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L’ombre de Tito

Par Thibaud Leplat
5 minutes
L’ombre de Tito

Sa maladie avait rythmé les premiers mois de succession de Pep Guardiola à Barcelone, elle a fini par avoir raison de sa détermination. Tito est mort aujourd’hui et Barcelone peut maintenant s’enfoncer dans une dépression profonde.

Tito, le doigt dans l’œil. Tito, le successeur. Tito, opéré d’urgence avant un match à Milan. Tito, le retour contre Paris. Tito, la rechute. Tito, qui abandonne le banc du Barça, Tata qui le remplace. Le Barça qui plonge. Tito qui meurt. On aurait pu aussi écrire sur son amitié avec Guardiola et sur cette première saison en division trois en 2007-2008 passée à se faire insulter sur les terrains de province. On aurait ensuite évoqué ces 14 titres en 19 compétitions jouées avec Pep. Tito était celui qui préparait les matchs dans l’ombre de Guardiola. Il était le fidèle ami installé à l’abri du mythe. Au début, on avait même un peu de mal à prononcer son nom, le pauvre, mais c’est vrai qu’on ne le connaissait pas trop. Et puis la figure de Pep était tellement mythologique, qu’à ses côtés, tous devenaient des nains. Tito était une sorte de Rexach prêt à en découdre avec n’importe qui pourvu que son mentor fût assis à sa gauche. On avait bien rit le soir où il gifla Mourinho, même à Madrid. Mais en vrai, il n’y en avait que pour Pep et cette équipe historique qui faisait la révolution du football des années 2010 sous nos yeux. Alors quand Pep décida de partir, Tito fut nommé numéro un. On n’aurait jamais cru, mais en y réfléchissant plus sérieusement, c’était une évidence. Il était le seul à pouvoir assumer l’héritage insupportable. Il était le seul à ne pas être illégitime. N’importe quel autre entraîneur aurait été écrasé sous le poids de l’attente et de la mémoire. Tito était l’adjoint et entretenait l’idée folle qu’un jour ou l’autre, le vrai chef reviendrait. Ou plus folle encore : qu’il était encore là. Le jour de sa présentation, il désarma toutes les attentes : « Dans toutes les comparaisons avec Pep, je serai perdant. » Il paraît que Guardiola lui en voulut, comme Cruyff à Rexach quand Nuñez se débarrassa du Néerlandais. Pep, son camarade de Masía, l’avait fait revenir sous l’ère Laporta, ennemi intime de Rosell. En acceptant de prendre sa suite, il pactisait avec l’ennemi. Certes.

FC Barcelone, el segundón

Mais il fallait bien que le Barça survécût enfin à ses démons et qu’en continuant à gagner, il devînt enfin adulte. Comme les années Di Stéfano du Real et ces cinq Coupes d’Europe, les années Pep, Messi et Tito avaient changé le destin d’un club jusque-là condamné à la deuxième place historique derrière le Real. À Madrid, on s’inquiéta tant qu’on dût même embaucher un tueur à gage pour abattre le meilleur Barça de tous les temps. Il fit le plus vite possible, pourtant les trophées continuèrent à s’empiler en Catalogne comme si de rien. Pourtant les anciens, ceux qui ont connu Kocsis, Sotil ou Cruyff, savaient. Patiemment, ils attendaient la chute. Toutes ces années où ils étaient devenus le modèle du football occidental devraient un jour se payer. En Catalogne, la fête nationale est une défaite. C’est l’âme de ce pays. Quand à Madrid on aime se voir plus beau et plus grand que le reste du monde, à Barcelone on aime bien ajouter des pierres dans son sac à dos avant de gravir l’Olympe. Vázquez Montalbán parlait de « fatalité » dans les années quatre-vingt quand il évoquait le destin de son club. Le propre du sentiment barceloniste, ce n’est pas la joie ou l’orgueil. C’est plutôt le « pessimisme général devant les différentes opportunités (…). Ou bien on lui kidnappait Quini, ou alors Goikoetxea brisait les grandes figures de Barcelone. Schuster et Maradona par ordre de récolte. Le Barça fut même à deux points de remporter la Liga avec cinq matchs à disputer et… ne la remporta pas. Un fatalisme historique difficile à rationaliser établissait alors qu’il fallait laisser passer dix ans entre chaque titre de champion. »

Les enfants de Saturne

Depuis que Guardiola est parti de ce club, plus rien ne marche. Après avoir perdu toutes les compétitions en une semaine, avoir été accusé de fraude fiscale, de détournement de mineurs, avoir vu un président démissionner, un autre prendre sa place, un référendum, une interdiction de recrutement, puis la levée de celle-ci quelques jours plus tard, ils ont disparu, tous ceux qui disaient encore que Barcelone n’était pas en dépression. Car il en est des équipes comme des personnes. À force de vivre ensemble, on finit par se ressembler. Les états d’âme de quelques-uns deviennent ceux de tous les autres. Il y a des équipes joyeuses, optimistes ou déterminées, Barcelone, elle, est mélancolique. « Barcelone souffre de nostalgie » , diagnostiquait Jorge Valdano il y encore quelques jours. Les Culés souffrent d’un passé beaucoup trop présent pour ne pas être écrasant. Pour s’en sortir, il faudrait qu’ils s’en aillent tous ou alors tout oublier. La finale de Coupe du Roi contre le Real ou le quart de finale retour contre l’Atlético furent éloquents. On y perdit Xavi et Iniesta, Messi ne joua plus sérieusement et Tata Martino eut beau faire des grands gestes et tenter de sauver les meubles en laissant le ballon à Neymar, le sang ne circulait plus aussi vite. Barcelone était devenu vulgaire. Tout était bien fini. Alors, comme les belles histoires terminent toujours mal (parce qu’on aimerait qu’elles ne terminent jamais), Tito Vilanova est mort aujourd’hui d’une maladie secrète enfermée à l’intérieur de sa bouche. Comme Saturne avalant ses enfants pour ne pas se voir vieillir, Barcelone vient d’avaler le seul héritier digne de succéder à un mythe. Il est trop tard maintenant pour échapper à un effondrement général qui, en réalité, a déjà eu lieu.

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