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Lopetegui, le cadeau empoisonné
Julen Lopetegui a tout quitté, dont un Mondial avec la sélection espagnole, pour réaliser son rêve : entraîner le Real Madrid. Désormais à la tête du triple tenant du titre de la Ligue des champions, il espère faire au moins aussi bien que son prédécesseur. Une mission impossible ou presque, n’en déplaise à ses compétences. N'est-ce pas, Rafa ?
Des larmes qui en rappellent d’autres. Au lendemain de son éviction du banc de la Roja, Julen Lopetegui, les joues humides, les yeux bouffis, ne peut retenir son émotion à l’heure de sa présentation comme nouvel entraîneur du Real Madrid. Les montagnes russes de sentiments contradictoires, sans doute, expliquent ces larmoiements incontrôlés qui, bon gré mal gré, le renvoient à son passé madridista. Car homme de la Maison-Blanche, où il a fait ses classes de gardien – au Castilla, de 1985 à 1988 –, puis d’entraîneur – toujours au Castilla, en 2008-2009 –, Lopetegui revient par la grande porte dans ce qu’il considère comme « son rêve le plus cher » . Trois ans plus tôt, dans cette même loge d’honneur du Santiago-Bernabéu, le prélude de cette scène est joué par Rafael Benítez. Les pleurs, les discours, l’ADN merengue… le parallèle entre les deux hommes, les deux situations, est saisissant. Reste désormais une question en suspens pour tout le Madridismo : le successeur de la légende Zidane connaîtra-t-il un destin de champion à la Del Bosque ou de fusible à la Benítez ?
Le spectre de Benítez, l’ombre de Zidane
À cette question épineuse, seul peut répondre le fossoyeur d’entraîneurs Florentino Pérez. Après quatre journées de championnat et une Supercoupe d’Europe perdue face à l’Atlético, le président du Real Madrid reste, forcément, dans l’expectative. Mais il n’en demeure pas moins perplexe. Le problème ne tient pas aux compétences techniques de son nouvel entraîneur, maître es tactique, qui n’a cessé, durant ses deux ans de mandat à la tête de la sélection espagnole, de perfectionner, quitte à alambiquer, les stratégies de son équipe. Non, le hic est ailleurs, et a beaucoup à voir avec le mysticisme entourant son prédécesseur. Quand Zinédine Zidane, sans véritable génie tactique, mais avec son aura divine, réussissait à transformer un jeu simple, basé sur des récupérations et des transitions rapides, en trois Ligues des champions consécutives, il disposait alors d’une arme létale répondant aux initiales de CR7. De là à ce que Lopetegui transforme à son tour l’eau en vin, le tout sans sa divinité de Madère, il y a un pas que personne autour du Santiago-Bernabéu ne semble prêt à franchir.
Il en va également de la difficulté à prendre les commandes d’une formation au sommet. Avec son triptyque de Coupes d’Europe estampillé ZZ, le Real Madrid ne peut aller plus haut. Le Graal étant atteint, la descente n’en sera que plus fâcheuse. Et c’est bien ce que Rafael Benítez a appris à ses dépens durant ses six mois éphémères sous la guérite du Santiago-Bernabéu. Appelé à prendre la relève de Carlo Ancelotti, principal instigateur de la conquête de la Décima qui mit fin à douze années de disette sur la scène européenne, le Madrilène de naissance et Madridista de cœur pensait régénérer le plan de jeu du Real en faisant fi des étoiles peuplant son effectif. Erreur, fatale erreur, qui, en à peine une demi-saison de tâtonnements et de couacs, lui a coûté son poste. C’est que, ô surprise, le Real n’est pas le Barça : l’identité du monstre de Chamartin ne rime pas avec 4-3-3, tiki-taka ou la Masia, comme il en va chez son rival blaugrana de toujours. En résumé, la souplesse du management des hommes prévaudra toujours au sein de la Maison-Blanche.
« On travaille pour l’équipe, pas pour un joueur »
Avec le non-remplacement de Cristiano Ronaldo, parti vers la Juventus, Florentino opte pour une stratégie mercantile qui étonne. Le président madridista s’est toujours caractérisé par ses achats compulsifs, mais place aujourd’hui Gareth Bale et la jeune garde espagnole – Isco, Ceballos, Asensio, Carvajal, Asensio, Odriozola, Nacho… – au centre du projet madrilène. Fort de son nouveau statut de tête de gondole du Real, le Gallois respire sans l’ombre du Portugais et dégaine déjà quelques conclusions hâtives peu en accord avec l’histoire des succès madrilènes.
Car à trop répéter que « l’on travaille pour l’équipe, pas pour un joueur » , il en oublie que le mythe du Real et de la C1 s’est toujours construit autour de superstars et de leurs ego. De fait, l’effectif de Lopetegui se rapproche plus de la Quinta del Buitre, cette bande de jeunes Espagnols issus du centre de formation qui, à la fin des années 1980, a fait le bonheur du Santiago-Bernabéu. C’est oublier que la génération de Butragueño n’a jamais soulevé la Coupe d’Europe, seul objectif viable pour le président Pérez. Et s’il n’est pas atteint, le futur de Lopetegui pourrait s’inscrire dans la continuité de celui de Benítez. Qu’importe, Zidane sera encore libre en janvier.
Par Robin Delorme