Blatter, il est comment dans la vie de tous les jours ?
Un homme très sociable, avec une grosse personnalité, c’est vraiment quelqu’un de bien pour la FIFA. Il est là depuis 1974, il connaît la maison.
Vous vous souvenez de la première rencontre entre Blatter et vous ?
Nos rapports ont commencé en 1993, dans le cadre de la Coupe du monde U17 au Japon. Il était secrétaire général de la FIFA à l’époque, et on a gardé contact depuis. Je ne peux que vous dire du bien de Blatter.
Il vous a aidé en 2002 lorsque vous aviez des « soucis financiers » …
Qui vous a dit cela ? Qui vous a informé par rapport à ça ?
C’était dans le rapport Zen-Ruffinen et dans la presse, notamment anglaise…
Blatter m’a toujours aidé et secouru quand j’étais en difficulté, c’est vrai. J’ai de bons rapports avec Sepp Blatter, donc je ne vais pas nier qu’il m’a donné de l’argent pour m’aider financièrement.
En 2002, le rapport de Zen-Ruffinen accusait Sepp Blatter de corruption à votre endroit, mais lui parlait d’un simple coup de main financier… (Blatter avait admis avoir donné 25 000 euros à Lucien Bouchardeau pour l’aider à faire face à des difficultés financières, alors que Michel Zen-Ruffinen accusait le patron de la FIFA d’avoir promis 50 000 euros, 25 000 avant et 25 000 après, pour que l’ancien arbitre l’aide à monter un dossier sur Farah Ado, ndlr)
(Il coupe) Je ne peux pas nier cela, j’étais en difficulté financière, et il m’a aidé. Des gens ont voulu bloquer Blatter et m’ont bloqué également. Ma carrière d’arbitre a été écourtée par la Fédération nigérienne, au lieu de faire trois Coupes du monde, je n’en ai fait qu’une seule (lors du Mondial 98, il a été critiqué pour un penalty généreusement accordé à l’Italie lors de Chili-Italie, ndlr).
Blatter, à l’époque, a dit vous avoir aidé, car la CAF vous avait accablé et brisé. Il s’était passé quoi entre la CAF et vous ?
Mes rapports particuliers avec Blatter posaient problème. Quand Issa Hayatou s’est présenté en 2002 contre Blatter, vu que je m’entendais bien avec lui, j’étais devenu l’ennemi de la confédération africaine. C’est pour cela qu’on a ruiné ma carrière…
Pourquoi aviez-vous choisi Blatter plutôt que le candidat africain ?
J’étais plus proche de lui, les raisons étaient simples. J’avais dit à Hayatou : « Tu n’es pas encore assez puissant pour affronter Blatter, mieux vaut pour toi retirer ta candidature afin que la FIFA nous fasse profiter de beaucoup de facilités dans la gestion du football en Afrique, par exemple en construisant des terrains synthétiques, des sièges de fédérations et fournisse de la logistique, des bus pour les équipes nationales, des ordinateurs… » Cela se passe toujours comme ça. Je lui ai dit qu’on pouvait tirer un grand avantage de la situation, vous comprenez ? Monsieur Blatter avait affronté Lennart Johansson en 1998, le président de l’UEFA. Je vois mal un président de la CAF affronter Blatter et le battre. Hayatou aurait mieux fait de rentrer dans le jeu de Blatter, de le laisser être candidat unique, et tout le monde aurait été content, mais il n’a pas voulu entendre raison. Il pensait que c’était Blatter qui m’avait envoyé pour le dissuader.
La corruption existe dans tous les secteurs, il y a de la corruption à la FIFA, il y en a aussi ailleurs…
Aujourd’hui, Issa Hayatou fait partie des soutiens de Sepp Blatter…
Aujourd’hui, il n’a pas le choix ! Il n’a aucun choix ! Blatter est au sommet de la FIFA, il ne peut rien contre lui. Il est là depuis 1974, a été secrétaire général et désormais président depuis 1998. Il n’y a personne qui connaît aussi bien la maison…
Le président de la FFF Noël Le Graët a dit : « Il faut connaître l’Afrique pour être président de la FIFA » . Vous êtes d’accord ?
On est en pleine évolution, même si la plupart des championnats africains restent amateurs. L’Afrique est un continent d’avenir pour le monde dans tous les secteurs. Vous comprenez ? Blatter a beaucoup investi en Afrique, notamment avec le projet Goal pour équiper des pays comme le Liberia, la Centrafrique, le Niger… C’est une bonne chose pour l’Afrique, l’Europe n’a pas besoin de cela. Chaque année, la FIFA attribue 250 000 dollars aux fédérations africaines pour gérer les arbitres, les former. Elle veut développer l’Afrique pour qu’elle soit sur un pied d’égalité avec les autres. Il y a des progrès, mais les différences restent radicales. Malgré beaucoup de joueurs dans les championnats européens, aucun joueur africain n’a été désigné meilleur joueur du monde depuis 1995. La FIFA, avec Blatter, travaille pour que le continent africain atteigne au moins la cheville des autres fédérations qui, si je peux dire, sont professionnelles. L’Angleterre joue au foot depuis les années 1800, on ne va pas les rattraper du jour au lendemain.
