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L’OM tourne la page de 30 ans de business en virages
L'OM s'apprête à vivre une petite révolution en tribunes avec la fin de la gestion commerciale des abonnements en virages par les groupes de supporters. L'occasion de revenir sur ces trente ans d'histoire, entre petites concessions et grosses luttes de pouvoir.
À l’Olympique de Marseille, l’histoire retiendra que c’est un petit bonhomme d’1,67 mètre nommé Mathieu Valbuena qui, par sa seule présence lors du dernier choc entre l’OM et Lyon, un an après avoir quitté le navire olympien, aura été à l’origine d’une révolution dans les gradins du Vélodrome. À la suite des nombreux incidents qui ont émaillé la rencontre entre les deux Olympiques le 20 septembre dernier (la poupée de Valbuena pendue à une potence, jet de projectiles divers et variés sur les joueurs lyonnais, interruption de la rencontre), les pouvoirs publics, les instances du foot et l’OM ont dit stop. Stop au contrôle des virages par les associations de supporters, stop à la commercialisation des abonnements par ces mêmes assos. En bref, reprise en main du club sur les deux virages du Vélodrome. L’accord entre l’OM et ses groupes de supporters, qui devrait officiellement être conclu ce mercredi 28 octobre, mettra fin à un système unique en Europe et vieux de près de 30 ans. Pendant que l’OM prépare sa mue en coulisses, profitons-en pour revenir sur l’histoire peu banale de ces trois décennies de gestion des virages Sud et Nord par les associations de supporters de l’OM.
Nous partîmes cinquante…
À l’OM, la légende raconte que le système de commercialisation des abonnements par les groupes de supporters tel qu’on le connaissait jusqu’à aujourd’hui n’a été l’œuvre que d’un seul homme. Et que s’apelerio Tapie. La réalité est un peu différente. La date de lancement, déjà, n’est pas 1987 comme on l’a souvent entendu. « Je ne sais pas d’où sort cette date-là, s’interroge Ludovic Lestrelin, maître de conférence à l’université de Caen et spécialiste de la question du supportérisme en France. C’est du pur fantasme. C’est en 1990, lors d’un match OM-Nice, il me semble que les cartes d’abonnements ont commencé à être gérées par les supporters. Ça a débuté dans le Virage Sud qui était à l’époque le foyer le plus ardent et le plus organisé du supportérisme en France. » À l’époque, le mouvement est balbutiant et il serait exagéré de parler de système pour évoquer cette affaire. À la tête de l’OM depuis 1986, Bernard Tapie accepte de répondre favorablement à la demande des groupes de supporters de l’époque (les Ultras Marseille, les Winners et les Fanatics) qui réclamaient la mise en place d’un système d’abonnement sur les places non numérotées du virage Sud. Une manière pour eux de mieux travailler en tribune pour organiser les spectacles et fidéliser les membres. Une sorte de facilité organisationnelle loin, très loin du système tentaculaire de gestion des 28000 places qui avait cours jusqu’à cette saison. « En 1990, les Ultras Marseille ne brassent qu’une dizaine d’abonnements, peut-être une centaine, mais ce n’est même pas sûr. Ça reste très artisanal » , relativise Lestrelin. « Je ne pense pas que la mise en place de ce système soit l’œuvre d’une seule et même personne, Tapie en l’occurrence, mais disons plutôt qu’il y a eu un glissement successif » , précise pour sa part Christophe Bouchet, président de l’OM de 2002 à 2004 et auteur de plusieurs ouvrages sur l’homme à la gourmette et aux chemises ouvertes.
Tout le monde y trouve son compte
S’il n’est donc pas l’unique géniteur de ce système de gestion des abonnements, Bernard Tapie en a tout de même posé les bases. « On peut effectivement dire qu’il a ouvert la brèche » , confirme Ludovic Lestrelin. Mais contrairement à la légende, le spécialiste es restructurations d’entreprises en difficulté n’est pas immédiatement chaud à l’idée de laisser les groupes de supporters s’occuper eux-mêmes de la gestion des abonnements en virage. Puisqu’à chaque chose malheur est bon, l’homme d’affaires y trouvera finalement son compte. « Les groupes ont des ressources organisationnelles, ils sont rodés, structurés et ils ont tout un tas de compétences qu’ils peuvent faire valoir. Donc quand ils disent à Tapie« On va savoir gérer ça », le club y voit là un intérêt logistique évident. L’OM n’étant pas hyper structuré à l’époque, ça l’arrange de pouvoir se décharger de ce travail logistique. » Paradoxalement, l’argument sécuritaire mis en avant aujourd’hui pour mettre fin à ce système était à l’époque celui qui a favorisé son instauration. Ludovic Lestrelin toujours : « Il y avait aussi pour le club un intérêt sur le plan de la sécurité et du maintien de l’ordre dans le stade. Les groupes sont alors pensés d’une certaine manière comme étant le premier maillon nécessaire pour garantir la sécurité dans les virages. » Une autre époque, à n’en pas douter.
