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Ludovic Obraniak : « Même moi, j’ai décroché un peu »

Propos recueillis par Alexandre Plumey
14 minutes

Son pied gauche de joueur trouvait la lucarne ou la tête de ses coéquipiers messins, lillois ou bordelais. Son franc-parler de consultant sur La Chaîne L’Équipe vise tout aussi juste pour commenter l’actualité du ballon rond. Un football qui, justement, ne tourne plus tellement rond selon Ludovic Obraniak, qui vient de fêter ses 40 ans, au point de s’en déconnecter un peu.

Ludovic Obraniak : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Même moi, j’ai décroché un peu »

Quelle équipe te fait plaisir aujourd’hui au point d’allumer la télé pour elle ? Je ne sais pas, je trouve que c’est moins marqué sur les équipes dominantes. Je consommais beaucoup de foot avant et j’en consomme de moins en moins. Peut-être parce qu’il y a trop à voir, peut-être parce que les règles ont changé aussi. J’aime bien rester connecté aux équipes dans lesquelles j’ai joué. Surtout Lille parce que j’aime ce qu’il s’y passe depuis l’arrivée d’Olivier Létang. Déjà avant, mais l’arrivée de Fonseca a amené de la stabilité. La recette du succès c’est, avant tout, ça. Tu remarques que ceux qui gagnent sont ceux qui, à un moment donné, construisent des effectifs sur deux, trois ans et, une fois arrivés à maturité, font un ou deux transferts pour faire tout basculer.

Comme vous avec Lille, en 2011. Oui avec Gervinho et Hazard. L’équipe avait appris à s’apprivoiser, à se connaître, à créer du lien et à vivre ensemble. J’ai beaucoup suivi le Liverpool de Klopp parce que je trouvais aussi qu’il y avait une vraie intelligence de recrutement. En fait, je me reconnecte à un football plus intelligent. Je n’arrive plus à suivre les équipes qui dépensent sans compter, qui font n’importe quoi. Cette année, Lyon m’intéresse parce qu’il y a des joueurs que j’aime beaucoup et j’aime le travail de Pierre Sage. Mais je trouve que la construction de l’effectif est à l’opposé du bon sens. Tu achètes huit attaquants tous à même d’être titulaires. Comment tu fais ?

Avec le même profil pour la grande majorité… Tu ne peux pas faire jouer huit mecs en même temps. Donc Fofana, Lacazette, Cherki, Benrahma, Mikautadze, Zaha, Orban, Nuamah… Quel est le sens de tout ça ? Alors qu’en défense, tu as des manques criants.

À Lyon, pour le mercato, il faut composer entre les choix de la cellule de recrutement, du coach et du propriétaire… Des gens comme Textor sont complètement déconnectés de la réalité et du bon sens. On est dans une culture uniquement business. Mais un business qui te dessert. Parce que Zaha, vu ce que t’en fais, là, il ne sera jamais bon. Il y a un salaire dépensé, c’est du gâchis. Tu ne l’utilises pas et il vaut moins que ce qu’il valait avant. Quelle est la stratégie ? Je ne comprends pas.

Pareil pour Mikautadze et Lacazette, non ? Si tu n’avais pas dans l’idée d’associer Mikautadze à Lacazette, il ne fallait pas le prendre. Ou il fallait laisser partir Lacazette en Arabie saoudite. Je ne comprends pas ces logiques de club.

Les clubs travaillent-ils mal aujourd’hui ? Pas tous. Brest, par exemple : un mec comme Lorenzi me fait vibrer parce qu’il ne tombe pas dans les pièges. Le mec est un directeur sportif qui ne bosse pas pour lui, mais pour son club.

Il doit bien travailler, car il n’a pas tellement d’argent… Non, il bosse bien parce que c’est un mec intelligent et passionné qui va dans le sens de son club. Intelligence et passion sont deux choses qui manquent de plus en plus aujourd’hui. Brest, c’est son club, et il ne travaille pas pour les intérêts de Grégory Lorenzi. Ils jouent la Ligue des champions, mais ne sont pas tombés dans l’excès de faire des folies en matière de salaire, quitte à se mettre dans le rouge et risquer la relégation. Il sait très bien que ça ne durera peut-être qu’un an. Aujourd’hui, beaucoup de directeurs sportifs travaillent pour leurs intérêts. Mathieu Bodmer est quelqu’un qui m’intéresse aussi. Avec très peu, il a réussi à faire des choses brillantes. Il fait remonter Le Havre, il reste, bon bah là il galère un peu, mais quelque part, c’est normal.

