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Lorient-Bournemouth : strange connection
Alors que le FC Lorient passe minoritairement sous pavillon américain, focus sur les liens qui unissent désormais le club morbihannais et son grand frère Bournemouth. Ces mêmes liens qui pourraient siphonner à court terme les Merlus d'éléments aussi précieux qu'Outtara, Le Fée ou Moffi.
En un peu plus d’un an, le paysage footballistique français s’est mondialisé à grands coups de chéquiers étrangers. Le Paris FC à Bahreïn, l’ESTAC aux Émirats arabes unis, les Girondins de Bordeaux au Luxembourg ou, plus récemment, l’Olympique lyonnais aux États-Unis. Les investisseurs américains ont justement enchaîné avec une autre prise hexagonale, s’offrant une part du FC Lorient, par l’intermédiaire de William « Bill » Foley, propriétaire depuis mi-décembre de l’AFC Bournemouth. Les Merlus intègrent ainsi un consortium économico-sportif inédit dans leur histoire, et s’ajoutent à la liste de ces clubs qui ont opté pour une fonction « satellite » auprès de l’ogre Premier League.
Foley douce
Il n’aura d’ailleurs fallu qu’un mois à William Foley pour s’installer durablement dans le soccer. Ce dernier, magnat pluriel en immobilier, assurances ou services financiers, a en effet lancé sa compagnie sportive nommée Black Knight Sports & Entertainment au milieu des années 2010. D’abord propriétaire de l’équipe des Vegas Golden Knights en NHL, puis des Vegas Knight Hawks en Indoor football (football américain disputé en salle), BKSE s’est donc lancé sur le marché européen, pour devenir BKFE (Black Knight Football & Entertainment). Le 13 décembre dernier, Bournemouth officialisait ainsi son rachat complet par l’investisseur, en succession du Russe, Maxim Demin, affecté par la guerre en Ukraine après onze ans de gestion (en dépit de sa nationalité britannique). « Il y a beaucoup d’enthousiasme, quant à l’arrivée d’un milliardaire américain dans un modeste club comme Bournemouth, lance Tom Crocker, spécialiste du club pour le Bournemouth Echo. Le dernier propriétaire, Maxim Demin, faisait du bon boulot, mais il restait trop en retrait, et les fans n’ont jamais entendu parler directement de lui. Bill Foley a pris le contre-pied, en s’affichant plus avec les fans et en tentant de se montrer plus transparent quant à ses ambitions. » Une méthode de séduction made in USA en résumé.
C’est ainsi qu’un mois plus tard, le 13 janvier 2023, le FC Lorient devenait le premier club filial du groupe Foley. « Ce partenariat, qui prévoit une augmentation de capital, permettra notamment de renforcer les fonds propres du groupe FCL, pouvait-on lire dans le communiqué publié par le FCL. Il assure aussi la pérennité du club avec une continuité de gestion puisque Loïc Féry, unique propriétaire du FC Lorient depuis 2009, reste l’actionnaire majoritaire et conserve la présidence du club qu’il occupe depuis quatorze saisons. » L’arrivée d’une ère nouvelle dans le Morbihan, qui confirme surtout l’appétit grandissant et interrogatif des Américains pour le marché du football européen. « Les Américains ont essayé de créer des connexions avec la NFL ou la NBA, mais cela n’a jamais pris, explique Vincent Chaudel, économiste du sport. Alors ils ont fait dans le pragmatisme : l’équipe féminine des USA performe, la MLS prend de l’ampleur et un groupe comme Apple a signé un contrat de diffusion de dix ans avec cette même MLS. Tout cela a donc conforté les riches investisseurs locaux de foncer vers le soccer, pour s’installer en Europe. » Pour Lorient, l’aubaine devenait alors également trop belle.
