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Lucas Da Cunha : « En tant que coach, Cesc Fàbregas fait un travail de fou »
Formé au Stade rennais au sein d’une génération dorée, Lucas Da Cunha, 23 ans, a mis un peu plus de temps que certains de ses potes d’adolescence avant d’éclore. Aujourd’hui en Serie A, à Côme, il raconte ses choix de carrière, le foot sous Cesc Fàbregas et la passerelle entre les mondes.
Depuis janvier 2023, tu défends les couleurs de Côme, promu en Serie A cet été. Pourquoi avoir choisi de signer là-bas ?
Si j’étais resté en Ligue 1, j’allais sûrement de nouveau être prêté (Lucas Da Cunha appartenait à l’OGC Nice depuis 2020, NDLR) et je n’avais pas envie de ça. Je voulais plutôt un projet stable, et un jour, mon agent m’a parlé de Côme. Je ne connaissais pas du tout. Il m’a dit que le club était ambitieux, qu’il voulait assez vite remonter en Serie A, que des joueurs sur qui les autres clubs de Serie B ne pouvaient pas s’aligner arrivaient… Je me suis dit que ça pouvait être intéressant, et le coach m’a vite expliqué qu’il avait besoin de moi, que j’allais jouer.
Quand tu arrives, ton coach actuel, Cesc Fàbregas, était déjà présent au club.
Ouais, il était encore joueur à l’époque. Il y avait aussi Patrick Cutrone, Daniele Baselli… Partout où je suis passé, j’ai côtoyé des très bons joueurs, mais là, je me suis retrouvé dans le vestiaire à côté d’un très grand. Je me suis aussi dit que s’il était là, ce n’était pas pour rien. Comme il parle français, ça a été l’un des premiers à m’intégrer. On a donc vite pu créer un lien, il m’a vite mis dans le moule. Il faut savoir que c’est un mec très humble, qui ne va jamais se permettre de te dire qu’il faut jouer comme ci ou comme ça, mais à l’époque, on jouait en 3-5-2, et ça m’est arrivé de me retrouver avec lui au milieu, donc il me donnait des conseils sur mon positionnement, des orientations, des déplacements…
Tu as ajusté des choses en Serie B ?
Je ne pensais pas que ça serait aussi dur. Je suis arrivé dans un championnat où tout le monde se rentre dedans, où tactiquement, tout est très fort, où tu te retrouves à jouer beaucoup de matchs face à des équipes qui jouent en marquage individuel tout terrain. Tu as moins d’espaces, de temps, on te suit partout, tu es souvent dos au jeu, il faut vite lâcher le ballon… Moi qui aimais, en tant que joueur offensif, avoir le ballon dans les pieds, là, ça a été beaucoup plus dur parce qu’à chaque fois, j’avais un mec qui venait me cogner dans le dos. J’ai appris à ouvrir mon jeu, j’ai joué différemment, j’ai davantage pris la profondeur, j’ai soigné ma première touche… Au début, il y a eu des moments où je me suis dit : « Non, mais là, il n’y a vraiment pas d’espace. Je vais où ? Je fais quoi ? » J’ai eu le sentiment de ne parfois servir à rien, là où en France, j’avais plus le temps de contrôler, de prendre un peu mon temps. Je ne parle pas d’être dangereux, mais juste d’avoir le temps. En Serie B, même un une-deux, au milieu de terrain, ça se fait dans l’urgence.
Milieu, c’était une nouveauté pour toi, l’offensif de formation que tu es.
Depuis que je suis en Italie, j’ai changé de poste. Il m’a fallu toute une partie de saison pour m’y faire, et à la fin de la saison 2022-2023, j’ai commencé à être décisif. Ça a été une découverte et même si je m’en pensais capable, ça a été des choses à mettre en place, à apprendre… La charge de travail a aussi été plus importante. On fait beaucoup plus de musculation, par exemple. Au début, c’était soit je fais l’entraînement à fond, soit je fais la séance de muscu à fond. Mais les deux à fond, je vais imploser et le week-end, je vais être cramé. Au début, j’ai ressenti ça, j’étais cramé avant les matchs. Puis, petit à petit, tous les curseurs se sont ajustés : j’ai réussi à tout faire à fond tout en arrivant au taquet le week-end. Tactiquement, il a aussi fallu comprendre les positionnements, les réglages offensifs, me construire de nouveaux repères…
Ton esprit est plus ouvert sur le jeu maintenant ?
