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L’UEFA, un silence qui en dit long

Par Nicolas Kssis-Martov
L’UEFA, un silence qui en dit long

L’événement exceptionnel que nous avons vécu lors de ce match a été aussi et surtout marqué par le silence, et pour tout dire les lâchetés, de l’UEFA. Jamais la grande instance du football européen n’a semblé à ce point dépassée et incompétente devant pourtant une situation qui risque de changer grandement les choses dans les semaines et les mois à venir. Son silence assourdissant et son acharnement à vouloir reprendre coûte que coûte offre un spectacle bien pitoyable au regard de ce qui était en train de se dérouler sous les yeux de millions de téléspectateurs en streaming illégal et de comptes Twitter.

L’expression se révéla souvent galvaudée. Toutefois ce match entre Paris et Istanbul s’avérera sûrement historique. Parce que les joueurs se sont réappropriés leurs responsabilités pour s’affirmer et s’imposer sur une question, le racisme, qui dépasse largement les lignes blanches du terrain. Nous avons tous été admiratifs devant la digne colère de Demba Ba. Doit-on aussi encore éclairer ici l’attitude irréprochable des Parisiens, qui ont finalement livré à cette occasion leur plus plus belle performance depuis la reprise, une victoire morale qu’on n’espérait plus de leur part. À la tristesse de ce que nous apprenions au fur et à mesure du visionnage des images, s’est substituée une certaine fierté de voir enfin un pareil sujet déclencher la réaction que nous attendions tous depuis des années. Nous aimions enfin plus les footballeurs que le football.

L’UEFA version Kafka

Alors, comment en retour ne pas être assommé, ébahi, voire estomaqué par les atermoiements de l’institution qui leur faisait face ? Cette UEFA qui multiplie les campagnes, onéreuses, de pub contre le racisme à coups de spot et de stars sur grandes affiches. Certes, pas besoin de réviser toute sa sociologie des organisations pour savoir qu’une belle et grande structure comme la maison mère du foot européen aura toujours tendance à protéger les siens, et ses représentants, en l’occurrence le corps arbitral ici, toujours plus proche de Kafka que de Camus.

Elle n’avait même pas prévu, dans ses règlements, que le problème puisse venir des hommes en noir, qu’il faille peut-être un jour les exclure pour insultes racistes. Des supporters peuvent être virés des gradins des années entières pour un fumi. Des joueurs recevoir un carton rouge pour avoir refusé de se taire devant un propos discriminant d’un adversaire voire du public. Mais rien de prévu si le « dérapage » tombe justement de la bouche de ceux censés garantir les belles valeurs de ce sport qui rapporte si gros quelque part en Suisse.

Le ridicule en costard

Si quelque chose a été démontré lors de ce dernier match de poule, c’est bien la faiblesse politique et l’incurie sociale de l’UEFA dès qu’il s’agit de rentrer dans le dur, de dépasser les discours de congrès ou les colloques autour de petits fours. Naturellement, l’obstination à vouloir que le match se tienne, dans le déni de la gravité de ce qui se déroulait pourtant sous leurs yeux ou le smartphone collé à l’oreille, n’a certes guère surpris. Néanmoins, pousser le ridicule à ce point… Fonctionner comme s’il s’agissait de gérer un banal contentieux de service clientèle démontre à quel point tous ces beaux costards-cravates évoluent dans les couloirs d’une superbe tour d’ivoire. Les joueurs, qui ne sont pas les derniers à savoir compter les euros, ont su, eux, mettre pour une fois d’autres priorités sur la table. Le degré d’incompétence et de déconnexion du réel de l’UEFA ne s’avère donc guère rassurant pour la suite. Tout cela pour poster sur Twitter à 23h30 un communiqué lunaire, après des heures de mutisme complet.

En Mai 68, des militants de « gauche » du ballon rond (joueurs du Red Star, de la FSGT, journalistes du Miroir du foot) avaient envahi les locaux de la FFF pour y déployer la banderole « le football aux footballeurs ». Quelle belle ironie, finalement, de s’apercevoir qu’aujourd’hui, des « millionnaires » à crampons (comme les a fustigés Darmanin lorsqu’ils critiquaient les violences policières) ont finalement repris, en acte, ce slogan. En « occupant » l’espace laissé vide par l’UEFA. Cette dernière ne devrait pas trop jouer avec le feu, une étincelle peut embraser la plaine comme l’affirmaient les maoïstes français, et même la pelouse des plus beaux stades du Vieux Continent.

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