Cherries, je vais rétrécir les Merlus
Suffisant pour d’expliquer l’attrait de ces nouveaux investisseurs pour des écuries « modestes » de Ligue 1 ? Vincent Chaudel précise. « Les Américains, comme les propriétaires de Bournemouth, ciblent ce type de clubs en France pour trois raisons : d’abord la fiscalité et la facilité d’accès, qu’on ne leur propose ni en Angleterre, où les clubs coûtent trop cher, ni en Allemagne, avec le système du 50+1, ni en Italie, avec de lourds investissements liés à la vétusté des infrastructures, ni en Espagne avec les socios. Ensuite, il y a le besoin économique des clubs français, qui ont enchaîné Covid et fiasco Mediapro. Et enfin, la valeur sportive de nos équipes, à travers le vivier de talents dont on dispose, à même de servir la politique de trading de plus en plus utilisée. »
[LETTRE OUVERTE – 18 JANVIER 2023] pic.twitter.com/SR5qLfuNG7
— Merlus Ultras 1995 – Kop Sud FC Lorient 1926 (@KopSudFCL1926) January 18, 2023
Un package gagnant-gagnant, offrant à Lorient un moyen de se refaire une santé, au détriment, cependant, d’une réelle ambition sportive. En témoignent les transferts annoncés de Dango Ouattara, Enzo Le Fée ou Terem Moffi vers les Cherries, pour des sommes conséquentes, avoisinant les 30 millions d’euros. De quoi faire enrager le collectif de supporters Merlus Ultras 1995 dans une lettre ouverte, arguant que le FCL n’est pas « une succursale », refusant que leur club devienne « un vulgaire club satellite » et ajoutant que « Bill Foley ne sera jamais le bienvenu ». Pour Crocker, l’issue est néanmoins inévitable. « Désormais, il semble quasi naturel que les meilleurs joueurs de Lorient soient enrôlés par Bournemouth. C’est le jeu des clubs satellites. Foley a parlé de son désir d’un modèle multiclubs, impliquant Bournemouth, Lorient et deux autres clubs à l’avenir. Le plan sera de déplacer les joueurs dans ces clubs, avec Bournemouth en équipe principale. Foley ne s’est jamais caché et ambitionne de qualifier les Cherries pour l’Europe dans les cinq prochaines années. Lorient est donc devenu un tremplin. »
Vision à long terme ?
Car si ce système en multipropriété, ou MCO (Multiple Club Owners) est souvent peu apprécié des observateurs, il semble aujourd’hui inévitable. Dans un modèle économique vorace, creusant largement les écarts entre gros et petits clubs. Pour Lorient, la formation puis le transfert de ses meilleurs joueurs à Bournemouth deviendraient donc un processus automatique. « Pour moi, sans être dans les coulisses des deux clubs, l’hypothèse principale est celle de l’échange de capital contre un actif, conclut Vincent Chaudel. Pour boucler son budget, Lorient a certainement dû avoir besoin d’une certaine somme, près de 30 millions d’euros en l’occurrence et, en échange, Bournemouth en a profité pour signer Dango Ouattara et peut-être Enzo Le Fée. C’est le risque à prendre avec ces MCO, où vous obtenez une certaine garantie financière, mais en échange de vos meilleurs éléments sportifs. » Pour le FCL et son entraîneur Régis Le Bris, fort d’un excellent début de campagne en championnat, ce chahut hivernal sonne donc comme un bouleversement collectif d’envergure.
La quête d’une place dans le top 5 de Ligue 1, bien lancée depuis le mois d’août, se trouve en effet secouée avec ces départs annoncés. À moins d’un plan B déjà dans les tuyaux, tel que le suggère Tom Crocker. « J’ai quand même du mal à croire que tous ces changements ne se soient décidés qu’en ce mois de janvier. Je pense même qu’il faut attendre l’année prochaine pour vraiment voir l’impact de cette connexion entre Lorient et Bournemouth. Bien sûr, imaginez que Lorient se qualifie pour une Coupe d’Europe, mais que Bournemouth soit relégué à la fin de la saison. On fait quoi ? Je pense que Foley a préféré anticiper en signant Ouattara et les autres, pour assurer le maintien de Bournemouth, et ensuite préparer sereinement ses plans la saison prochaine. » En attendant, chacun des deux clubs devra assurer sportivement jusqu’à l’été. Avant de rêver plus grand ?
Par Adel Bentaha
Propos de Vincent Chaudel et Tom Crocker recueillis par AB.