Clairement. Je comprends beaucoup plus de choses, même sur le fonctionnement des autres postes. En plus, le coach travaille énormément et essaie de nous faciliter le taf chaque week-end. On est au courant de tout, de tous les détails… On connaît tout quand on entre sur le terrain. Ici, on ne peut vraiment pas dire : « Ah, désolé coach, on ne savait pas… »
C’est ça la patte du coach Cesc Fàbregas ?
C’est un exigeant, un gros travailleur. En tant que joueur, il a connu beaucoup de choses et s’il a été excellent, c’est aussi parce qu’il comprenait très bien les choses tactiquement. En tant que coach, il fait un travail de fou. Il veut à la fois nous rendre la vie facile et que l’on développe notre compréhension du jeu, que l’on soit maîtres du jeu et pas qu’il soit obligé de crier sur chaque situation sur le côté. Il veut qu’on soit toujours en éveil. Si un joueur vient dans un espace, qu’un adversaire l’a suivi, c’est qu’un autre espace s’est ouvert ailleurs, et il faut être capable de le voir, cet espace, puis de l’utiliser en réfléchissant « comment ».
On ne t’avait pas fait voir le foot de cette manière en France ?
On me l’a fait voir en partie de cette manière, mais j’étais plus jeune et je n’étais pas titulaire, donc quand tu n’es pas titulaire, c’est autre chose. Tu es moins impliqué dans le travail tactique, et ici, ce travail tactique est décuplé. On fait aussi beaucoup de vidéo et pas seulement pour faire de la vidéo. Tu sors de la séance, tu as appris quelque chose, tu le bosses sur le terrain…
L’arrivée en Serie A, ça t’a moins bousculé ?
Si, quand même. Parce que j’ai pas mal joué en début de saison et ce sont les matchs où l’équipe n’était pas encore prête. On a peiné, mais maintenant que notre jeu est mieux huilé, que les joueurs se connaissent mieux, ça commence à être plus fluide. On joue bien, et je ne vais pas dire que c’est plus facile que la Serie B, mais il y a plus d’espaces pour jouer. En revanche, sur le plan offensif, en face, tu sais que si tu lâches un ballon, ça fait vite 0-1.
Concernant les objectifs fixés, vous êtes dans les temps ?
Oui, car on n’est pas dans la zone rouge, mais au niveau des statistiques, on voit qu’on est dans le top 10, à chaque fois, de beaucoup d’indicateurs, donc on a un gap à combler. On fait des bons matchs, mais au niveau du classement, on n’est pas encore là où on devrait être. Le jeu progresse, on va finir par être payés, et on a des joueurs qui sortent du lot. Je pense à Nico Paz, Máximo Perrone, Sergi Roberto… Ça sent le football.
Tu as eu le temps de profiter un peu de Raphaël Varane ?
Quand il est arrivé, au moment du stage de présaison, il ne parlait pas du tout italien, donc étant le seul joueur français de l’équipe, on s’est un peu rapprochés. On a joué à pas mal de jeux sur la tablette, on a discuté, il m’a donné pas mal de conseils sur le travail invisible, en dehors du terrain, sur le terrain. Il me répétait que l’on ne perd jamais de temps : si tu travailles, tu finis toujours par être récompensé à l’endroit où tu bosses ou ailleurs.
Ta famille est historiquement fan des Verts. Quand tu étais plus jeune, les centres de formation de Sainté et de l’OL t’ont recalé. C’est quoi ton rapport à Sainté aujourd’hui ?
J’essaie encore de suivre tous les matchs. C’est toujours le club de ma famille. Mon grand-père est abonné à Geoffroy-Guichard depuis des années, et petit, on y allait souvent. Lui allait la plupart du temps se mettre seul, dans le kop. Comme j’étais plus jeune, je suivais plutôt mon père et des amis à lui en Henri Point. J’en garde évidemment de gros souvenirs. On parle d’un club de fou, avec une ferveur immense, des supporters incroyables, dans un stade de dingue, où chaque match est un spectacle. Quand tu es petit, tu ne rêves que d’une chose : être un jour, toi aussi, sur le terrain.
Tu as quels souvenirs des essais passés, à 12-13 ans, chez les Verts ?
