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Lonsana Doumbouya : « Je préfère être la star en Thaïlande qu’un joueur quelconque en Europe »
À 32 ans, Lonsana Doumbouya s'épanouit pleinement en Thaïlande, où il vient de réaliser un triplé avec son club, le Buriram United. L'attaquant franco-guinéen a longtemps vadrouillé en Europe avant de tenter l'aventure asiatique. Il raconte ses galères, sa nouvelle vie et son statut de star locale au pays du piment.
Qu’est-ce que ça fait de réaliser un triplé championnat, Coupe de Thaïlande, Coupe de la Ligue avec le Buriram United, où tu es arrivé l’été dernier ?
C’est important de gagner des trophées dans une carrière, donc ça fait plaisir. Surtout en Thaïlande, les gens sont mordus de foot, c’est quelque chose à vivre. Ce n’est pas forcément la folie dans la ville, mais au stade, c’est top. On a laissé les supporters entrer sur la pelouse pour fêter le titre, c’était énorme. On a pu se prêter au jeu des autographes et des photos, même si c’était difficile de satisfaire tout le monde.
Un joueur de foot à Buriram, c’est une star locale ?
Oui, on est reconnus. Je ne peux pas sortir tous les quatre matins pour aller faire mes courses comme en France, où il faut le faire à des horaires stratégiques. C’est assez spécial. À Buriram, ça m’arrive très souvent de me faire reconnaître quand je sors dans la rue. Tout le temps, même. Je pense que je ne suis quasiment jamais sorti au supermarché sans avoir fait de selfies ou d’autographes.
Quelle place occupe le foot en Thaïlande ?
Ils ont des petites pépites dans l’équipe nationale thaïe, donc ils mettent des moyens. Ce sont de vrais passionnés de foot. Souvent, quand on parle de la Thaïlande, on se demande tout de suite : « Ah, ils jouent au foot là-bas ? » Bah oui, c’est un délire de jouer au foot ici. Ils sont aussi fous de Premier League. Par exemple, mon club de Buriram a un partenariat avec Leicester. Bon, c’est sûr que c’était pas cool de les voir descendre cette saison, mais je pense qu’ils vont rapidement remonter.
Est-ce qu’on peut dire que le Buriram United, qui vient d’enchaîner deux triplés, est le PSG de la Thaïlande ?
Oui, on peut le dire. C’est d’ailleurs comme ça qu’ils se présentent. Même en dehors de la Thaïlande, j’ai entendu cette comparaison. C’est un peu comme le PSG dans le sens où on écrase toutes les équipes (23 victoires, 5 nuls, 2 défaites, 75 buts marqués, 27 encaissés cette saison, NDLR). La ville est aussi un peu devenue la capitale du sport thaïlandais depuis dix ans. Ils ont créé des pistes pour le racing, il y a un circuit international créé par mon président. Ils essaient de lancer d’autres sports dans le pays. Le foot féminin commence aussi à prendre de l’ampleur.
Ce n’est pas ta première expérience en Thaïlande, tu as joué au Prachuap FC et au Trat FC entre 2018 et 2020 pour tes premières aventures hors de l’Europe. Qu’est-ce que tu as appris culturellement depuis ton arrivée ?
Ça m’a permis d’être ouvert d’esprit. Quand tu arrives dans un nouveau pays, il faut s’adapter à une culture très différente. C’est à faire une fois dans sa vie. J’ai bien aimé découvrir de nouvelles saveurs. En Thaïlande, on est quand même sur une des meilleures cuisines au monde, avec ce mélange de sucré et de salé dans beaucoup de plats. Le plus choquant, c’est le piment. Ils en mettent partout. Quand on fait des commandes sans piment, il y en a toujours un petit peu. Pour eux, c’est comme le sel et le poivre. (Rires.) Je m’y suis habitué, mais dans certains plats, on ne sent que ça. Quand on boit une soupe, on boit le piment. (Il se marre.) C’est un pays exotique, on voit des serpents, des varans. Au début, c’est un peu dur de vivre avec les lézards dans la maison, mais ça devient une habitude et ce n’est pas dangereux. Il faut faire attention aux serpents, comme on a pu le voir dans ma vidéo Deux nuits avec sur YouTube (dans laquelle Lonsana essaie de faire sortir un serpent du capot d’une voiture, NDLR). Là, c’était un peu la panique. (Rires.) Parfois, on voit des serpents traverser tranquillement la route, il faut faire gaffe.
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Ta famille est-elle venue avec toi ?
Les deux premières années, j’étais avec mon fils et mon ex-compagne. Aujourd’hui, je vis seul, mais j’ai la chance de négocier dans mes contrats la possibilité de rentrer voir mon fils ou de le laisser venir ici. Tous les clubs n’accepteraient pas ça. Mon fils vit à Limoges avec sa maman, dès que je peux, je rentre profiter avec lui. J’ai toujours voulu voyager et vivre de ma passion, je ne peux pas me plaindre de cumuler les deux. Être loin de mon fils, c’est dur, mais c’est aussi un sacrifice pour pouvoir lui offrir la meilleure vie, les meilleures études.
Tu es aussi passé par la Chine, au MZ Hakka, de janvier 2020 à juillet 2021, donc en plein pendant la pandémie du Covid-19. Comment c’était ?
Ah, mais c’était une catastrophe. J’ai vécu le pire de l’épidémie là-bas. On a eu le premier joueur de foot pro positif dans notre club, ça a fait le tour du monde. Toute l’équipe a été mise en quarantaine dans un hôpital, on était fermés de tout, c’était assez choquant. C’est sûrement le moment le plus difficile de ma carrière. On a été enfermés pendant 20 jours dans une chambre, seuls, sans pouvoir sortir. Le plateau-repas était délivré devant la porte, on avait zéro contact, même pas de wifi. C’était un coup à devenir fou.