La réélection de Labrune, c’est ce foot du copinage et de l’entre-soi. Les gens n’en peuvent plus de ces petits arrangements entre amis.

Ludovic Obraniak

Est-ce que la passion disparaît chez les fans de foot et même chez les joueurs ? Je ne sais pas s’ils sont moins passionnés, mais ils sont plus alertes sur ce qu’il se passe. Avec les réseaux sociaux, on est au courant de beaucoup de choses. On a aussi le courage dans certaines émissions de dire ce qui ne va pas. Alors, je sais que ça me joue des tours. J’ai envie de me rapprocher des terrains, pour continuer d’apprendre aux côtés d’un coach principal expérimenté quelques années avant de me lancer, mais ça effraie encore les dirigeants, qui sont peut-être, pour certains, pas assez audacieux. Regardez Habib Beye, il passe pour un donneur de leçons, alors que c’est avant tout quelqu’un de courageux qui a des convictions.

Et pour revenir à l’arrière-cuisine ? Les gens sont plus à même de découvrir ce qu’il se passe en coulisses. Et les coulisses sont vraiment… Quand tu vois la LFP, tu te dis : comment un président au bilan aussi déplorable peut être réélu à 85% ? C’est incompréhensible. On récompense les gens qui travaillent mal. C’est ce foot du copinage et de l’entre-soi. Les gens n’en peuvent plus de ces petits arrangements entre amis. Ils ont arrêté d’être des vaches à lait aussi. Certes, il y a une question de pouvoir d’achat, mais il y a un côté « on vous prévient qu’on ne cautionne pas tout ce qu’on voit et tout ce qui se fait ».

Mais du coup, si les supporters se désintéressent, il y a danger… Oui. Le produit Ligue 1 est en danger, alors que finalement, il allait plutôt dans le bon sens. Les résultats en Ligue des champions le prouvent. On a essayé d’attirer les projecteurs avec cette starification au PSG qui poussait à venir jeter un œil sur ce qu’il se passait en Ligue 1. Aujourd’hui, même s’il y a moins de stars, je trouve qu’on a quand même des coachs qui sont sérieux et compétents. On a renouvelé un peu la façon de voir les choses avec Will Still, Pierre Sage, etc. Majoritairement, ils ont des idées plutôt offensives que défensives.

Et pourtant… La suprématie du PSG qui n’a jamais investi en Ligue 1 pour faire ruisseler l’argent comme le grand Lyon le faisait, la surprotection des joueurs par les clubs et la distance qu’ils mettent avec leurs fans, les soucis de diffuseur et d’arbitrage amènent à lâcher. Même moi, j’ai décroché un peu en ce début de saison. Il n’y a rien qui me donne envie d’y retourner. Ça nous pète en plein visage parce que le football vit clairement au-dessus de ses moyens. Il n’y a aucune remise en question. À titre personnel, ce qu’il se passe dans des clubs avec des gens que j’appréciais est une grande déception. Le président Nicollin était quelqu’un pour qui j’avais du respect. Je suis très surpris de ses dernières sorties, de sa vision du foot. Ça me désole parce que je voyais en Montpellier le club familial par excellence, géré en bon père de famille. Et tu te rends compte que ce n’est pas mieux qu’ailleurs. Tout est illusoire depuis trop longtemps. Cette illusion, ce voile est en train de se lever. Et ce qui se cache derrière le voile n’est pas beau à voir.

En France, on est dans la même vision depuis 30 ans à vouloir former un type de joueur : rapide et dribbleur.

Ludovic Obraniak

Tu as pris ta retraite en 2018. Sentais-tu déjà cette bascule ou est-elle plus récente ? Ça fait déjà très longtemps qu’on vit sur nos acquis. On aurait dû prendre des virages importants dans le football français quant à la formation des joueurs. Pourquoi on n’a pas plus de joueurs techniques ? Et de numéro 10 ? Et de créateurs ? On a toujours les résultats de l’équipe de France qui masquent tout ça. L’Espagne, qui avait ce football de possession à outrance, a eu un passage à vide, mais a su se renouveler et est en train de revenir sur le devant de la scène. Nous, on est dans la même vision depuis 30 ans à vouloir former un type de joueur : rapide et dribbleur.

