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Ludovic Obraniak : « Les Lillois savent que je ne suis pas un menteur »
Neuf ans après avoir posé la Coupe de France et le trophée de champion de France sur le bureau de maire de Martine Aubry, en 2011, Ludovic Obraniak aimerait l'en déloger. L'ancien milieu offensif figure en effet sur la liste de Marc-Philippe Daubresse pour les prochaines municipales, à Lille, sa ville d'adoption où il a évolué de 2007 à 2012. Un choix pas si étonnant, si l'on se souvient que c'est à droite que le gaucher a passé l'essentiel d'une carrière qui l'aura vu tailler le bout de gras avec Recep Tayyip Erdoğan, et sur lequel le Franco-Polonais s'est longuement épanché.
Pourquoi avoir accepté de briguer la mairie de Lille avec Marc-Philippe Daubresse ?Parce qu’il y a un challenge à relever, et que je me sens redevable de ce que Lille et les Lillois m’ont apporté, sur le plan sportif et humain. Aujourd’hui encore, je sens que je suis resté dans le cœur des gens. J’ai envie de faire des choses pour eux, et la politique peut être un moyen de leur renvoyer l’ascenseur, en faisant un programme cohérent qui aille du joggeur du dimanche au mec qui veut faire du sport son métier. Dans un monde tumultueux, où il y a beaucoup de tensions, le sport peut être un objectif, une soupape, un défouloir, un moyen de rassemblement. En tout cas, il est présent dans la vie de chacun.
Trouves-tu qu’il y a beaucoup à faire à Lille en la matière ?
Bien sûr. Lille est associée à l’image du LOSC. Mais derrière, il y a des petits clubs qui luttent, ou dont on ne parle pas alors qu’ils sont champions de France de leur discipline. Il faut essayer de faire comprendre aux Lillois qu’il y a aussi le basket, le hockey sur gazon, le water-polo… Pierre-Mauroy, c’est trop grand : il manque une Arena ou des infrastructures pour que ces clubs périphériques puissent se développer. Je sais que beaucoup de clubs manquent de moyens à cause des subventions et des emplois aidés qui ont été sucrés dernièrement. Mais on ne peut pas avoir que du bénévolat dans le sport amateur. C’est toutes ces choses qu’il faudrait faire bouger. Je suis très investi à l’Iris Club de Lambersart, où mon fils joue, et quand je vois ce que la Ligue de football prend à des petits clubs comme ça… c’est une honte. Je ne pourrai pas m’élever contre toutes les instances, mais il faut peut-être créer un électrochoc, soulever un vent de révolte contre toutes ces injustices.
Quelle est ta vision du foot à Lille ?Le but, c’est d’avoir une figure de proue qui est le LOSC, et que derrière ça ruisselle. On a des super clubs formateurs, dans la région et la ville. Il faut leur faire plus confiance et les aider. Très jeunes, les gamins sont déjà des valeurs marchandes. Il faut qu’ils soient protégés, préservés, et s’épanouissent dans un environnement familial, propice au développement. Au lieu d’avoir des équipes de jeunes surchargées, le LOSC peut peut-être avoir des clubs satellites. Ces petits clubs sont dépouillés dès les U8, U9, U12. On envoie trop vite nos jeunes dans des grosses structures, ils sont tout de suite dans l’esprit de concurrence. La concurrence fait partie du sport. Mais le développement est important aussi.
Le projet actuel du LOSC ne va-t-il pas à l’encontre de cette vision ?Si, mais comment veux-tu faire autrement ? Quand tu compares la fiscalité des clubs français à celle des clubs étrangers, tu te dis que pour t’en sortir, il n’y a pas cinquante solutions.
La politique, c’est un sujet récurrent entre joueurs ? Rarement. Ça nous dépasse un peu, parce qu’on est dans une bulle. On ne va pas se mentir : les problèmes des gens au quotidien, quand t’es footballeur de haut niveau, bon… Ce n’est pas que tu ne te sens pas concerné, mais tu te sens privilégié. Donc à part avec un ou deux coéquipiers, j’ai rarement eu des discussions politiques.
Tu as souvent songé, durant ta carrière, à en faire une fois retraité ?
Jamais. Je sais l’investissement et l’énergie que ça demande, mais aussi les coulisses, semblables au monde du foot. Il faut batailler et il n’y a pas que des enfants de chœur. Je ne sais pas si j’ai vraiment envie de ça, mais je me dis que le sport est rassembleur. Il faudrait être bête pour ne pas adhérer à des idées pouvant améliorer le quotidien des gens, surtout vu la place qu’y a pris le sport. Mais je n’ai pas vraiment l’impression de faire de la politique, là. Je ne suis pas dans des luttes sociales ou économiques complexes, mais dans le sport, qui est ma passion et la passion de beaucoup de gens. C’est un engagement citoyen avant tout.