Tu joues sur le continent asiatique depuis 2018 maintenant. À quel moment as-tu accepté de ne pas percer dans le foot européen ?
Quand un coach te recrute, puis se fait virer du jour au lendemain et que le nouveau ne compte pas sur toi… Ça m’est arrivé au Cercle Bruges et une ou deux fois encore, j’en ai eu marre. Je savais que je pouvais faire quelque chose dans le foot. J’avais envie de tout recommencer, de partir dans un endroit neutre. Tout le monde m’a dit : « Mais qu’est-ce que tu fous ? » Je suis du genre à ne pas trop écouter les autres. Je ne suis pas allé en Asie pour me mettre en mode vacances, j’avais envie d’être le meilleur joueur étranger là-bas. Je savais que je pouvais être le meilleur attaquant du championnat.
Et aujourd’hui, tu considères que tu l’es ?
Je n’aime pas trop être prétentieux, mais je pense… (Il réfléchit.) Allez, oui, je dois faire partie des meilleurs (12 buts, 4 passes décisives en 16 apparitions en championnat cette saison, NDLR).
Tu as connu plusieurs péripéties au début de ta carrière en France, puis ailleurs en Europe. Est-ce que tu as été dégoûté du foot à un moment ?
Oui, c’est arrivé. Au tout début, quand je n’étais pas pro à Saint-Dizier, l’ancien président ne voulait pas me laisser partir à Guingamp, il voulait un transfert. J’ai dû aller faire un crédit à la banque pour pouvoir payer moi-même mon transfert… C’est un peu choquant sur le coup. Mais j’ai aussi d’excellents souvenirs, comme en Écosse. (Il a joué pendant six mois en 2016-2017 à Inverness CT en D1 écossaise, NDLR.) J’ai passé un cap là-bas.
Penses-tu avoir aussi mal fait certaines choses ou des erreurs durant ta carrière européenne ?
J’ai peut-être fait une erreur en Écosse, justement. J’étais un peu au sommet de ma carrière pendant quelques mois, j’étais le meilleur buteur du club, et des équipes de Premier League étaient intéressées. Du jour au lendemain, le coach est venu me voir en me disant : « Bon, ça fait deux ou trois matchs que tu ne marques pas, tu vas passer attaquant numéro 2. » Ça m’a dégoûté, je ne comprenais pas. Sans jouer, je me disais que je ne serais plus appelé en sélection guinéenne. J’ai décidé de partir en Autriche, à Sankt Pölten, où ça a été une catastrophe. J’aurais peut-être dû me montrer plus patient, rester au club et persévérer. Je me suis trop précipité.
Tu as gardé un lien avec le foot européen, puisque tu es président d’honneur du Vigenal FC, un club amateur dans la région de Limoges. Pourquoi ?
C’est le club où j’ai commencé à jouer, ça me tenait à cœur d’être dans ce projet. On a acquis un nouveau synthétique récemment. Je ne peux avoir que le statut de président d’honneur, vu que je suis encore footballeur, mais je suis investi à fond. J’ai aussi des fonctions de conseiller au district de la Haute-Vienne, j’aime bien. Et à côté, quelques projets professionnels en hôtellerie à Limoges.
En gros, tu as commencé à préparer ton après-carrière.
Oui, il ne faut pas attendre que ce soit terminé pour se lancer. Il faut le faire pendant qu’on est encore en activité pour ne pas avoir ce choc une fois que tout s’arrête. Certains joueurs peuvent tomber en dépression. Le foot, c’est une passion, j’adore m’entraîner, je suis conscient de ma chance, mais je sais aussi que ça va être dur psychologiquement quand ça s’arrêtera. Je dois donc trouver des choses qui vont m’occuper.
Tu as 32 ans, ta carrière n’est pas terminée, quelle est la suite pour toi ? Rester en Asie ou retenter ta chance en Europe si une opportunité se présente ?
J’ai eu quelques opportunités de revenir en Europe, mais je n’ai pas accepté. Je pense que je suis en train de faire quelque chose de bien en Asie, je veux continuer à écrire cette histoire. J’ai envie de rester sur ce qui marche, je suis encore sous contrat jusqu’en 2024 à Buriram. J’ai encore des objectifs personnels et pourquoi pas aller chercher un nouveau triplé ! (Rires.)
Quels sont tes regrets aujourd’hui ?
Mon seul regret, c’est de ne pas avoir plus joué en sélection (2 capes avec la Guinée en 2016, NDLR). Je n’ai pas eu ma chance pleinement avec la Guinée, des promesses n’ont pas été tenues. Si demain la sélection m’appelle, je répondrai présent. Pour le reste, mes décisions et mes galères m’ont permis d’en arriver là. Il y a du malheur qui s’est transformé en bonheur.
Beaucoup de bons joueurs peinent à se révéler en Europe, voudrais-tu être une sorte d’ambassadeur du foot en Thaïlande pour leur dire qu’un autre chemin est possible ?
C’est une question de mentalité. Un joueur qui va être focalisé sur un pays, sur un club, ce n’est jamais bon. Il faut s’ouvrir. Personnellement, je préfère être la star en Thaïlande qu’un joueur quelconque en Europe. En Asie, je suis reconnu. Finalement, mes rêves se sont réalisés : devenir pro, c’est fait ; la sélection, c’est fait ; jouer en première division en Europe, c’est fait ; des trophées, c’est fait. Tu veux quoi de plus ? Barcelone ? Le Real Madrid ? Non, il faut être réaliste un peu. Je préfère clairement jouer pour le PSG thaïlandais qu’à Sankt Pölten en Autriche.
Propos recueillis par Clément Gavard