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Louis Nicollin : « J’aimerais avoir la Légion d’honneur »
Louis Nicollin est un personnage incontournable du football français. En quarante-trois ans à la tête du club de Montpellier, Loulou a bâti son équipe, remporté des titres et forgé sa légende à coups de déclarations fracassantes. Le président du groupe Nicollin reçoit dans son mas, à trente minutes de Montpellier. Un domaine immense où gambadent diverses espèces d'animaux, dont les taureaux de Camargue qu'il affectionne. L'occasion de découvrir comment Louis est devenu Loulou.
Bonjour Louis. Vous possédez ici des taureaux de Camargue. Qu’aimez-vous chez cet animal ?J’aime le taureau parce que c’est une bête noble et j’aime les taureaux de Camargue parce qu’on ne les tue pas. Ils font des courses à la cocarde. C’est beau, exceptionnel, c’est un patrimoine d’ici, une tradition de la région. J’ai une manade de cinq ou six cents taureaux. Certains courent. On a un champion de France.
Quelles sont les valeurs les plus chères à vos yeux ?J’ai toujours travaillé depuis l’âge de quinze ans. Pendant les vacances scolaires, mon père me faisait ramasser les poubelles pour me faire voir le métier et pour que je sois au contact des hommes qui travaillent avec lui. Je prenais la douche avec eux. Ça m’a beaucoup appris sur les êtres humains. C’est vachement important. Je pense qu’il faut être honnête aussi. Fidèle non, parce que j’aime bien les gonzesses. Travail, honnêteté, c’est déjà pas mal.
En travaillant avec les hommes de votre père, vous dites avoir appris des êtres humains.
Vous savez, lorsque vous avez quinze ans, et que vous prenez la douche le soir après une journée de travail… ce n’était pas les 35h à l’époque. Je travaillais moins que les gars parce qu’on me mettait en double, mais tu voyais ces types qui avaient sué toute la journée pour gagner des sommes qui n’étaient pas si mauvaises que ça, mais ce n’était quand même pas le Pérou. Vider les poubelles à l’époque était considéré comme un métier de repris de justice, de gars qui sortaient de taule. Voir ces gars devant moi, faire les cons dans les douches le soir, ça m’a appris beaucoup de choses. Ils ne parlaient pas encore politique à l’époque. On faisait plein de conneries. Ils m’ont appris comment piquer un quart d’heure au patron. C’était sympa.
La première fois que votre père vous a demandé d’aller bosser avec ses gars, comment l’avez-vous pris ? Normal. Vider les poubelles, ça m’emmerdait un peu, mais comme il me mettait en double… J’étais au milieu du camion avec un gars de chaque côté. Il y avait écrit Nicollin sur le camion, donc quand je croisais des copines, je leur montrais que c’était celui de mon père. Ça ne me déplaisait pas, c’était marrant, et puis j’étais bien payé, alors ça va. J’ai fait quasiment pareil avec mes deux fils, même s’ils n’ont attaqué qu’à seize ans, un an de plus que moi, durant les vacances scolaires. Ils ont tout appris et je trouve qu’ils ne s’en portent pas plus mal. Le plus dur, c’est pour la troisième génération. Celle du petit-fils. Pour le faire travailler pendant les vacances, c’est dur, dur ! Dans mon musée, au milieu des trucs de sport, il aime. La mécanique, il aime. Mais aller vider les poubelles et balayer les rues… Mais ça viendra.
On vous entend rarement parler de votre titre de champion de France 2012. Comme si vous le minimisiez. C’était tellement inespéré. Gagner la Coupe de France, la Coupe de la Ligue, c’est à la portée des trois quarts des clubs de première, voire de seconde division. Mais un titre de champion de France avec tout ce qui se passe à l’heure actuelle… Il y a vingt ans oui, mais maintenant, jamais je n’aurais pensé qu’en 2012, on serait champions de France. Il y avait déjà le Qatari avec Ancelotti et tout ça. Bon, on les a bien niqués et j’étais bien content. Mais ce n’est pas pour ça qu’on va se faire une grosse tête avec.
Ça récompense quand même le travail de toute une vie.Oui, tout le monde n’a pas été champion de France. On est le dernier club français à l’avoir été. Depuis, les Qataris gagnent tout le temps. C’était sympa, enfin bon.
Vous êtes fier quand même ?Ah oui. J’ai tout gagné. Même la Gambardella avec les jeunes, le championnat de France des cadets des dix-sept ans. On a créé la Paillade il y a quarante-deux ans avec mon ami Gasset. On jouait en DHR. On a tout grimpé. C’est quand même beau d’avoir tout gagné. On peut se retirer maintenant, il n’y a pas de problèmes.
Quels sont vos plus gros échecs ? L’échec qui m’a fait le plus mal, c’est en 94, lorsqu’on a perdu la Coupe de France contre Auxerre. Je m’attendais à tout sauf à ça. C’était d’ailleurs le premier titre de Guy Roux. Il doit s’en souvenir encore. On a perdu 3-0. C’était dur, ça m’a marqué. Après, le reste, on est descendus, on est remontés, c’est la vie du football. Peut-être qu’un jour on redescendra, il n’y a pas de problèmes.