En mai 2006, tu confiais au site web du FC Metz voter systématiquement blanc.Pour être honnête, je me suis rarement déplacé aux urnes. Plus jeune, je ne me sentais ni représenté, ni concerné, et j’ai beaucoup bougé. À l’étranger, je ne faisais plus attention à ce qui se passait en France. J’avais donc arrêté de voter. Je m’y suis remis en 2016, en rentrant à Auxerre.
Toujours sur le site du FC Metz, tu t’étais prononcé sur le duel annoncé entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal à la présidentielle de 2007. Tu disais n’être « ni pour, ni contre » Sarkozy, et voyais en Royal une surprise qui ne te « dérangerait pas » . Daubresse a été ministre de Sarkozy : ta sensibilité politique a fini par pencher à droite ?
Mes idées politiques sont loin de tout ça. Pour moi, il y a de bonnes idées à gauche, à droite et au centre. Mais je crois que les gens sont focalisés sur le personnage et ce qu’il dégage, même s’ils commencent à regarder les programmes. À l’époque, Sarko impressionnait et faisait déjà beaucoup parler. Il captivait l’attention. C’est pour ça qu’on s’intéresse à lui : on n’a pas retrouvé une personnalité aussi forte, clivante. Il a été battu, il s’est retiré, mais on y revient toujours parce que c’est un personnage. Le fait qu’il soit passionné de foot, sa relation avec le PSG, ça m’a beaucoup plu. Et en même temps, une femme présidente, pourquoi pas ?
Et Daubresse, il aime le foot ? Le sport n’est pas forcément son domaine de prédilection, mais c’est pour ça que je suis là. Quant au foot, il s’y intéresse comme tout le monde ici, vu qu’on a une équipe qui tutoie l’excellence depuis pas mal d’années. Comme Martine Aubry : je ne pense pas que ce soit une grande passionnée de foot, mais elle était là pour notre doublé en 2011, comme toute personnalité politique intelligente. Quel que soit l’environnement, les personnalités politiques savent s’y adapter.
Son actuel adjoint aux sports s’appelle Antony Gautier, un arbitre de Ligue 1. Il me semble qu’il était venu nous faire la présentation des nouvelles lois du jeu en début de saison, une fois. Mais sinon, je n’ai aucun souvenir particulier de lui. Je sais juste qu’aujourd’hui, le sport n’est pas la préoccupation première de la mairie.
Ta notoriété peut-elle servir votre liste ?
Ça peut être rassurant pour certains. Quand tu passes cinq ans dans un club, tu ne peux pas tricher, en tant que joueur ou en tant qu’homme. Les gens ont appris à me connaître avec mes qualités et mes défauts, et une relation affective s’est créée avec les habitants, qui ne manquent jamais de me remercier pour le bonheur que le LOSC a pu leur apporter pendant les années où j’étais là. Si les gens me connaissent, ils seront peut-être plus à même de venir vers moi et m’écouter, puisqu’ils se fixent sur la personnalité. Ils savent que je ne suis pas un menteur ni un tricheur.
Tu te verrais faire carrière en politique ?Je vis au jour le jour. Je m’éclate à la télé et à la radio, mais j’ai d’autres envies. Je me suis associé à différentes start-up : une dans l’hologramme, une autre dans la salle de sport du futur. Je ne me fixe pas de limites. Je fais un petit parcours en politique parce que ça m’amuse. Je vais là où il y a un projet qui m’intéresse. J’aime ce vagabondage, explorer les territoires inconnus. J’ai toujours été quelqu’un de curieux.
D’où ton passage en Israël ?Oui. Quand tu as fait le tour du foot national et européen, tu as envie de voir comment on travaille, comment on joue ailleurs. Ça m’a toujours attiré. Je suis parti sur le tard, mais je ne regrette rien, je me suis éclaté et j’ai vécu des expériences humaines incroyables. Notamment en Turquie, au Rizespor, où j’ai vécu sur six mois quelque chose de très intense sur le plan sportif et émotionnel. À Rize, j’avais l’impression d’être un roi.
