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Lucas Hernández, l’heureux gagnant
Cinq défenseurs de l’Atlético disputeront un quart de finale. Et en attendant le Brésilien Filipe Luís et le Croate Vrsaljko, c’est à la doublette uruguayenne Godín-Gímenez que Lucas Hernández sera confronté. Un match taillé pour lui puisque, côté bleu, le latéral est certainement celui ressemble le plus à un Sud-Américain, tant dans le jeu que dans le caractère. N’en déplaise à un autre buveur de maté.
La super production française est confrontée à un problème de riche au moment de faire son casting. Et pour donner la réplique à l’Uruguay et sa gueule de grand méchant, baraquée et roublarde à souhait, l’heure est de savoir à qui attribuer le rôle du gringo de service qui saura contrer le plan charrúa. Si on suit l’histoire dressée par les médias, ce costume devrait être enfilé par Antoine Griezmann. Parce qu’il en joue, parce qu’il a adopté un style de vie à base de siestes, d’asado et de « Vamos ! » , parce qu’il a été lancé par l’Uruguayen Martín Lasarte à la Real Sociedad avant d’être modelé ensuite par l’Argentin Diego Simeone à l’Atlético de Madrid et aussi parce que Diego Godín est le parrain de sa fille. Un personnage dans lequel il est entré par affinité, goût, influence et un peu d’opportunisme – l’appropriation culturelle n’est-elle pas un bon moyen d’intégration ?
Sauf que les Uruguayens authentiques viennent de briser la réputation du Mâconnais. « Beaucoup disent qu’Antoine est en partie uruguayen. Mais il est français et ne sait pas ce qu’est l’identité uruguayenne, a dégommé Luís Suárez. Lui ne sait pas le dévouement que nous avons en nous pour triompher dans le football, petits comme nous sommes. Il a ses habitudes et une façon de parler à l’uruguayenne, mais nous nous comportons différemment. » Un désaveu qui découle peut-être du manque de combativité et d’énergie dégagé par Griezmann lors de ces dernières sorties, allant à l’encontre de la philosophie uruguayenne. De quoi relancer les candidatures et voir celle de Lucas Hernández comme une alternative plus que crédible. Son avantage : avoir adopté plus naturellement un jeu « à l’uruguayenne » , qui aime se définir par la combativité, la hargne, le sacrifice pour le collectif et la confiance en soi. Et quand Grizou ressemble à un fan de cette culture, Lucas Hernández semble avoir ça en lui.
Ne pas mettre le charrúa avant les bœufs
Titulaire surprise en Russie, profitant des difficultés physiques de Benjamin Mendy et d’une saison solide à Madrid, le Colchonero n’aura pas de mal à déloger son coéquipier de son strapontin, puisque c’est ainsi qu’il procède : bouger les meubles pour se faire une place. « Il rend les choix de l’entraîneur très difficiles parce que j’ai Filipe Luís pour le poste de latéral gauche et Godín dans l’axe, deux joueurs extraordinaires, soufflait Diego Simeone. Lucas, c’est un joueur qui ne frappe pas à la porte, mais qui l’ouvre carrément. C’est à moi de trouver des solutions pour qu’il puisse jouer. » Exactement ce qu’a vécu Didier Deschamps, pour qui l’option Hernández s’est imposé comme une évidence après quelques matchs amicaux.
Et en trois matchs et demi au Mondial, le défenseur a confirmé et impressionne par sa capacité à enchaîner les allers-retours dans son couloir gauche, par son aplomb dans les duels, mais aussi son cran lorsqu’il faut aller chatouiller l’adversaire. « Il y a beaucoup de Français qui ne me connaissaient pas, c’est normal, je joue dans un autre pays. Petit à petit, vous allez mieux me connaître » , avait-il alors averti après le match face à l’Australie. Rencontre au cours de laquelle les supporters océaniens l’ont conspué pour sa faculté à provoquer les Socceroos et où les Français ont découvert dans leur rangs un joueur plus resquilleur, agressif et pugnace que les autres. Du caractère et une touche de vice dans une équipe globalement lisse. D’autant plus que le minot ne s’en cache pas : « Il y a des moments où j’ai exagéré un peu, admettait-il à propos de ses plongeons. Mais ça fait partie du spectacle ! Ça fait partie de moi, je fais souvent ça quand on gagne pour permettre à l’équipe de gagner un peu de temps. »
Avant de revêtir le maillot bleu, qu’il a juré « défendre à mort » , le natif de Marseille était pour le grand public ce garçon de 22 piges qui a longtemps hésité entre l’équipe de France, qu’il représentait depuis les U16, et la Roja, sélection du pays où il a débarqué à l’âge de quatre ans. Biberonné au foot de l’Atlético, où jouait son père Jean-François, avant d’intégrer son académie à 11 ans, son parcours tortueux a aussi forgé son caractère. « Je n’ai pas eu une enfance normale, confiait-il sur SFR Sports. J’ai vécu sans père, juste avec ma mère et mon frère. Surtout quand on était en Espagne. Ma mère ne travaillait pas et on n’avait pas de sous, c’est la vérité. C’est mon grand-père qui nous a sortis du trou. J’ai vécu des moments durs dans la vie et j’ai toujours été présent et fort mentalement. C’est ce qui fait que je suis là aujourd’hui. »
Ses repères, c’est Diego Simeone qui les lui a donnés. « J’ai grandi avec lui. C’est lui qui m’a fait monter des jeunes avec les A (en 2014, N.D.L.R.), affirmait le défenseur. Depuis que je suis avec lui, il m’a inculqué ça. Il m’a dit que si je voulais réussir dans la vie, il fallait lutter, il fallait tout donner, il fallait travailler à chaque entraînement. Il a toujours cru en moi, il a toujours eu confiance en moi, il m’a toujours donné ma chance. » Et c’est à travers cette relation que le Cholo lui a également transmis les fibres du foot sud-américain. Des valeurs qui lui offrent aujourd’hui le droit de faire l’unanimité chez les Bleus. « C’est notre soldat. Il ne passe jamais au travers. Avec lui, tu peux partir à la guerre » , jurait Griezmann dans Le Parisien, quand Blaise Matuidi parle lui de « quelqu’un qui respire la joie de vivre, heureux d’être ici et qui donne tout sur le terrain avec ses qualités » , avant d’ajouter qu’il « en faudrait plein, des comme lui. » Le problème, c’est que des comme lui, il y en a plein du côté de la Celeste.
Par Mathieu Rollinger