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LOSC : les convaincus

Par Maxime Brigand
LOSC : les convaincus

Au bord de l'explosion au printemps 2018, le LOSC vient de décrocher à Angers (victoire 2-1), trois ans plus tard, le quatrième titre de champion de France de son histoire. Plongée dans les lacets d'une ascension brillante.

Ça a commencé par des yeux rouges, des hommes en colère et un chant, hurlé un soir du printemps 2018 par un peu plus de 200 types descendus prendre d’assaut une pelouse à la fin d’un match de Ligue 1. Le chant : « Si on descend, on vous descend. » Les types : des membres des Dogues Virage Est (DVE) excédés par l’évolution de la courbe de la saison d’un LOSC au bord du précipice, dix-neuvième du championnat et alors incapable de faire tourner un exercice marqué par des bombes à tous les étages. Cette nuit de mars, Lille venait de concéder un nul à domicile face à Montpellier (1-1) et Christophe Galtier, arrivé aux manettes quelques mois plus tôt pour reprendre le volant laissé par Marcelo Bielsa, viré par le club nordiste pour faute grave en novembre 2017, voyait une situation brûlante exploser sous ses yeux. Presque incontrôlable, mais tout sauf imprévisible. Après la rencontre, Galtier expliquera même savoir que « cela pouvait arriver », là où son jeune capitaine, Ibrahim Amadou, avait ainsi calmé les braises : « Les supporters ont réagi comme si le championnat était fini et qu’on était déjà descendus en Ligue 2. Mais non, il reste neuf matchs. C’est comme s’ils n’y croyaient plus, alors que nous, on y croit encore. Ceux qui veulent nous soutenir sont les bienvenus. Les autres peuvent rester chez eux. »

Trois ans plus tard, que reste-t-il de cette soirée ? Trois joueurs pour trois symboles, d’abord. Le premier : Mike Maignan, arrivé au LOSC lors de l’été 2015, devenu numéro un sous les ordres de Bielsa, international en octobre 2020 et surtout « Magic Mike » dans le Nord, où il aura été ces dernières saisons un pilier essentiel du projet moderne lillois. Le second : Luiz Araújo, repéré, tout comme toutes les pièces du puzzle géant qu’est aujourd’hui le club nordiste, par l’armée de Luis Campos alors qu’il n’était qu’un gosse et qui aura su être patient avant de faire passer quelques frissons sous le maillot des Dogues. Le troisième : Boubakary Soumaré, qui n’était qu’un jeune espoir en mars 2018 et qui a, lui aussi, été recruté par Campos avant de devenir progressivement, à 22 ans, un joueur qu’un paquet de gros clubs regardent avec tendresse. Reste aussi, et peut-être avant tout, un homme : Christophe Galtier, solide dans les secousses, qui a su sauver le club, le reconstruire aux côtés du tandem Gérard Lopez-Luis Campos et l’amener grâce à une maîtrise totale (technique, tactique, managériale, psychologique) vers le premier titre de champion de France du LOSC depuis 2011. La fin d’une boucle de quatre ans assez dingue.

La pose du tronc

Une boucle qu’il est possible d’attaquer d’abord par un constat, fait par Galtier lorsqu’il a posé pour la deuxième fois de sa vie ses valises à Lille : « Le choix de venir au club est avant tout affectif, parce que j’ai joué trois ans ici à la fin des années 1980, que le LOSC a changé de dimension, qu’il y a Pierre-Mauroy, un outil magnifique, et surtout un projet excitant… Je sors de six mois de coupure volontaire et on me propose ce projet avec un gros potentiel, tenu par de jeunes joueurs, de différentes nationalités, un président qui a des leviers financiers pour créer quelque chose de très dynamique, Luis Campos. Je voulais faire grandir un groupe et j’avais l’ambition d’être un entraîneur différent. J’avoue que je pensais que ça allait être un peu plus simple, que ça allait le faire, mais pas du tout… Car en arrivant, je découvre un manque de cohésion, des mecs qui n’ont pas d’histoire commune, qui ne parlent pas la même langue. Je ne vois aucun mix entre les francophones et les non-francophones. Mon boulot, du coup, c’est de faire que ça prenne. » Problème : lors de l’hiver 2017, le LOSC se fait rattraper par le col par la DNCG et est interdit de recrutement, ce qui place encore un peu plus le club dans une zone de turbulence après une première partie de saison à cinq petites victoires.

Au départ, le groupe n’avait aucun joueur d’expérience, pas de colonne vertébrale. Nous avions les branches, les pousses, mais pas de tronc.

