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Luc Dayan : « Vous n’avez plus d’investisseurs qui acceptent le risque de perdre leur argent »
Luc Dayan a privatisé le LOSC, restructuré le capital de l'OGC Nice, tenté d'acheter le PSG, présidé le RC Lens, sauvé Valenciennes et embarqué dans la galère bastiaise. Autant dire que c'est un homme qui a quelques idées sur l'économie du football français. Spoiler : elles sont noires.
Vous travaillez actuellement sur le dossier du SC Bastia. Où en est-il ?Un mandataire a été nommé pour la SASP, on attend que l’administrateur nous dise la fin de l’histoire. C’est la première étape. Ensuite, on se demande avec quelle structure porteuse on va gérer le club. L’association n’a quasiment pas de recettes. Zéro droit télé, très peu de sponsoring, pas de vente de joueurs. Il y a eu une grosse mobilisation des socios, mais sur un budget annuel autour d’1,7 million, il faut trouver chaque année entre 500 et 700 000 euros. Je serais partant pour utiliser une société coopérative d’interêt collectif, une structure juridique qui permette d’amener des fonds propres. En association, on ne peut pas ramener d’actionnaires. Il y a aussi quelques litiges sur la façon dont cette descente a été gérée, des choses à gratter coté ligue et fédé. Voilà, on va voir, c’est un dossier chaud, intéressant.
Comment en arrive-t-on là aussi rapidement ?Bastia est un exemple type. Le club a été géré avec ses moyens, plus ou moins bien, mais ça tenait à peu près debout. Il descend. Il n’a pas fait de budget prévisionnel pour la Ligue 2, les dettes de l’année précédente sont toujours là, il se retrouve avec un trou de 25 millions d’euros. La DNCG dit : « En Ligue 2, compte tenu des dettes, vous ne pouvez pas continuer. » Donc ils rétrogradent en National. Là, il n’y a plus de droits télé, la dette est encore plus insupportable, donc on vous enlève votre statut pro. Et vous voilà en National 3. C’est un truc de fou ! La valeur du club était reconnue parce qu’il était en Ligue 1, du jour au lendemain tout le château de cartes s’effondre. Il faut repartir en cinquième division, avec les socios, mais pas de recettes, alors que le club a un centre de formation, un stade, des infrastructures qu’on l’oblige à avoir pour être adapté en pro et qui retombent sur les bras des collectivités, parce que vous n’avez plus d’équipe pour les exploiter.
C’est une menace qui pèse sur tous les clubs ?Le problème, c’est que le jour où vous descendez, vous avez une baisse des recettes d’environ 60-70 %, avec les droits télé, les recettes spectateurs, sponsoring… Mais les coûts ne baissent pas autant, parce que c’est long d’adapter les structures, entre centre de formation, service marketing, etc.
Donc vous avez deux options. Soit vous vendez des actifs – joueurs, bâtiments, centre de formation. Quand Lens est descendu, Gervais Martel n’avait pas de fonds propres. Il a vendu Varane, un maximum de jeunes, ses droits marketing à Sportfive pour vingt-cinq ans, il a hypothéqué son centre de formation… Ça lui a permis de boucher les trous, mais ça a amputé les ressources, c’est un cercle vicieux. Soit vous avez la possibilité d’apporter de l’argent en tant qu’actionnaire. Mais avec les tailles qu’ont pris les budgets de club, qui même en Ligue 1 dépendent des ventes de joueurs sur des montants en dizaines de millions d’euros, c’est très compliqué, surtout pour les gros. Et en même temps, c’est quelque part obligatoire, parce que sinon vous déposez le bilan.
C’est ce risque qui repousse les investisseurs ?Regardez les banques ! Depuis une dizaine d’années, elle ne veulent plus ouvrir de lignes de crédit, elles se sont tellement de fois fait planter. Dans mes derniers dossiers, avec Lens puis Valenciennes, quand vous arrivez dans une banque française, avec des statuts de SASP, du capital et même sans demander de ligne de découvert, elle ne vous ouvre même pas le compte. C’est quand même allé loin ! Quant aux lignes de découvert… Les actifs mis en garantie sont tellement dépendants du résultat sportif, parce que les joueurs valent moins quand vous jouez mal, parce que les droits télé sont très variables, que vous n’avez plus que des structures de financement avec des rendements tels qu’elles acceptent le risque de perdre leur argent.
