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L’UGA Décines, une histoire arménienne

Par Arnaud Clement
L’UGA Décines, une histoire arménienne

Située à quelques kilomètres de Lyon, la ville de Décines, surnommée la Petite Arménie, est l'un des hauts lieux de la communauté en France, malgré ses quelque 25 000 habitants. Et son club de football évoluant en DH Rhône-Alpes, l'Union générale arménienne, dont le président n'est autre que Youri Djorkaeff, est une synthèse à lui seul de l'histoire des siens depuis le génocide de l'Empire ottoman. Découverte.

Depuis que Jean-Michel Aulas et l’état-major de l’OL ont choisi d’y bâtir leur projet pharaonique de stade des Lumières, au grand dam de certains exploitants agricoles, on sait placer la petite ville de Décines-Charpieu sur une carte de France. Il faut dire que la bourgade de l’Est lyonnais, située à quelques bornes de la capitale des Gaules et bordée du canal de Jonage, qui sert de frontière avec Vaulx-en-Velin, a longtemps été rurale et confidentielle, et ce jusqu’au tournant de la Révolution industrielle. Le travail de la soie et les totalitarismes ont fait le reste durant la première moitié du XXe siècle.

Aujourd’hui riche de 25 000 âmes, Décines-Charpieu a en effet grandi grâce à l’essor industriel et à la fuite de leur terre natale de milliers de victimes du fascisme italien, du franquisme espagnol, de Russes blancs contre la Révolution bolchévique, mais surtout avant eux, d’Arméniens fuyant le génocide de l’Empire ottoman après le 24 avril 1915. Une date lourde de sens pour tout un peuple, celle de l’assassinat sur ordre du gouvernement de 600 notables et intellectuels arméniens de Constantinople (ex-Istanbul), prélude au massacre de 800 000 à 1,2 million de ces Caucasiens boucs émissaires de la débâcle de la Première Guerre mondiale. Arrivés en masse par bateaux à Marseille munis du précieux sésame, le passeport Nansen, plusieurs milliers de réfugiés arméniens vont s’arrêter à Valence, quand d’autres tireront à Paris ou à peine plus au nord, à Lyon et Décines-Charpieu, pour faire parler, entre autres, leur savoir-faire textile.

L’inénarrable Café des Sports

« Les plus riches des réfugiés fuyaient directement aux États-Unis. Pour notre famille, en l’occurrence mon grand-père à l’époque, ce fut Décines parce que le travail de la soie fournissait énormément d’emplois » , précise Micha Djorkaeff, 40 ans, frère cadet de Youri et fils de Jean, et surtout entraîneur de l’UGA, l’Union générale arménienne. L’UGA, l’un des moyens incontournables pour la communauté, et pas uniquement les sportifs, de se retrouver et d’intégrer les nouveaux venus – comme ce fut le cas à Marseille avec l’UGA Ardzviv ou à Valence avec l’ASOA – une fois sa création actée, en 1923.

Aujourd’hui présidée par le Snake depuis 2007 – relayé sur le terrain par ses frères, son père et des dirigeants, vie new-yorkaise oblige, même s’il aime venir tâter le cuir à l’entraînement à son retour -, elle a été lancée par son grand-père, alors propriétaire du futur siège, l’inénarrable Café des Sports, véritable lieu de vie pour les chassés des terres caucasiennes. Micha Djorkaeff, lui-même footballeur ayant taté du ballon en D3 et qui a suivi son frère à Kaiserslautern ou l’Inter sans réussite, connaît bien l’histoire : « Comme mon grand-père et mon oncle, ce sont de purs Arméniens qui ont lancé l’UGA. Au départ, c’était un club omnisports, puis au fil du temps, le football a pris le dessus. Parce qu’il y a une grosse tradition de football dans notre pays d’origine. Aujourd’hui, la sélection a même un centre d’entraînement quasiment mieux fourni que Clairefontaine, c’est dire. »

Tchouki les bons tuyaux

Au départ de l’histoire, l’aventure décinoise est précaire et laborieuse. Dans les années 30, le terrain du club est juste inqualifiable, les lignes tracées à la sciure de bois et les premiers matchs se jouent seulement contre des clubs d’autres communautés, dans des formats amicaux. Le temps de faire sa place, intégration oblige, alors qu’au début, la communauté était perçue « comme les Roms d’aujourd’hui » , comme le déclarait un chirurgien arménien devenu Gone d’adoption à la tribune de Lyon en 2012. Pas simple de faire sa place dans une société quand, au tournant des années 40, la cité décinoise fait figure de « ghetto » dans l’inconscient collectif avec une population composée à 40% d’Arméniens de sang (12% en 2012). Mais une fois la guerre terminée, la culture et la langue assimilées et la fusion avec l’UGA de Lyon actée en 1946, voilà l’Union générale arménienne de Décines lancée pour de bon. La seule fusion de l’histoire du club d’ailleurs, malgré les velléités de rapprochement de longue date de l’autre club de Décines, aujourd’hui nommé le FC Chassieu-Décines après avoir déniché un autre partenaire. Hors de question pour les Arméniens de laver leur linge ailleurs qu’en famille, comme l’explique Micha Djorkaeff : « Déjà, on a une histoire, une identité à part, et on y tient. Ensuite, ça aurait mal terminé vu comme ça se passe à chaque fusion. On a vu comment l’ASOA Valence, qui a pourtant connu la L2, a fini, avec un club coulé… »