À vous entendre, Blatter serait l’homme idéal pour le bien du football, mais il a quand même souvent été accusé et lié à des affaires de corruption depuis 2002…
Ah, mais arrêtez avec ça ! La corruption, il y en a dans le monde entier. Et je n’appelle pas cela de la corruption. C’est le milieu du football qui est comme ça. Eh, il n’y a pas un procès en France avec Karabatic ? En France ? Ils ont truqué des paris… Ce sont des comportements, des affaires que tu ne peux pas éviter, c’est l’entourage, le milieu du football. Partout où il y a de l’argent, c’est comme ça… La corruption existe dans tous les secteurs, il y a de la corruption à la FIFA, il y en a aussi ailleurs… C’est un fait réel, mais bon, cela fait partie de la vie, cela fait partie du football. Dans le football français, combien de clubs ont eu des procès pour des affaires de transferts irréguliers ? C’est de la corruption aussi. La corruption, c’est plus vieux que le monde…
Vous pensez que les affaires de corruption impliquant Blatter ne sont que des dommages collatéraux inévitables dans la gestion du football mondial ?
Ce sont les ennemis de Blatter. On essaie toujours d’inventer quelque chose pour faire tomber Blatter…
Donc les accusations de Farah Ado en 2002 sont fausses ?
Je laisse Farah Ado tranquille, il est décédé… (Farah Ado est décédé en 2008)
Peut-être, mais ses accusations en 2002, c’était une invention ?
J’étais là-bas au moment des élections de 1998, je ne pense pas qu’il y ait eu corruption hein, la preuve.
La preuve ?
(Il hésite) Il a quand même battu Lennart Johansson en 1998. C’était lui le candidat de la CAF…
Eh, Sarkozy quand il a été élu président, où il est allé chercher l’argent pour financer sa campagne ? C’est pas chez Kadhafi ?
Mais il a perdu ses voix africaines au profit de Blatter…
Bien sûr. Blatter avait promis des choses aux Africains et, depuis, il a fait ses preuves, il a mis en place de nombreux projets en Afrique. Il a construit des terrains comme promis…
Donc Farah Ado en 2002, ce n’était qu’une manœuvre politique pour faire perdre Blatter ?
Je vais vous dire une chose, Farah Ado, il est à toutes les sauces, même à l’élection d’Issa Hayatou au Maroc en 1988 (premier mandat d’Hayatou comme président de la CAF, ndlr). Hayatou a été élu grâce à Farah Ado qui a convaincu tous les Arabes de voter pour lui. C’était du trafic d’influence, et c’est Farah Ado qui a mis Hayatou au sommet de la CAF. En 2002, Farah Ado vient crier au scandale ? Mais attendez, comment vous croyez qu’on gagne les élections ? C’est pas avec du pétrole, c’est avec du miel ! Eh, Sarkozy quand il a été élu président, où il est allé chercher l’argent pour financer sa campagne ? C’est pas chez Kadhafi ? Et Jacques Chirac ? Barack Obama ? Cela fait partie de la vie politique, de la vie des élections. On gagne une élection en distribuant du miel…
Si ce n’est pas de la corruption donc, cela s’appelle comment ?
C’est une technique de campagne ! Cela fait partie de la technique de campagne…
Et dans ce domaine-là, Blatter est meilleur que les autres…
Oui, et il est où le problème ? Aucun. C’est pour le bien du football, du football africain. Tout le monde est content, il fait du bon travail, je ne vois pas où la FIFA a failli…
La FIFA a quand même des gros problèmes d’image aujourd’hui…
Je vais te poser une question : quand Zinédine Zidane, la plus grande figure du football français, est allé s’asseoir avec la délégation du Qatar pour prendre 10 millions d’euros. Comment tu appelles ça ? Il a été payé 11 millions d’euros par Bin Hammam.
Un souvenir de Blatter à partager ?
En 1996, aux JO d’Atlanta, j’étais avec Blatter dans sa chambre d’hôtel. Quand je suis sorti, j’ai croisé le secrétaire général de la FIFA, M. Mustapha Fahmi. Je jure sur l’honneur que lors du match France-Portugal, le quart de finale des JO à Miami, Issa Hayatou, M. Fahmi et une dame qui était la secrétaire particulière de Blatter m’ont interpellé à la mi-temps. Hayatou m’a dit de me méfier de Blatter. « Pourquoi je dois me méfier de Blatter ? » Il m’a répondu : « Parce qu’on t’a trop vu dans ses rouages, et c’est le secrétaire général de la FIFA » . Si le secrétaire général de la FIFA vient vers moi, en vertu de quoi je vais refuser ? Je veux grandir, je ne suis qu’un arbitre de football qui vient d’arriver, je vise la Coupe du monde, si le secrétaire général de la FIFA m’approche, je n’ai pas intérêt à refuser son invitation pour mon intérêt personnel et mon objectif d’aller en Coupe du monde. Là, j’ai compris, et j’ai donc demandé à Blatter : « Qu’est-ce qu’il y a entre toi et Issa Hayatou ? » Il m’a dit : « C’est parce que j’aspire à me présenter à la présidence de la FIFA dans deux ans pour remplacer João Havelange, et la CAF va soutenir le Suédois » . Après les Jeux olympiques, je suis resté six mois sans arbitrer, j’ai été gelé par la CAF.
Sepp Blatter est à retrouver dans le SO FOOT #126, disponible depuis le 7 mai 2015.
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