Je ne pouvais pas faire mes courses sans que les gens me prennent mon caddie et les fassent à ma place. Quand ma femme était en tribunes, ils s’occupaient de mes gamins pendant tout le match. Ça a été un déchirement de partir. Rize, c’est aussi la ville d’Erdoğan. Donc à chaque fois qu’on se déplaçait à Ankara ou à côté, on était reçus au palais. J’ai des photos avec lui. Les étrangers, ils nous adoraient parce qu’on était la fierté de Rize. Avec Leonard Kweuke et Ludovic Sylvestre, on a passé des moments privilégiés avec lui. On s’est quand même retrouvés dans des salles à parler avec le chef de l’État turc. Il est impressionnant, hein, c’est un personnage. Physiquement, c’est un golgoth. Quand tu es devant lui, tu ne fais pas le malin, c’est « Oui, monsieur » !
De quoi vous parliez avec lui ?De foot ! Il adore ça. Il soutient beaucoup Rizespor, d’ailleurs.
La plupart des footballeurs deviennent consultants ou entraîneurs, d’autres ouvrent des Five, mais très peu se lancent en politique. Comment l’expliquer ?
Quand tu as été arraché de l’école très jeune et es resté quinze ans sans lien avec le monde professionnel hors football – la vraie vie quoi -, c’est difficile de passer du jour au lendemain à autre chose si tu n’as pas un peu prévu le coup. Tu n’as pas de diplôme, donc il faut avoir de la suite dans les idées ou faire confiance à des gens : un mec qui fait de la gestion de patrimoine, un membre de la famille… Et je fais très peu confiance. J’ai vu beaucoup de potes perdre énormément d’argent en lançant des choses qui les dépassaient, donc je reste dans mon terrain de jeu, le football, où j’ai du réseau et une certaine assurance de ne me pas louper totalement.
Peu de joueurs prennent position politiquement, comme peut le faire Megan Rapinoe. Pourquoi ? Quand tu gagnes 15 fois le SMIC – pour les joueurs les moins bien payés -, quelle crédibilité tu as ? On est des privilégiés. Qui va nous écouter ? Le mec qui se lève tous les matins à 5h et rentre tous les soirs à 22h, on va lui donner des conseils alors qu’on a une vie totalement à l’opposé ? Ça ne me paraît pas crédible.
S’engager politiquement ne serait-il pas justement une manière de casser cette barrière-là ?C’est dur. Avec les supporters de ton club, oui. Mais convaincre le mec qui n’est pas fan de foot, c’est plus compliqué. On ne va pas se mentir : le fossé financier crée aussi des inimitiés. Les footballeurs sont souvent pris pour cibles, d’autant que certains font qu’on est sur le devant de la scène de la mauvaise manière. Peu de gens nous considèrent comme des exemples à suivre. Dans leur esprit, on est souvent des mecs immatures, qui ne se mouillent pas trop et gagnent très bien leur vie à ne rien foutre.
Ce n’est pas un peu dur à encaisser ? Les gens n’ont qu’à se demander pourquoi la probabilité de devenir pro est aussi faible. Imagine ce que ça demande, au-delà du talent. Mais je ne leur en veux pas : ils ne vivent pas la même chose que nous et ne peuvent pas savoir.
Si demain je leur fais vivre une journée ou une semaine d’un sportif de haut niveau, ils se rendront mieux compte. Mais ils ont juste l’impression qu’on s’entraîne deux heures par jour, qu’on joue des matchs de temps en temps, et que ça s’arrête là. L’implication d’un sportif professionnel est totale, sur et en dehors du terrain. On ne vit que pour ça. Tout le temps. Je n’ai pas vu certains de mes enfants grandir, et j’ai perdu beaucoup d’amis parce qu’il fallait des heures de sommeil convenables, manger convenablement ou qu’il ne fallait pas se montrer parce qu’il y avait des périodes un peu plus dures. Ce n’est pas juste courir derrière un ballon. Il n’y a pas beaucoup de métiers où ton poste est remis en question tous les jours ; où au bout de dix ans on te dit : « Bientôt, tu ne feras plus ce métier, il faudra te réinventer. » Ça, les gens n’en ont pas conscience. L’humain est comme ça : il envie toujours ce que les autres ont de plus. Ça ne m’a jamais gêné, d’autant que ces gens-là nous font vivre. Sans supporters, sans spectateurs, il n’y a pas de foot. Ils ont un droit d’opinion sur nous, et celle-ci est parfois tronquée par de la mal-connaissance de ce qu’on fait, de l’ignorance ou de la jalousie. Ça fait partie du jeu.
C’est un peu pareil, la vie d’élu…C’est pas grave, je suis blindé. Pendant quatre ans, en Pologne, tout le monde était contre moi dès que j’allais en sélection. J’ai une carapace, et pour la fendre, il faut être très costaud.
Propos recueillis par Simon Butel, à Lille