Je n’ai jamais oublié. C’est mon coach du Roannais Foot 42 (le club de sa ville natale, NDLR) qui m’emmenait. J’en ai fait plusieurs. Mes parents ont été vachement ouverts, ils ne m’ont pas mis la pression et m’ont juste accompagné. Je leur disais que ça m’attirait, que je voulais être joueur pro quand je serai plus grand et je n’ai pas souvenir d’une discussion avec mon père où il me demande : « T’es sûr que c’est ce que tu veux faire ? » Quand je recevais des lettres à la maison pour des tests, c’était limite normal pour lui d’accompagner son fils, sans se poser trop de questions. Mon père a toujours fait du foot, c’est peut-être pour ça aussi. Pour Saint-Étienne, j’ai aussi le souvenir que plusieurs fois, des responsables de la détection chez les jeunes venaient à des matchs où je jouais à Roanne. Et après, j’allais à l’Étrat. J’étais très introverti, donc ce n’était pas le plus simple pour moi de me retrouver au milieu de plein d’autres jeunes, avec la tunique des Verts… Tu es là, tu n’as pas vraiment d’amis, tu ne sais pas trop avec qui faire des passes, ça met un peu la pression, mais une fois que la détection commence, c’est bizarre : tu es sur le terrain et tu ne penses plus à tout ça.
Tu as toujours réussi dans ces moments-là à donner le maximum de ton potentiel ?
Non… Je n’en ai que de vagues souvenirs, mais je sais que lors de mes essais à Saint-Étienne, j’ai peiné à donner tout ce que j’avais, et d’ailleurs, au bout d’un moment, il n’y a plus eu de suite. Je n’ai pas en mémoire une détection où je me suis dit : « Ok, là, t’as surclassé tout le monde. »
Puis il y a eu les essais à l’OL. Ça ne t’aurait pas dérangé de signer là-bas ?
Franchement, si j’avais eu la possibilité de signer à l’OL, je l’aurais fait, parce que ça aurait été une super opportunité pour moi en tant que joueur de foot. L’essentiel pour moi était de réussir à intégrer un club pro. Mais avec l’OL, je n’ai fait que trois détections : une première où on était une centaine, puis une cinquantaine, une vingtaine… Il y a eu plusieurs étapes jusqu’à ce que je fasse un tournoi avec eux, où je n’ai pas été super bon. Finalement, ils ont préféré prendre un mec qui était déjà de Lyon, qui avait certainement un niveau similaire, mais qui allait générer moins de frais.
Tous ces refus, ça a été dur à encaisser ?
Un peu, oui, surtout qu’après, le pôle espoirs de Vichy a fermé dans la foulée, en 2015. J’ai fait des détections pour celui de Dijon, où j’ai aussi passé toutes les étapes, jusqu’à un test final de quelques jours où ils ont retenu 15 joueurs. Apparemment, j’ai terminé 17e de la sélection, donc… trois échecs à la suite.
Comment tu t’es retrouvé à Rennes, en 2016 ?
Franchement, ça a été long. En U15, j’ai fait un CV avec mon père et on a envoyé des lettres à plusieurs clubs. Tours nous a répondu, les dirigeants nous ont proposé un essai, à l’automne, sur un week-end. Tout s’est super bien passé, et au début du test, on nous avait dit : « On vous prévient, on ne donnera de réponse à personne. On n’est qu’en tout début de saison, on continuera à vous suivre dans l’année… » Sauf qu’à la fin du test, le directeur du centre du club nous a convoqués avec mon père et nous a expliqué qu’ils me voulaient. J’ai été super content, mais aussi super surpris, et à mes parents, j’avais dit que le premier qui me dirait oui, je signerai. On a donc dit OK à Tours, mais finalement, il y a eu un problème administratif. On était en novembre, et le deal était que je vienne la saison suivante. Il me restait donc du temps, j’ai continué à performer dans mon club, puis j’ai ensuite été repéré par un agent, et quand j’ai eu des problèmes avec Tours, il a fait jouer ses connaissances pour me trouver un test à Rennes, qui a été concluant. Même chose qu’à Tours : au bout de deux jours, on m’a dit que c’était bon, qu’on me voulait. Trois ans, contrat aspirant, go.
Ça a été facile de tout quitter ?
Je l’ai super bien vécu. Même si j’ai eu des petits moments de moins bien, mes années au centre de formation se sont globalement très bien passées. Je jouais tout le temps, j’ai été surclassé, sans blessure, j’ai été appelé en équipe de France… Tout ça, ça m’a, bien sûr, aidé à accepter la distance.
Autour de toi, surtout, la génération a été assez folle : Truffert, Omari, Soppy, Boey, Gboho, Rutter, Abline, Guéla Doué… Tu as vite senti que tu étais dans une équipe supérieure en matière de talents ?