Et en tant qu’homme ?Ce n’est pas un échec, mais c’est lorsque mon père a disparu en 1977. Jusque-là, je ne dirais pas que j’étais un branleur parce que je travaillais physiquement, mais pas intellectuellement. Là, il m’a fallu travailler intellectuellement et laisser tomber le physique. Ce qui m’a valu de prendre du poids. C’est la période de ma vie qui a été la plus difficile, mais la plus réussie quand on y réfléchit bien.
Un déclic pour vous ?
Un déclic ! Vous savez quand vous avez un père qui s’est levé avant soi, vous êtes toujours plus ou moins branleur. On sait qu’il a du pognon. Il te paye pour travailler comme un ingénieur. T’as un cabriolet 404. C’est la belle vie. Les gonzesses, tout. Le jour où il n’est plus là, soit on vend, soit on attaque, et on a attaqué ! J’ai attaqué ! J’ai eu la chance de m’entourer de bons collaborateurs, parce que tout seul, c’est impossible. Les gens qui vous disent : « moi ci, moi ça » , ce sont tous des clowns. Tu réussis grâce aux gens qui sont autour de toi. Quel plan d’attaque avez-vous mis en place ? Mon père avait une grosse personnalité. Je me suis dit : « Ça va être dur de garder les marchés. » La chance que j’ai eue, c’est qu’en 1977, pratiquement tous les maires ont changé. À Montpellier, Frêche est arrivé à la place de Delmas. Tous les maires qui connaissaient mon père ont été battus. Moi, j’arrivais avec un nouveau maire. C’était à moi de me démerder : « À moi d’être bon ! »
Vous aviez la pression ?Je n’ai jamais eu la pression, moi. Toujours décontracté. Enfin, décontracté comme ça. Dans la tête, on n’est pas décontracté tout le temps. Mais j’étais bien accompagné. J’avais une femme terrible. Quelle différence entre une personne qui réussit et une qui échoue ? Parfois ça ne se joue à rien. Il faut avoir de la chance. Mon père en a eu énormément.
Il l’a provoquée. Oui. Quand il y a eu les grèves de Lyon en 1949. Il conduisait un camion qu’on avait réquisitionné. Il a eu du cul de tomber sur Édouard Herriot, le maire qui lui a dit : « Vous remercierez le patron. »
Mon père lui répond : « Mais c’est moi, le patron. » Herriot lui dit alors : « Que puis-je faire pour vous ? » « Donnez-moi du travail » , lui lance mon père. Deux mois après, on avait tous les marchés alimentaires de la ville de Lyon. De charbonnier, il est passé à ramasser les ordures ménagères. C’était quand même quelque chose. Moi, là où j’ai eu le premier déclic finalement, c’était à la mort de mon père comme je le disais, mais j’avais quand même déjà commencé à gamberger. En 1974, j’avais gagné le marché de Versailles et la même année, j’avais créé la Paillade. C’était le vrai déclic. J’ai eu du culot. Je suis allé voir ce vieux maire, le sénateur Mignot, en lui disant : « Faites-moi plaisir, donnez-moi le marché. Il y a une société qui est depuis longtemps à Versailles, mais ceci, mais cela… » Il me dit : « Mais tu es un jeune, toi ! » Je lui réponds : « Oui, et mon père dit que je suis un branleur… » Enfin, tout un cinéma. J’ai eu du cul. Il m’a donné les poubelles, mais il a appelé mon père le lendemain pour savoir qui on était vraiment.
Quel genre d’enfant et d’ado vous étiez ?Je n’en branlais pas une, sauf en maths et en histoire-géographie. Le français, je ne pouvais pas voir ça et je ne peux d’ailleurs toujours pas. Lire Baudelaire, tous ces types, ils ne m’ont jamais rien appris. Si j’avais fait avocat ou journaliste, ça aurait pu me servir. Oui, j’étais un branleur, un branleur intelligent.
Et hors école ?Je ne pensais qu’à jouer au foot. Dès que l’école était finie à 16h30, on balançait les cartables contre un mur et on jouait au ballon jusqu’à 19h. On se régalait. Mes parents criaient parfois un peu au secours, mais ils avaient beaucoup de boulot, ils travaillaient comme des bêtes et n’avaient pas le temps de s’occuper de moi. J’étais donc bien tranquille.
Cette gouaille, ce franc-parler, vous l’aviez déjà ?J’ai toujours dit ce que je pensais. Ça plaît ou pas, c’est la vie. Je ne suis pas politique, moi. Quand on est politique, il faut envelopper. Moi, les poubelles, parler aux gars, dans un langage qu’ils aiment, ça ne me dérange pas du tout. Maintenant, si demain, je me retrouve avec le président de la République, je sais quand même bien parler français. Mais quand on me pose une question, je réponds directement ce que je pense. Après, que ça fasse plaisir ou non…
Pourquoi ce jeu perpétuel avec les médias ? Cela fait un moment que je ne joue plus. Après, parfois, on me le demande. On me demande des interviews. Ils savent que je suis un bon client. Ça leur plaît. Ils peuvent écrire des trucs.