Pendant les premiers mois, Galtier va alors agir dans l’urgence, colmater ce qu’il est possible de colmater, voir ses jeunes pousses arracher un succès fondateur et décisif à Toulouse (2-3), puis ensuite bosser pour faire naître un « tronc ». « Au départ, le groupe n’avait aucun joueur d’expérience, pas de colonne vertébrale. Nous avions les branches, les pousses, mais pas de tronc, décryptait l’ancien coach des Verts lors d’un entretien réalisé en novembre 2020. Dans un club, il faut de la jeunesse, de l’énergie, mais il te faut aussi des cadres pour t’amener du calme dans les moments difficiles, des joueurs qui connaissent toutes les situations. Et à partir de l’été 2018, j’ai senti la différence avec José Fonte, Loïc Rémy et Jérémy Pied. Ils nous ont amené du professionnalisme. On a structuré la base, sans compter que les jeunes qui venaient de connaître la galère ne voulaient plus la vivre de nouveau. » Au printemps 2019, banco : au bout d’une saison exceptionnelle, le LOSC termine dauphin du PSG, et Gérard Lopez, arrivé à la barre en janvier 2017 contre 80 millions d’euros et avec 95% des parts du club dans les poches, fait basculer son destin, offrant notamment une victoire XXL face aux Parisiens (5-1) en avril à des supporters qui ne veulent plus jouer de la batte de baseball.

Milan, le tournant

L’opacité sur les fonds ayant permis à Lopez de succéder à Michel Seydoux a alors été un temps oubliée. Logiquement, il n’y en a eu que pour le cœur du foot : le terrain, où s’est parfaitement mis en branle un projet novateur, international et ambitieux. Un projet devenu européen, le LOSC s’offrant une campagne de Ligue des champions lors du deuxième semestre 2019 – marquée par aucun succès, un nul et cinq leçons d’expérience – et une de Ligue Europa cette saison, consécutive à la quatrième place du club au bout d’une saison 2019-2020 coupée dans son élan par la crise sanitaire. C’est peut-être justement lors d’un voyage européen que la saison lilloise a basculé : une nuit à Milan, début novembre, lors de laquelle on a vu le LOSC briller au San Siro et faire exploser sans sourciller le Milan (0-3, triplé de Yazıcı). « Ce match change tout, ou plutôt il vient tout renforcer, appuie un proche de l’effectif. C’est un tournant psychologique, car le match est une leçon de maîtrise, et à la fin de la rencontre, on voit même que les joueurs se sont tellement rendus le match facile qu’ils s’amusent à vouloir faire marquer Isaac Lihadji. C’est incroyable. Mais derrière, tout le monde a su garder la tête froide. »

Là est la principale force du LOSC 2020-2021 : sa capacité à n’avoir jamais vraiment paniqué, si ce n’est lors de la récente réception de Saint-Étienne (0-0), malgré certaines gamelles comme à Brest (3-2) ou lors de quelques rencontres à domicile au cours d’une deuxième partie de saison moins maîtrisée collectivement, même si les Lillois ont su se resserrer dans les moments où ils avaient interdiction de lâcher comme à Monaco, Paris, Lyon ou Lens. Meilleure défense de Ligue 1 et troupe qui a concédé le moins de revers cette saison (trois), le Lille de Galtier a ainsi réussi à faire naître le rêve après lequel cavale chaque coach, quel qu’en soit le niveau : un sentiment de force collective. « Ça, on l’a rapidement senti cette saison, abonde un autre intime du groupe. Il y a vraiment l’idée de l’aboutissement d’un projet. C’est comme si, quatre ans après l’arrivée de Gérard Lopez, toutes les cases avaient enfin été cochées. Tout a été parfaitement maîtrisé, que ce soit le recrutement, ou la Covid. Au-delà du fait que le LOSC est certainement le club qui a eu le moins de blessés cette saison, c’est aussi celui qui a été le moins affecté par le coronavirus grâce à un protocole très cadré. Les risques ont été minimisés, ça a aussi joué. »

Le puzzle de Campos et un Galtier 2.0

À l’heure du bilan, un autre homme ne doit pas être oublié. Il s’agit évidemment de Luis Campos, architecte sportif du LOSC version Lopez et qui, quatre ans après avoir vu l’AS Monaco profiter de ses méthodes pour grimper sur le toit du championnat de France, vient de récolter une nouvelle récompense malgré le départ du tandem à la fin de l’année 2020. Rencontré alors qu’il était encore conseiller du club lillois, le nez le plus fin du continent avait presque déjà prévu l’affaire, évoquant sa mission en « cycle olympique ». « Mon souhait, c’est qu’à la fin d’une période de quatre ans, 2017-2021, le LOSC soit dans une situation différente de celle que l’on a récupérée en arrivant, soufflait-il alors. On me vire un salaire pour mes missions afin d’améliorer chaque jour les choses, et quatre ans, ça offre une vision large et une période suffisante pour atteindre un pic de forme optimal. C’est ce qu’il s’était passé à Monaco. Lorsque je suis arrivé en 2013, le club venait de remonter en Ligue 1, l’effectif était à reconstruire, le jeune Kylian Mbappé voulait presque partir et, au bout du cycle, le club a été champion de France et demi-finaliste de la Ligue des champions. Je ne travaille pas pour être reconnu, mais pour laisser une trace et un héritage. Là, l’idée était de faire passer le club dans la modernité, de le structurer à tous les étages, de l’aider à rendre les gens heureux… » Mission réussie, Campos réussissant tout au long de son aventure nordiste à assembler ce que l’un de ses anciens collaborateurs décrit comme un « puzzle » : « Luis prenait souvent cette image et nous disait que le but n’était pas de trouver la plus belle pièce, mais de trouver celle qui allait avec les autres. Dans un club de foot, il y a une cinquantaine de pièces et elles doivent s’emboîter car si elles ne s’emboîtent pas… »

