touche le même salaire. Ce club a toujours été radin.

Brutal ? Simplement consciencieux, selon l’intéressé, qui nous parle d’une époque où la Premier League ressemblait plus à une grande baston géante qu’au divertissement international pour petites filles qu’elle est devenue avec le temps : « Dans ces années-là, chaque équipe avait un joueur comme moi. Certaines en avaient même deux ou trois. Moi, j’étais jeune et je voulais rester dans l’équipe. Alors je faisais ce qu’on me demandait de faire, et je le faisais bien. » Voilà : le « salaud des salauds » n’était qu’un professionnel comme un autre. Mais quel professionnel !

« Il ne parlait pas vraiment, il grognait »

Formé à Arsenal, Peter Storey se fait dépuceler dans les années 1960 au contact du terrible Dirty Leeds de Don Revie. Dans son livre, True Storey: My Life and Crimes as a Football Hatchet Man ( « Histoire vraie, ma vie et mes crimes en tant que casseur », N.D.L.R.), l’ancien international explique que sa dureté s’est forgée lors de son premier déplacement à Elland Road, durant lequel il se mangea un méchant coup de boule balancé par un Écossais du nom de Jim Storrie. « Ça m’a choqué ! J’avais une énorme bosse, et je m’attendais à ce que mes coéquipiers me consolent dans le vestiaire après. Mais pas du tout ! Ils étaient morts de rire et m’ont hurlé :« Bienvenue à Leeds, mon petit ! » » La leçon sera vite apprise. Avec Arsenal, Storey réussit le doublé Cup-championnat lors de la saison 1970-1971. Son rôle, c’est de découper tout ce qui passe. Le mercredi, entre deux matchs de championnat, Peter met l’Europe à sa boot. Après avoir remporté la Coupe des villes de foires via notamment un succès sur l’Ajax d’un Cruyff totalement muselé par Storey, Arsenal tombe sur la Lazio du cinglé Giorgio Chinaglia en 1971.

J’étais attiré par l’aura et la classe des gangsters. Ils avaient toujours une jolie nana au bras et les poches remplies de cash. Je n’ai pas réalisé que c’était des gens dangereux. J’étais con.

Après le match dans la capitale italienne, les deux équipes se retrouvent dans un restaurant du centre-ville pour un dîner prétendument amical. Agacés par le comportement des Italiens pendant le match, les Anglais passent la soirée à se moquer des petits sacs à main en cuir offerts par le club de Rome. Quand Kennedy et Marinello voient cinq joueurs italiens en train de s’admirer devant la glace dans les toilettes, la bagarre explose. Vexé, l’un des Romains jette les sacs à la figure de Bob McNab, avant de lui attraper l’oreille et de l’envoyer valdinguer sévère. « Deux minutes plus tard, le restaurant s’était transformé en scène de guerre », raconte John Roberts, ancien défenseur d’Arsenal. « J’étais assis à côté de Storey, se souvient quant à lui le capitaine Frank McLintock. Il ne parlait pas vraiment, il grognait. Ce soir-là, il n’a fait que mater les Italiens en grognant comme un chien. » La mêlée se déplace à l’extérieur, où Storey trouve rapidement sa cible : « C’était un mec qui avait été vraiment méchant sur le terrain. Je l’ai regardé avec un grand sourire et je me suis préparé pour lui mettre une mandale du droit. Le beau gosse a mis ses mains devant son visage pour se protéger. C’était vraiment tentant, mais j’ai entendu les flics arriver, alors je me suis calmé. »

« Storey ? C’est une blague ! »

À cette époque, Storey n’est pas seulement une brute ; il est une référence à son poste. Dix-neuf fois international sous le maillot de l’Angleterre aux côtés de champions du monde comme Bobby Moore et Gordon Banks, le défenseur fait les gros titres pour ses duels épiques contre George Best, la rock star de Manchester United. Au point qu’il réussit un jour à faire perdre son sang-froid au Nord-Irlandais en direct lors de l’émission télé Parkinson, sur la BBC. « Storey ? C’est une blague ! Ma grand-mère serait plus efficace », déclare le cinquième Beatle. Quelques années plus tard, Best accusera Storey d’avoir menacé de lui casser les jambes. « Ça, il l’a inventé. Il s’en est même excusé quand on s’est retrouvés coéquipiers à Fulham à la fin de nos carrières », se défend aujourd’hui l’ancien défenseur. L’année du doublé, Storey empoche 100 livres par semaine, comme tous ses coéquipiers. « Ce n’était pas un mauvais salaire, mais on était beaucoup moins bien payés que les meilleurs joueurs de Tottenham ou de Manchester United. Arsenal, c’était comme les communistes. Ils voulaient que tout le monde touche le même salaire. Ce club a toujours été radin. Ils essaient de faire plus ou moins la même chose aujourd’hui, mais je ne suis pas sûr que ça marche. » Le transfert vers Highbury pour 250 livres par semaine de l’un des meilleurs joueurs anglais de l’époque, Alan Ball, viendra finalement foutre la merde dans le vestiaire du champion. « Ball était un milieu offensif vif et doué, mais surtout, il aimait bien parler de son énorme salaire. Le club a essayé de nous cacher la vérité, mais Alan était content de nous raconter. Ça a cassé l’esprit, analyse Storey avec le recul. On était furieux. On tenait des réunions tous les vendredis et on menaçait de boycotter le prochain match si on n’était pas augmentés. »

