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Looking for Eric

Par Maxime Brigand
7 minutes
Looking for Eric

Il est né en Angleterre, mais pendant longtemps ne s'est pas senti anglais. Pourtant, de retour dans son pays natal depuis un peu plus d'un an, Eric Dier est le nouvel invité de la bande à Hodgson à quelques mois de l'Euro français. Le tout avec une enfance passée à Lisbonne, un grand-père qui argumentait contre Thatcher et un père ancien classé à l'ATP.

C’est un gamin. Il n’a que vingt ans. Personne ne le connaît, ou presque. À Upton Park, c’est sûr, il n’est personne. Il fait beau sur Londres, on est le 16 août. En contrebas, West Ham reçoit Tottenham. La Premier League ouvre son bal, et personne ne sait ce que la saison va donner. Les Spurs viennent de changer d’entraîneur, exit l’intérimaire Tim Sherwood, Mauricio Pochettino est arrivé. Avec lui, un nouveau cycle : Ben Davies, Federico Fazio, Benjamin Stambouli, Dele Alli et Eric Dier. Un vent frais pour éponger les erreurs du passé.

Pour sa première, le technicien argentin galère, explore les failles d’un effectif renouvelé. Dier est posé au coup d’envoi aux côtés de Younès Kaboul en défense centrale. Le gosse découvre l’Angleterre du football, un pays où il est né, mais qu’il n’a quasiment pas connu. Il ne reste que quelques secondes. Il frappe, et donne la victoire à Tottenham. Les Spurs s’imposent 1-0 et lancent leur saison. Eric Dier marquera de nouveau une semaine plus tard, face aux Queens Park Rangers (4-0). Tottenham est premier après deux journées. On est en août 2014. Dier s’est fait un nom. En 180 minutes.

Entre les murs de Lisbonne

Cet été-là, c’est un gosse qui éclate à la gueule de l’Angleterre toute entière. Dans les tribunes de White Hart Lane, on murmure son nom, certains supporters travaillent même autour d’une chanson sur le phénomène. Eric Dier est pourtant un étranger. Il aime se définir comme tel. Il ne parle pas le même football. Le sien est une histoire de mixité, un mélange des genres footballistiques. Comme beaucoup, il a passé des heures à frapper dans un ballon contre un mur. Un bloc de béton simplement différent. Il était posé à Faro, à l’extrême sud de l’Algarve, au Portugal. C’était au début des années 2000. Son pays d’adoption s’apprêtait à recevoir un championnat d’Europe. Ses parents ont décidé de s’y installer après quinze jours de vacances. Pour changer de vie.

Eric n’a alors que sept ans. Ses parents, Louise et Jeremy, ses trois sœurs et ses deux frères veulent tourner une page. Celle de la carrière de tennisman professionnel de Jeremy, ancien 344e joueur mondial. Louise, elle, était à l’époque employée dans l’hôtellerie. Elle profite de l’Euro 2004, source d’emplois, pour pousser sa famille à quitter l’Angleterre. Direction le Sud de l’Europe, le Portugal. Ce sera Faro d’abord en 2001, Lisbonne ensuite trois ans plus tard avec un job dans l’organisation du championnat d’Europe pour la mère de famille. Eric, lui, n’est pas particulièrement attiré par les salles de cours. Son truc, c’est le football. Il rêve en rouge et blanc à travers les images de son équipe favorite, Manchester United. Ses profs de l’époque, eux, l’aiment bien, car le gosse est doué. Il évolue alors en défense dans un 2-3-1 tiré du foot à sept au sein de la jeunesse du Sporting Portugal, la fabrique légendaire des néo-prodiges portugais. L’Académie du club a fait naître Cristiano Ronaldo, Ricardo Quaresma, Simão hier. Luís Figo avant-hier. Eric veut en être, il est un Verde e Brancos.

« Le Sporting est l’école de la vie. Avant tout, on nous enseignait à devenir des personnes polies et respectueuses des autres. Un éducateur ne vous engueulera pas si vous ratez une passe, mais seulement si vous manquez de respect à un adversaire, se rappelait il y a quelques jours Eric Dier dans les colonnes du Guardian. L’essentiel du travail était basé sur l’analyse. Pour eux, un bon joueur était avant tout quelqu’un qui savait analyser ses erreurs pour ne plus les commettre. Un mauvais joueur est celui qui la fera deux fois. » On est à l’extrême opposé de l’éducation sportive d’un joueur anglais où le physique est primordial dans la plupart des cas. Le formateur portugais est un taiseux, il aime laisser ses ouailles face à leurs responsabilités. Eric se forge en tant que joueur de football, mais avant tout en tant qu’homme. Le Sporting tient l’une de ses nouvelles pièces pour le futur. Il le sait.