Des joueurs de transition, en quelque sorte. On forme des joueurs de transition. Sauf que pour lancer les flèches, à un moment donné, il te faut un arc. Et nous, l’arc, ça fait un moment qu’on n’en a plus. Et quand on l’a, on lui savonne la planche et on le pousse presque à prendre sa retraite. On parlait de désamour, mais je pense que les gens ont été complètement choqués de voir Griezmann arrêter sa carrière en équipe de France. Alors qu’à 33 ans, t’es en pleine force de l’âge et qu’il brille à l’Atlético.

Autre profil qui manque en L1, c’est le joueur capable de centrer. Des gauchers comme toi, Rothen, Monterrubio… Parce qu’on joue principalement avec des fausses pattes. Le couloir est fait pour être libéré afin que l’arrière latéral ou le piston déborde, donc tes ailiers sont amenés à rentrer. Or, quand tu es latéral et que tu dois te taper 70 mètres de couloir, tu n’as pas la même lucidité quand t’arrives, à la différence du milieu de terrain en 4-4-2 qui recevait le ballon et était déjà dans les 30 derniers mètres. Après, ça dépend de qui tu as dans le cœur du jeu. Si t’as Giroud, c’est plus intéressant de varier en mettant des centres parce que tu sais qu’il a un excellent jeu de tête. Tu t’adaptes au profil de joueur que t’as. Sauf que des points d’ancrage, il en existe de moins en moins.

Quand la gauche et Bordeaux étaient encore en haut de l’affiche.
Quand la gauche et Bordeaux étaient encore en haut de l’affiche.

Et un point d’ancrage, ce n’est pas forcément un joueur costaud. Benzema en était un. Tout à fait. Des mecs qui savent jouer dos au but, garder un ballon, qui ont une couverture de balle. On parlait d’intelligence de recrutement tout à l’heure : Ludovic Ajorque est un joueur sur lequel il fallait se positionner, par exemple pour Lille ou Lyon. Avoir ce profil aujourd’hui, c’est hyper intéressant. Dans la surface, mais pas que. Dans le foot de possession ou de transition, tu as toujours besoin d’un point d’appui. En fait, trop peu d’équipes ont un point d’ancrage. Le Real Madrid est en difficulté parce qu’il n’en a pas.

Est-ce que la consommation du foot, aujourd’hui, valorise surtout ces joueurs dribbleurs ? Je pense notamment aux highlights et aux formats courts… Le Ballon d’or en est la preuve. Il y a eu débat avec Vinícius. Sauf que sa Copa América n’est pas aboutie. Rodri, c’est l’élégance et l’intelligence. Ce garçon organise tout. Il est l’architecte de City et de l’Espagne. Il sait marquer aussi, c’est-à-dire qu’il sait se projeter aux avant-postes. Donc il est le 6 moderne, dans un registre encore différent de Busquets, Xavi ou même Redondo et Edgard Davids avant. Mais c’est bien, ça nous donne espoir de voir que les gens se sont rendu compte de qui était Rodri. D’ailleurs, le jour où le PSG trouvera un Rodri, ils seront en mesure de gagner la Ligue des champions. Quand il y avait Thiago Motta, ils n’ont jamais été aussi forts. Et je pense que Rabiot a raté l’opportunité d’être un top 3 ou 5 mondial au poste. S’il n’avait pas eu ce caractère – je ne sais pas pourquoi il n’a jamais voulu jouer ici –, je l’imaginais bien en premier relanceur, avec sa technique, ses aptitudes d’orientation et de mouvement de corps.

Est-ce totalement exclu, aujourd’hui, que Mbappé nous fasse une Neymar et ne remporte jamais le Ballon d’or ? On est à un vrai tournant. Il y a deux ans, je n’avais aucun doute sur son ascension et ce qu’il allait devenir. Quand on sort de la finale de la Coupe du monde 2022, pour moi, il est parti pour prendre le lead mondial et tout rafler. Et puis, il est rattrapé par les histoires, son ego, sa… (Il coupe.) Je ne vais pas dire sa fainéantise, mais cette volonté de se dire : « Moi, je ne vais pas défendre. » En fait, quelle est la raison pour laquelle il veut jouer 9 ? C’est pour défendre le moins possible. Alors que son poste, c’est à gauche.

Quand tu montes en haut de la pyramide et que les talentueux se rejoignent, ceux qui font la différence, ce sont les acharnés. Comme en F1, un boulon serré, pas serré, ça fait la différence.