Pas trop, même si le week-end, très souvent, on gagnait les matchs, on avait le ballon, tout se passait bien. Je m’en suis surtout rendu compte quand on a gagné le championnat en U17, puis en U19. Après, je ne me suis jamais considéré comme un « crack », même si j’avais conscience que j’étais un petit peu perçu comme ça, d’autant plus que Rennes m’a accordé une grosse confiance en me faisant signer mon premier contrat pro très tôt. (À 16 ans, en décembre 2017, NDLR.) J’ai été, à l’époque, le plus jeune joueur de l’histoire du Stade rennais à signer pro.
Quand est-ce que tu as compris que le foot pro était un monde compliqué ?
Vite. Tu as beau faire de très belles choses chez les jeunes, quand tu arrives en pro, tu te rends vite compte que ce n’est pas du tout la même chose, que ce soit techniquement, tactiquement ou physiquement. Si on est très franc, tu comprends vite que l’étape ne va pas être simple à passer. À la base, tu crois que les mecs vont juste être plus grands, plus rapides, plus costauds, mais que tu vas jouer ton jeu et que ça va rouler. Sauf qu’en fait, il y a beaucoup plus de paramètres à prendre en compte. Quand tu es jeune, que tu dois t’imposer dans un groupe pro, ça va au-delà de juste aller sur le terrain et faire ce que tu as à faire…
Il faut faire quoi ?
Pour ma part, ça a été de l’analyse, beaucoup de travail physique, de travail mental, d’ajustements sur mon jeu, tout en gardant cette fougue de jeunesse qu’on peut avoir. Il a fallu comprendre ce que demande le foot pro, en fait. À Rennes, tout le monde a vraiment toujours été très correct, c’était plutôt moi qui avais besoin de me développer pour pouvoir m’imposer dans une équipe qui, à l’époque, était au top, avec une qualification en Ligue des champions au bout…
Cette bascule entre le foot de jeunes et le foot de pros, on a le sentiment que ça peut aussi être un drôle de révélateur de différences entre les joueurs. Tu l’as senti, toi ?
Oui ! « Cama », par exemple, il a toujours été prêt, et quand il est arrivé chez les pros, il était déjà prêt à s’imposer, performer, et devenir le joueur qu’il est devenu par la suite. Moi, j’étais le joueur prêt à faire de belles choses, des bons matchs, mais qui pouvait aussi être très irrégulier et sortir un match où on ne me voyait pas du tout. Et ça, ce n’est pas possible. Si on te donne ta chance en pro et que tu passes à travers, ça peut vite être compliqué, car les choses vont vite.
Mais face à ça, on te tient quoi comme discours ?
Le Stade rennais a été top et on ne m’a jamais dénigré. On savait que physiquement, je n’étais pas encore fini, que j’allais arriver peut-être un peu plus tardivement dans le circuit et que malgré les différences techniques que je faisais, ça n’allait pas suffire, là, maintenant, pour performer.
C’est donc pour ça que tu as quitté le club en septembre 2020 ?
Oui, et certains ont trouvé ça stupide. J’ai vu, entendu, notamment sur les réseaux sociaux… Je quittais un club qualifié en Ligue des champions pour rejoindre un autre club de Ligue 1, Nice, et partir dans la foulée en prêt à Lausanne. Des gens se sont demandé : mais c’est quel choix, ça ? Comment peut-on réfléchir comme ça ? Moi, au contraire, tout était réfléchi. J’arrivais dans un club stable de Ligue 1, qui me proposait d’aller m’aguerrir un an en prêt et de découvrir ce dont on a discuté avant – le monde pro, ses détails, ses spécificités –, avant de revenir préparé. Ce projet, je l’ai bien senti. J’avais tout à Rennes : mes amis, mon confort, mes certitudes… Sauf que je voulais me développer et pas seulement rester pour faire quelques entrées en jeu.
Les mois qui ont suivi t’ont vraiment aidé à récupérer les morceaux manquants du puzzle ?
J’ai fait pas mal de clubs (Lausanne, Nice, Clermont, NDLR), mais partout où je suis passé, j’ai été apprécié et j’ai réussi à jouer. Je n’ai pas eu de continuité dans un club, mais j’ai passé des caps, avec des coachs différents, des projets de jeu différents, et oui, je suis bien mieux armé aujourd’hui que je ne l’étais à 19 ans.
Propos recueillis par Maxime Brigand