Dans le bureau de Thatcher

L’Angleterre, elle, n’en a pas encore conscience. Manchester United s’intéressera un temps au gamin, sans suite. La famille Dier rentre de son côté au pays en 2010. Eric reste à Lisbonne et continue d’apprendre au sein de l’Académie du Sporting à Alcochete. Le club, pionnier en matière de formation au début des années 2000, couve alors son phénomène. Domingos Paciência, l’entraîneur de l’équipe première, estime qu’il est encore trop tôt pour lancer son poulain face à la horde. Le défenseur doit s’épaissir, grandir physiquement, finir de développer son corps de footballeur. Son premier contrat professionnel a été signé en avril 2010. Eric Dier est alors à l’époque l’une des premières expérimentations de la tierce propriété.

L’apprentissage prendra alors la forme d’un prêt. Un voyage formateur à Liverpool, chez les Toffees d’Everton dont l’Académie est gérée par l’ancien joueur Alan Irvine. Pour six mois dans un premier temps, douze supplémentaires ensuite. De janvier 2011 à juillet 2012. Le choc est brutal sur tous les points : « Je voulais simplement qu’on me sorte de ce cauchemar. Les six premiers mois ont été terribles. Le style de vie, le temps, les gens, l’accent de Scouser… » Eric Dier joue alors avec la réserve et est convoqué à plusieurs reprises dans les sélections nationales de sa catégorie. Il découvre son identité anglaise. Le maillot de son pays sera blanc. Par devoir et par mémoire.

Celle d’un grand-père maternel, mort deux ans avant la naissance d’Eric, mais qu’il cite souvent en exemple. Cet homme, c’est Ted Croker, l’ancien secrétaire de la Football Association. En poste dans les années 80, Croker reste dans la mémoire collective britannique comme celui qui a placé la Dame de fer Thatcher, alors Premier ministre, face aux conséquences de sa politique. C’était en 1985, dans les bureaux de Downing Street. « Que comptez-vous faire pour lutter contre ces hooligans, monsieur Croker ? – Ce ne sont pas mes hooligans, madame. Ce sont les vôtres, les produits de votre société. » Le football anglais est alors rongé de l’intérieur par le hooliganisme et collectionne les tragédies humaines de Valley Parade à Hillsborough. Ce chef de clan restera comme le guide intime d’Eric Dier.

Le maillon d’Hodgson

À son retour à Lisbonne à l’été 2012, Frank Vercauteren, l’entraîneur belge du Sporting, le lancera chez les grands. La classe biberon est terminée, Eric Dier est un homme, et le défenseur qu’il est doit le prouver. Leonardo Jardim poursuivra le travail de finition jusqu’à l’été 2014 avant que Dier rejoigne les Spurs de Tottenham et Mauricio Pochettino sur les conseils de ses partenaires de la sélection anglaise espoir, Luke Shaw et James Ward-Prowse. La suite est désormais connue. Deux buts lors de ses deux premières sorties avec Tottenham – première dans l’histoire de la Premier League pour un défenseur – et un rôle affirmé dans la nouvelle politique mise en place par le club londonien depuis l’arrivée de Pochettino.

Le défenseur a, depuis, glissé au milieu, où son volume de jeu ne cesse de bluffer. L’opération séduction a été immédiate, surtout depuis l’explosion aux côtés de Dier de l’excitant Dele Alli. La paire est devenue indispensable. Le coup tactique de Pochettino a fonctionné, et Hodgson ne peut aujourd’hui plus s’en passer, lui qui tâtonne encore autour du système qu’il mettra en place en juin prochain après une phase de qualification traversée sans faille. En conférence de presse la semaine dernière, le sélectionneur national anglais estimait que son travail était maintenant de « faire fonctionner le noyau. Les tests ont déjà été faits pendant les éliminatoires. On entre désormais dans une phase de peaufinage. » Dier pourrait être la surprise des derniers détails du noyau à faire fonctionner. Approché un temps par la Fédération portugaise, Eric Dier avait alors été affiché dans une campagne publicitaire lancée par Umbro, le sponsor de la sélection anglaise en 2010. Sa tête, installée à côté de celle de Theo Walcott ou encore Wayne Rooney, était accolée au slogan « The New Fabric of England » . Dier n’avait alors que 16 ans et estimait que « personne ne le connaissait, car il jouait à l’étranger. » Cinq ans plus tard, les chemins de Dier se sont retrouvés.

Propos de Eric Dier tirés du Guardian, ceux de Margaret Thatcher et Ted Croker issus de l’Independent.

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