Ludovic Obraniak

Pour remonter la pente sportivement, est-ce qu’il doit s’orienter vers quelque chose d’encore plus individualiste ou plutôt rentrer dans un collectif et se dire « je vais profiter des qualités de Bellingham et Vinícius » ? Il doit composer. Il a fait le choix d’aller au Real Madrid, donc déjà, il faut qu’il travaille. Il y a des grands attaquants qui sont passés par là-bas et qui sont encore dans le coin. Si j’étais lui, j’appellerais Raúl ou Benzema pour leur demander de m’accompagner. Il y a aussi des anciens internationaux français qui seraient ravis. Je sais que Jean-Pierre Papin l’aime beaucoup. Il n’y a pas de honte à ça. Il a fait ce choix de devenir numéro 9, mais ce n’est pas un truc qui s’acquiert du jour au lendemain. Ça s’apprend. C’est un poste ingrat. C’est de l’instinct, mais cet instinct-là, ils l’ont travaillé pendant des années. Et même, je l’invite à regarder Lewandowski dans le dernier Classico. Qu’il regarde ses mouvements, ses appels arrondis, les contre-appels, freiner, repartir… Le match de Lewandowski, c’est un modèle de ce que doit être un numéro 9 en pointe haute tout seul.

La passe difficile qu’il traverse, c’est dû à un manque de travail ? Je ne sais pas s’il n’y a que ça, en revanche, il s’en sortira par là. Regardez Lewandowski, ce qu’il s’inflige à 35 balais. Regardez ce que Benzema ou Ronaldo se sont infligé. Bon, Messi a été un travailleur, mais lui, il a été touché par la grâce, donc c’est encore différent. Et regardez ceux qui ont décidé de ne pas bosser comme Neymar, voire Ronaldinho qui n’a qu’un seul Ballon d’or. Eden, c’était pareil, il n’était pas hyper assidu là-dessus. Après, c’était assumé chez lui et il ne revendiquait rien, ne se prétendait pas meilleur joueur du monde à vouloir marquer l’histoire comme on peut l’entendre chez d’autres. Quand tu montes en haut de la pyramide et que les talentueux se rejoignent, ceux qui font la différence, ce sont les acharnés. Comme en F1, un boulon serré, pas serré, ça fait la différence. J’en suis l’exemple type : des plus doués que moi, il y en a eu plein. Mais j’ai toujours rattrapé les autres grâce à ma rigueur et mon hygiène de vie.

Ludo Obraniak et Eden Hazard, prime.
Ludo Obraniak et Eden Hazard, prime.

En rejoignant une équipe qui vient de gagner la Ligue des champions, il ne s’est pas facilité la tâche… C’est un mauvais choix. Il fallait y aller il y a deux ans, quand il pouvait être le taulier. Aujourd’hui, tu arrives au Real, il y a deux mecs qui sont devant toi au Ballon d’or. Alors qu’au PSG, tu avais tout pour être au cœur du storytelling. Un titre européen avec Paris, en plus d’être champion du monde, ça suffisait à raconter ton histoire et devenir un super-héros national. Je ne sais pas s’il aurait été au même niveau que Zidane, mais il avait tout en matière de récit. C’était le chemin qui paraissait le plus court pour entrer dans l’histoire. Là, à Madrid, tu arrives dans une équipe où il faut partager le gâteau. Et même, en imaginant qu’il gagne la Ligue des champions, combien en ont gagné avant ? Il sera un parmi tant d’autres. Au PSG, il aurait été l’un des premiers.

Que dirait le consultant que tu es aujourd’hui à propos du joueur que tu étais autrefois ? Ça dépend à quel moment. Je trouve qu’il ne faisait peut-être pas partie des meilleurs, mais c’était en tout cas un bon joueur de Ligue 1, qui avait le sens du collectif. Il avait davantage ce côté technique, « patte gauche », « vision du jeu », que le côté physique et athlétique. Je trouve qu’on manque cruellement de ce type de joueurs. Je ne dis pas que j’ai été le meilleur, mais je pense avoir fait deux, trois trucs qui ont fait lever les foules. Je trouve que ce profil est délaissé au détriment d’autres qualités. Et je serais content de voir qu’on y revienne dans les années futures.

Di María, Bynoe-Gittens, Mukau : les notes de la soirée

Propos recueillis par Alexandre Plumey

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