C’est-à-dire ?Vous avez dans le football, depuis 7-8 ans, des fonds qui prêtent avec une grosse exigence de rentabilité, qui ne mettent pas forcément le couteau sous la gorge tout de suite, auxquels les gens qui reprennent des clubs empruntent, parce que personne ne prête et que mettre son argent perso est tellement risqué. C’est un peu ce que font les fonds vautours, comme ce fameux fonds Elliott qui a prêté à la Grèce, etc. Pour des gens qui ont des gros capitaux, et/ou des gens qui ont de l’argent sale, prêter dans ces conditions-là est très intéressant. Sur des milliards d’euros à placer, du 10 %, c’est énorme ! Si ça marche, c’est le jackpot ! Donc il y a eu des structures qui se montent autour des clubs. Indirectement, c’est un peu le même principe que dans l’immobilier au moment de la bulle avec les subprimes, sauf que là, c’est au niveau des entreprises.
On retrouve le fonds Elliott au capital du LOSC. Quel regard portez-vous sur le projet lillois ? Je suis à la racine de tout ça, historiquement ! (Rires.) C’est moi qui ai privatisé le club, qui ai ramené tous les actionnaires, Seydoux, Partouche…
De manière générale, le football est devenu tellement n’importe quoi en matière de modèle économique, qu’au niveau du financement, on ne trouve que des fonds vautours, ou des fonds qui blanchissent – la question de l’origine de l’argent peut quand même souvent se poser –, ou des États qui s’en foutent. Les investisseurs normaux, qui font des business models sains, sont de plus en plus rares. Et en plus on se finance avec l’argent public ! Regardez le stade de Lille : si un jour le club saute, ce sont les contribuables qui vont payer l’investissement. C’est pour ça que je suis en marge de ce système, parce que je pense que ce n’est pas responsable de ne pas l’avoir régulé, de ne pas avoir créé des règles différentes de gestion, d’avoir accepté un système qui par nature s’emballe.
Pourquoi s’emballe-t-il par nature ?Parce qu’avec les ventes de joueurs, on a à la fois masqué et créé le problème de base. On a besoin des ventes. Mais un joueur, en général, il n’accepte d’être transféré que s’il y a une augmentation de salaire. Donc il y a une augmentation des coûts, qui n’est pas rattrapée par l’augmentation des recettes hors mutations. Et donc on fait de plus en plus appel à des systèmes sophistiqués, complexes, parfois douteux et à hauts risques. Et des clubs sautent. L’ensemble du système est devenu trop risqué, on est allé trop loin dans le laisser-aller. On est allé à l’extrême de ce système dans lequel l’aléa sportif consubstantiel à l’activité est lié à des conséquences économiques devenues ingérables. Dans mes premiers dossiers en 2000, les besoins de financement étaient de l’ordre de 2-3 millions. Nice, en 2001, on avait réuni 3-4 millions. Maintenant, il a fallu 30 millions à Lens, 22 millions à Valenciennes, il faut 25 millions à Bastia…
Quelles réformes peut-on envisager ?Moi, ça fait des années que je dis qu’à partir du moment où on est entré dans l’économie du spectacle pour des clubs de foot et que le résultat sportif peut affecter autant une situation économique, je suis pour un système fermé.
La conséquence d’une mauvaise saison sportive sur un club est trop forte à ce niveau d’investissement. J’avais présenté à Thiriez une proposition de système différent pour le football français, à savoir un système fermé à 48 clubs. On n’est pas obligé de faire comme en NBA ! On peut identifier les problèmes, traiter les causes, repenser les choses de façon systémique pour que ça ne s’effondre pas de partout. Ça n’inquiète pas les gens, parce que pour l’instant, ils n’ont pas l’impression que c’est aussi grave. Mais quand j’ai été appelé à Bastia début août, je peux vous garantir que c’était un sinistre ! Valenciennes il y a trois ans : sinistre ! Lens il y a cinq ans : sinistre ! Et il y en a d’autres qui arrivent….
Propos recueillis par Eric Carpentier