Une entité par essence solitaire donc, mais pas sectaire pour autant, car la seconde partie du XXe siècle voit signer et jouer des gens de toutes les nationalités ou origines à mesure que le club franchit les échelons des niveaux district et ligue, sans perdre le noyau dur du pays de Tchouki. Au milieu des années 1970, il entre dans sa période dorée, en 4e division et avec quelques exploits en coupe, en partie grâce à Jean Djorkaeff, comme s’en souvient son fils : « Quand mon père a terminé sa carrière pro, il est tout de suite revenu jouer à l’UGA en 1974, avant de devenir le coach. Ça a eu un certain écho et ça a boosté le club, car il avait joué à l’OL, l’OM et Paris juste avant d’atterrir ici. » Le club et ses valeurs fortes, son mental de Vietcong et ses maigres moyens – l’un des rares de la banlieue lyonnaise à ne toujours pas avoir de synthétique ou de club-house – arrivent tout de même à durer au niveau national et à faire trembler par deux fois des formations de D2, Digne et Nîmes, en 32es de finale de la Coupe de France. Les années 80 seront dans la même lignée, sous la présidence du charismatique sosie non officiel de Groucho Marx, le regretté Coco Aslanian. Avant la longue descente aux enfers aux portes du niveau départemental et une stabilisation en DH depuis, non sans peine. « Ça fait trois ans qu’on se sauve à la dernière journée et à la dernière minute » , se marre Armand Moyosan, 24 ans, défenseur latéral cette formation.

« Un peu comme jouer pour ton pays »

Armand Moyosan ou l’exemple même de la vocation propre de l’UGA, à savoir l’intégration des siens. Né en Arménie à Etchmiadzin, ville sainte de la banlieue d’Erevan où l’église apostolique arménienne a son siège. Un endroit qu’il connaît aussi bien que la France, qu’il a rejoint en 2001 : « C’était un exil économique. Mon père était chauffeur touristique et a pensé à cette opportunité en conduisant des touristes français qui lui ont conseillé de venir exercer son métier ici. On a sauté le pas pour avoir une vie meilleure. » Après un court passage dans un club lyonnais pour ses premiers pas sur le terrains rhonalpins, Armand Moyosan ne se fait pas prier quand il apprend l’existence d’un club à l’ADN arménien, et qu’Ara Adamian, ancien international aujourd’hui dirigeant de l’UGA et de ses 350 licenciés, lui propose de rallier le stade Armand-Troussier. Il y est depuis 2005, s’entraîne le soir après avoir fermé son kiosque et ne se verrait pour rien au monde dans un autre club jusqu’au jour où il reposera les crampons : « On ne sait jamais, mais franchement, j’aimerais rester ici encore longtemps. D’abord parce qu’à Décines, comme plus globalement en France, on est très bien intégré. Je vis et travaille ici et très bien. Et ensuite, parce que jouer pour un club de la communauté, c’est un peu comme jouer pour ton pays. On a l’envie de jouer parce qu’on est passionnés, mais d’abord parce qu’on a quelque chose de spécial en portant ce maillot. Certains de mes coéquipiers qui ont les mêmes origines que moi font des kilomètres en voiture pour venir jouer ici. »

Un héritage historique, culturel et sportif que l’UGA ne veut surtout pas voir disparaître. Dans une enquête fouillée sur la communauté arménienne de Lyon parue en 2012, la Tribune de Lyon citait la directrice de la Maison culturelle arménienne de Décines, Katia Boudoyan, craintive : « La communauté est tellement bien intégrée qu’elle doit se recentrer sur sa mémoire et son histoire sous peine de disparaître. » Une mémoire qu’on ne craint pas de voir oubliée chez Micha Djorkaeff, qui voit déjà la 4e génération taper du ballon : « Mes neveux et maintenant mes deux fils de 10 et 12 ans, Shae et Aaron, ont pris le relais. » Une jeunesse sur laquelle veut précisément miser aujourd’hui l’UGA. Après avoir fait un mauvais choix en misant tout sur les seniors, ce qui a couté sportivement, Youri Djorkaeff et son équipe dirigeante ont choisi de revenir en arrière et de former les éducateurs pour bâtir une vraie école de foot. Avec un objectif clair : devenir le meilleur vivier de l’Est lyonnais.

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