Un peu de fouet, un peu de menottes et de la fausse monnaie

Le déclin des Gunners coïncide avec la descente en enfer de Storey. En quelques années, le joueur passe du statut de joueur vedette, cool, beau et adoré par les filles à celui de loser total, abandonné par ses amis et ridiculisé pour sa fréquentation assidue des postes de police. Ses premières emmerdes débutent quand il est accusé d’avoir donné un coup de boule à un agent de la circulation – une histoire inventée par un flic fan des Spurs, selon lui. En 1975, Peter Storey change de braquet. Il achète le Jolly Farmers, un pub situé pas loin de Highbury, où il passe son temps à régaler les clients de ses histoires entre deux lampées de bière. Logiquement, le joueur perd sa place de titulaire à Arsenal, tente de se relancer à Fulham en 1977, mais n’a plus le même appétit et s’arrête un an plus tard. « Après tout ce que j’ai connu, c’était un peu triste de se retrouver à Fulham, avoue-t-il. Et puis il faut comprendre que je gagnais plus grâce au pub que grâce au foot. » Bel endroit en vérité que ce Jolly Farmers. Parmi les habitués de l’établissement figurent Howard Marks, alias Mr Nice, le trafiquant de drogue le plus blindé de l’Angleterre des seventiesfinissantes. Et puis également les frères Barry, John et Tony, propriétaires du Regency Club, à Stoke Newington.

Si quelqu’un avait été assez débile pour m’embêter sexuellement en prison, il aurait reçu un bon coup de pied dans les couilles.

C’est dans ce night-club que quelques années plus tôt, en 1967, les jumeaux Ronnie et Reggie Kray, la fratrie la plus sanglante du crime organisé en Angleterre, avaient liquidé Jack McVitie, l’un des membres influents de la Firm. Storey, lui, jure ses grands dieux qu’il ne savait rien de cet alignement de Borsalinos et de costumes rayés installés derrière son comptoir. « J’étais attiré par l’aura et la classe de ces gens. Ils avaient toujours une jolie nana au bras et les poches remplies de cash. Je n’ai pas réalisé que c’était des gens dangereux. J’étais con. » C’est sans doute sa naïveté qui empêche Storey de flairer l’embrouille quand les frères Barry lui empruntent deux mille livres pour lancer leur business de fausse monnaie. En 1978, la police fait une descente au Jolly Farmers et met la main sur un graveur de pièces planqué dans un coffre-fort. Au tribunal, Storey prend trois ans de prison pour fabrication de demi-souverains, une pièce en or de quatre grammes. Il est incarcéré à la prison de Wormwood Scrubs. La justice lui accorde régulièrement des journées de liberté provisoire, qu’il met à profit pour préparer sa réinsertion. L’ancien défenseur loue deux chambres sur le Leyton High Street, un quartier paumé de l’est de Londres. Il nomme l’endroit Calypso, le transforme en bordel et y plante deux jeunes femmes, connues sous les noms de Camilla et Lulu. « Elles étaient plutôt mignonnes et connaissaient le métier mieux que moi. Elles ont suggéré qu’on propose un topless massage à dix livres, avant les extras, branlette, fellation, rapport complet. Plus ce que Camilla résumait par sa formule : « Un peu de fouet et de menottes. » J’ai sagement accepté la liste des prestations en souriant. »

Du porno dans le 4×4

Hélas, les affaires du Calypso ne restent pas longtemps dans l’ombre. Cinq semaines plus tard, la police débarque, et Storey rajoute six mois avec sursis à son casier. « Les journaux se sont régalés, se souvient-il. On me traitait de maquereau, ça m’a fait mal. » Pas au point de comprendre la leçon, cependant. À la sortie du tribunal, Storey va prendre l’air aux Pays-Bas. Plus précisément du côté de Rotterdam. Avec un pote, ils chargent la voiture de films X. Quand ils débarquent du ferry à Douvres, les flics flairent l’introduction illégale de matériel pornographique – un délit à l’époque en Grande-Bretagne – et retrouvent les films cachés dans le pneu de secours du 4×4 de Storey. Retour à la case cabane. En prison, personne ne cherche de noises à Peter Storey : « Si quelqu’un avait été assez débile pour m’embêter sexuellement, il aurait reçu un bon coup de pied dans les couilles. » Ce sera néanmoins sa dernière folie. Ex-grand fêtard, Storey s’assagit avec les ans, jusqu’à présenter sa vie actuelle comme celle d’un ermite. « Je promène le chien, je fais du jardinage, je coupe du bois… » Rédemption ? Il y a de ça. « J’ai fait des choses incroyablement stupides, mais ce n’était pas facile de gérer la transition. Le foot, je ne connaissais que ça. Pour moi, la chose la plus terrible a été le changement de regard des gens. Avant, j’avais plein d’amis. Le jour où les ennuis ont débuté, où étaient-ils tous partis ? Je restais à la maison et je regardais le téléphone. Mais il ne sonnait plus. »

Article issu du numéro 91 de SO FOOT. Abonnez-vous ici.

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