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Lucescu: « La Roumanie de 1970 est à l’origine du jeu de Barcelone »

Propos recueillis par Arthur Jeanne
6 minutes
Lucescu: «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>La Roumanie de 1970 est à l’origine du jeu de Barcelone<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Mircea Lucescu est un entraîneur mythique. Avant cela, il a aussi été le capitaine d’une sélection roumaine révolutionnaire. Dans un excellent français, il raconte ses souvenirs du mondial 1970, du maillot de Pelé à Ceaucescu, en passant par le tiki-taka et des crises de spasmophilie.

La légende veut que la Roumanie soit à l’origine du tiki-taka. C’est vrai ? Oui, c’est vrai ! Vers la fin des années 1960, notre coach Angelu Niculescu fait un constat. Nous n’étions ni rapides, ni agressifs, ni directs, cela ne faisait pas partie de nos qualités. En revanche, les joueurs roumains étaient considérés comme des joueurs maîtres dans l’art de la passe. C’est quelque chose de naturel, un peu comme les Espagnols, les Portugais, les Italiens… Alors, Niculescu décide que nous devons donner la direction du jeu, dicter notre tempo pour pouvoir soumettre l’adversaire à notre rythme. Nous avons bâti ce jeu qui consistait à multiplier les passes, construire de derrière, changer régulièrement l’orientation du jeu. C’est devenu une caractéristique roumaine qui s’est imposée partout plus tard. C’est vraiment précurseur du tiki-taka. Pas à un niveau si poussé et conceptualisé, mais oui, on peut dire que la Roumanie de 1970 est à l’origine du jeu de Barcelone.

Ce jeu a été nourri d’influences extérieures ?Non. Jusqu’à la fin des années 1960, nous n’avions pas la possibilité de voir ce qu’il se passait dans le monde du football. À cause du rideau de fer, on n’avait pas d’influence extérieure. On ne savait pas ce qu’il se passait en dehors de la Roumanie, les matchs internationaux n’étaient pas diffusés. On était obligés de construire notre propre jeu, indifféremment du jeu de l’adversaire. C’est ainsi que Niculescu a construit une grande équipe, avec des joueurs très jeunes.

J’ai toujours le maillot de Pelé, je ne l’ai jamais lavé, il est encadré.

Comment vivait-on en Roumanie à la fin des années 1960 ?Cela correspond à la meilleure période du communisme en Roumanie, une période d’ouverture internationale. Ceaucescu venait d’arriver au pouvoir ; au départ, c’était un réformiste, le parti voulait avoir une bonne image. L’économie se portait bien. À Bucarest, à l’époque, on avait le Figaro, L’Équipe, du camembert. On avait une très bonne relation avec la France, De Gaulle aidait beaucoup Ceaucescu à se faire accepter en Europe. Et nous affrontions souvent la France, d’ailleurs je me souviens d’avoir gagné 2-1 au Parc des Princes. Cette période d’ouverture n’a duré que quelques années.

Vous vous qualifiez pour la Coupe du monde au Mexique et tombez dans la poule de la mort (Brésil, Angleterre, Tchécoslovaquie), que retenez-vous de cette Coupe du monde au Mexique ?Nous avons effectué une très bonne préparation, un long stage au Brésil. En amical, nous avions fait match nul contre l’Allemagne à Stuttgart, nul contre les Anglais à Wembley. Mais je crois que nous avons fait une erreur en arrivant à Guadalajara à peine 20 jours avant le début du tournoi. Il aurait fallu arriver plus tôt. La chaleur était difficilement supportable. À cause de la chaleur et de l’altitude, j’ai perdu 7 kilos pendant le tournoi. J’avais beau prendre du magnésium, j’ai fait de la spasmophilie pendant un an ensuite. En ce qui concerne les matchs en eux-mêmes, nous perdons de justesse contre les Anglais, battons les Tchèques. Et nous affrontons le Brésil pour la qualification. Le matin du match, nous réalisons que nos maillots extérieurs sont des maillots faits pour jouer en hiver, trop lourds. Alors je vais acheter des maillots en tissu bleu ciel au marché et je demande au personnel de l’hôtel de coudre l’écusson roumain sur les maillots ! Nous perdons 3-2 contre le Brésil au terme d’un très bon match et nous sommes éliminés, mais je récupère le maillot de Pelé ! J’ai toujours le maillot de Pelé, je ne l’ai jamais lavé, il est encadré.

Comment avez-vous commencé le football ?Je jouais dans un petit club de Bucarest, et à 18 ans, j’ai été recruté par le Dinamo Bucarest, le club du ministère de l’Intérieur, qui m’a tout de suite prêté à Politehnica Bucarest, l’équipe des étudiants de la capitale. Car, en parallèle, je poursuivais des études à la faculté de commerce extérieur. C’était une université qui préparait les étudiants au commerce extérieur avec les économies capitalistes, pas socialistes. L’objectif était ensuite de faire carrière dans les ambassades ou des entreprises étatiques de commerce extérieur. À l’époque, les produits roumains étaient vendus par ces entreprises qui avaient un rôle d’intermédiaires en quelque sorte, pas directement par les usines. Et puis, après mes deux ans de formation, je suis retourné au Dinamo où je suis devenu officier comme joueur.

C’était un parcours classique à l’époque en Roumanie ?Lors du service militaire à l’automne, le Steaua, qui était le club de l’armée, et le Dinamo partageaient les meilleurs dans tous les sports. Les meilleurs sportifs roumains intégraient ces clubs. Ceux qui étaient un peu moins bons, mais talentueux également, rejoignaient les clubs universitaires, comme Universitatea Craiova, ou Politehnica Timisoara par exemple. Le régime était très attentif à l’évolution des grands sportifs. Soit ils recevaient un haut niveau d’éducation dans les équipes universitaires et recevaient un diplôme, soit des grades s’ils évoluaient au Steaua ou au Dinamo. Quand vous signiez au Steaua ou au Dinamo, c’était l’assurance d’une bonne retraite.

Les sportifs étaient donc des privilégiés ?Nous avions de très bonnes conditions d’entraînement. Et pour un jeune, c’était aussi un moyen de sortir du pays. Donc d’une certaine manière, on était privilégiés, mais en revanche, nous avions un salaire à peine supérieur aux autres. On était des amateurs en matière de statut même si dans les faits, notre activité, c’était le sport.

Dans les années 1970, la situation politique du pays se dégrade progressivement. Mais si l’ère Ceaucescu a été un moment difficile pour le pays, c’était aussi une période faste pour le sport roumain, non ? Ceaucescu contrôlait tout, le parti contrôlait tout. Et le sport était une manière de faire parler du pays. C’était utilisé par la propagande communiste, il y avait une très bonne organisation, et bien sûr une grande discipline, c’était pensé et planifié pour que les sportifs roumains brillent. Dès l’âge de 6 ou 7 ans, il y avait des compétitions dans tous les sports. C’est en partie grâce à cette organisation que nous avons été champions d’Europe de volley ou champions du monde de handball. Nous avions une équipe de rugby extraordinaire, des champions olympiques et des champions du monde dans de nombreuses disciplines. La Roumanie, du point de vue sportif, était très forte, c’était une grande nation de sport. Nous avons même été deuxième au tableau des médailles aux JO de 1984 ! L’époque communiste a été très compliquée pour la Roumanie, mais si l’on parle du sport, c’était une époque faste.

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Propos recueillis par Arthur Jeanne

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