Pour y parvenir, plusieurs choses auront été réalisées. Luis Campos a d’abord confirmé son statut de chercheur hors pair en traquant pendant de longs mois et dans la discrétion la plus totale des talents comme Zeki Çelik ou Sven Botman. Le Portugais a aussi été capable de convaincre toutes ses recrues du bien-fondé de venir au LOSC en n’hésitant parfois pas à jouer avec sa santé. L’histoire raconte ainsi qu’au printemps 2018, Campos s’était échappé d’un hôpital au lendemain d’une opération de la mâchoire contre l’avis du médecin pour prendre un avion et se rendre en urgence dans un hôtel parisien face à Jonathan Bamba, alors joueur de l’AS Saint-Étienne. En voyant arriver le conseiller sportif avec la mâchoire déformée, le jeune ailier n’avait alors plus hésité à partir à la guerre avec lui. Même chose avec Yusuf Yazıcı, pour qui Luis Campos n’avait pas hésité à partir à Trabzon quelques heures seulement après un match du LOSC à Lyon, à s’embrouiller avec un paquet de personnes, et ce, jusqu’à faire plier son monde, convaincu que le jeune international turc pouvait jouer un rôle dans le projet lillois.

On va être champions, ne vous inquiétez pas ! Vous êtes des chiens de combat. Vous allez voir.

Autre cas marquant, symbole de la saison actuelle des gens du Nord : celui de Burak Yılmaz, 35 ans, que Campos a réussi à ramener d’un voyage de plusieurs jours à Istanbul après plusieurs réunions et en le convainquant qu’un séjour à l’étranger lui permettrait de revenir « en héros en Turquie pour l’Euro » selon un proche du dossier, qui complète : « Avec Burak, Luis a marché à l’affect. Il lui a dit des choses simples : « Regarde notre projet sportif, sors de ta zone de confort et tu reviendras au pays comme une bombe. » Comme il était un petit peu au bout de l’aventure chez lui, en Turquie, ça a été un boost. » Et Yılmaz, arrivé pour suppléer Loïc Rémy, a amené sa rage, son expérience et ses buts à Lille, se fondant parfaitement dans un effectif international, géré par un staff international. Preuve par l’exemple, après la récente contre-performance face à Saint-Étienne, on a entendu l’attaquant turc hurler dans le couloir de Pierre-Mauroy et lâcher : « On va être champions, ne vous inquiétez pas ! Vous êtes des chiens de combat. Vous allez voir. »

Changer de dimension

Un autre élément de la méthode Campos : la mise en place au LOSC d’une Cellule d’appui aux joueurs (CAJ), tenue par quatre personnes chargées de répondre quotidiennement aux demandes des joueurs afin qu’ils ne se concentrent que sur le terrain et qui aura notamment aidé, entre autres, Jonathan David à ne pas totalement perdre confiance au cours d’un début de saison compliqué face au but avant de le voir devenir un élément décisif au fil de la saison. « Par son expérience et ses méthodes, Luis nous a aidés à toujours avoir deux ou trois temps d’avance sur les autres », saluait Christophe Galtier, toujours en novembre dernier, lui qui a aussi excellé dans sa gestion des hommes tout au long d’une aventure qui devrait prendre fin après ce titre.

Un titre qui va faire changer le coach français de dimension, ce qui fait aujourd’hui balancer son avenir entre Naples, Nice et Lyon, et qui est venu récompenser la version 2.0 du Galette entraîneur, lui qui a su rebosser ses convictions après ses années stéphanoises pour aller vers un football plus moderne, plus rythmé et plus intense : tout ce qu’aura été le LOSC cette saison en présentant l’une des attaques les plus riches de Ligue 1, mais aussi l’organisation défensive la plus solide. Demain, c’est une autre ère qui va s’ouvrir : de nombreux joueurs (Maignan, Soumaré, Renato Sanches, Ikoné, Araújo, Bamba, Çelik, Yazıcı, Botman…) pourraient quitter le club, Christophe Galtier devrait suivre, et Olivier Létang, qui a pris la présidence du club avant Noël, alors que le LOSC était au bord de l’implosion économique, va poursuivre la pose de ses fondations. Une page va se tourner à Lille, mais sur une cerise royale et de nouveaux yeux rouges : de bonheur, cette fois-ci.

Dans cet article :
Gérard Lopez condamné à dix mois de prison avec sursis
Dans cet article :

Par Maxime Brigand

Tous propos recueillis par MB.

Lille, le nouveau roi de France !
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