C’est dommage. Ils sont contents. Ils veulent savoir des choses sur Monsieur McCourt, Monsieur mes couilles. Monsieur ceux-ci. Je m’en bats les roustons, moi.
Ça ne vous saoule pas ?
Non, honnêtement, ça me fait rire. Je n’ai jamais refusé une interview à un journaliste, même un qui peut m’avoir taillé et tout, ils ont le droit, c’est leur boulot. Je n’ai jamais refusé quoi que ce soit. Si un type te taille, il a certainement raison. Il vient deux mois après t’interviewer, tu lui réponds. Ça ne me dérange pas. Je n’ai jamais gueulé sur un journaliste après un article. Jamais de ma vie. Si quelqu’un dit le contraire, c’est un gros menteur. D’ailleurs, je n’ai jamais fait une équipe de football dans mon club. L’entraîneur a toujours commandé.
Lorsqu’on vous attaque, ça ne vous fait rien ?Si tu as ta conscience tranquille, tu lui pisses à la raie au mec.
Vous ne regrettez pas certains de vos dérapages ? Le seul dérapage que je peux un peu regretter, c’est l’histoire de Pedretti, mais ce n’est pas de ma faute. Enfin, c’est moi qui l’ai dit, mais à la fin du match, j’entre dans le vestiaire, je tombe sur mon entraîneur René Girard qui me dit : « Ce Pedretti c’est une vraie tarlouze. » Je ne savais même pas ce que ça voulait dire, tarlouze. Je dis pédé, mais pas tarlouze. Mon pote Blachon, un ancien de chez nous qui bosse pour Canal, me dit : « Alors Président, quand même, d’avoir perdu ici bêtement… » Je lui réponds : « Ce Pedretti est une vraie tarlouze ! » , voilà ! Alors ça a été un drame. Rama Yade, tout le monde s’en est mêlé. Le pire, c’est que je suis copain avec Pedretti, mais ce qui m’embête le plus, c’est qu’on m’a refusé La légion d’honneur. Je m’en fous un peu, m’enfin, j’aurais aimé l’avoir, au moins vis-à-vis de mon père, mais on me l’a refusé parce que j’aurais mal parlé des homosexuels et que je serais homophobe. Alors que pas du tout. Plus il y en a, mieux c’est pour nous qui aimons les femmes. Enfin, c’est comme ça. M. Braillard se bat tous les trois ou six mois pour me l’obtenir depuis deux ans et un monsieur répond : « Il est homophobe. » Tant pis, enfin qu’est-ce que tu veux. Il disparaîtra peut-être ce monsieur, enfin je crois qu’il est plus jeune que moi, donc ça m’emmerde. Ce chancelier de mes deux, ça fait quatre fois qu’il refuse. Il met le veto, mais peut-être que tu vas me porter bonheur et que je vais l’avoir.
Qu’est-ce que son obtention symboliserait pour vous ? Mon père aurait dû l’avoir en décembre 1977 et il est décédé en mars de la même année. Pour lui, c’était quelque chose de grandiose. Il pensait à ça. À chaque fois, il disait « Je vais l’avoir ! » Il avait l’ordre national du Mérite, tout un tralala. Mais il voulait la Légion d’honneur. C’est pour ça que j’aimerais l’avoir. Je ne sais pas si je peux communiquer avec lui. J’ai fait mes études chez les jésuites, je crois en Dieu, mais enfin, je ne suis pas pratiquant. Alors ce mot tarlouze… Vous n’avez jamais eu peur de personne, sauf de votre père.J’en avais une peur bleue. Est-ce que c’était une forme de respect… Je n’en sais rien, mais j’en faisais des conneries.
Chez les jésuites, il y avait un carnet de notes toutes les semaines. J’en avais un double que je donnais à mes parents, je signais l’autre. Tu parles, au bout de six mois, mon père s’en est aperçu… Je le craignais, mais à part les conneries que je faisais, c’était mon pote. Je sais qu’il parlait toujours bien de moi, mais jamais il ne m’a félicité. C’était interdit dans sa bouche. C’est marrant ça, mais je sais qu’il le disait à des amis, à des gens : « J’ai un fils qui commence à être à la hauteur. » Les miens, je ne les félicite pas non plus, sauf au foot. Parfois quand on gagne, je dis à Laurent : « C’est bien. »
Vous avez déjà eu peur de ne pas réussir ? De brûler ce qu’il a fait ?Il avait déjà construit quelque chose de pas mal. Si je n’avais pas réussi à le conserver, j’aurais été le dernier des derniers. Ce n’était pas de la rigolade, il fallait gagner des marchés, mais il m’a toujours dit : « J’ai telle personne, telle personne sur qui je peux compter » , l’air de dire : « Fais pareil. » J’ai eu la chance d’avoir un ami d’enfance, un autre qui est venu comme directeur général. À trois, on dirigeait tout, on s’est bien démerdés.
–> La deuxième partie de l’interview est à retrouver demain, à 14h, sur sofoot.com
Propos recueillis par Flavien Bories