Christophe Bouchet fait quant à lui une interprétation différente pour expliquer ce droit octroyé aux supporters marseillais : « Il n’y a jamais eu en France un appétit féroce pour le foot, et donc la billetterie n’était pas à l’époque un sujet particulièrement prégnant pour les clubs. En plus, l’arrivée de Tapie à l’OM coïncide avec l’apparition des droits TV. C’est-à-dire qu’entre les transferts, les droits télé et le pognon qu’il prenait un petit peu sur le marketing, même si ce n’était pas grand-chose, la billetterie n’était pas un sujet pour Tapie. Ce n’est pas quelque chose qui a été délibérément, comme on peut le raconter par erreur d’anachronisme, fait pour le bien des supporters. Il se débarrassait là d’un problème qui ne l’intéressait tout simplement pas. » Les pertes financières liées à cette gestion pas comme les autres (environ 3 millions d’euros par saison) ne semblent effectivement pas être un sujet pour le club. « Robert Louis-Dreyfus avait l’habitude de dire à ce propos : « J’en n’ai rien à foutre de ça. Ce n’est même pas le prix d’une des deux jambes de mon n°9 ! » Le club avait conscience de perdre un peu d’argent, mais ce n’était qu’une goutte d’eau » , appuie Lestrelin. Enfin, on a souvent entendu dire que Bernard Tapie avait sciemment offert ce privilège aux associations de supporters dans le but de servir ses intérêts personnels. Mais là encore, nos deux intervenants ne sont pas d’accord. Si, pour Christophe Bouchet, il ne faut pas voir dans cette décision « un calcul ni une instrumentalisation du sujet par Bernard Tapie pour servir ses propres intérêts » , notre spécialiste des tribunes reste pour sa part plus mesuré : « C’est quelqu’un qui, à l’époque, a des ambitions électorales à Marseille, il a besoin d’éventuels soutiens et il est détesté par une partie du PS local… Je pense qu’il y avait une forme d’instrumentalisation derrière tout ça. Après, on ne saura jamais quelles étaient les intentions réelles de Tapie, mais il y avait forcément un calcul. »
La victoire, les galères et le poids croissant des supporters
Tapie a donc jeté les bases du système, mais c’est bien à son départ du club, en 1994, que le système va passer d’artisanal à industriel. Après avoir tutoyé les sommets en remportant la Coupe d’Europe en 93 face au Milan AC, le club ne profite pas longtemps de cette gloire naissante. L’affaire VA-OM ouvre en effet la voie à une ère bien plus sombre, entre scandale judiciaire et rétrogradation en seconde division. Et ce sont les déboires de l’Olympique de Marseille qui vont paradoxalement permettre aux associations de supporters de consolider leur nouveau pouvoir en tribunes et entériner, de fait, leur mainmise sur les abonnements en virages. « Les rapports de force deviennent à l’avantage des groupes de supporters qui incarnent, dans un environnement extrêmement difficile et instable pour le club, un pôle de stabilité, acquiesce Lestrelin. Finalement, ils sortent gagnants de cette période-là, des années D2 et de la transition vers l’époque Louis-Dreyfus et acquièrent un statut très important au milieu des années 90. » Ce constat, Christophe Bouchet ne le remet pas en question, au contraire : « Le club a ratatouillé complètement (sic), et quelque part, c’était important pour la municipalité que ça ne sombre pas. Donc c’est vrai que la mairie était bienveillante… ou tout du moins, elle n’était pas malveillante envers les supporters. » Sur le terrain, l’OM n’était donc plus l’élève brillant que la France avait connu peu de temps auparavant. La survie du club, ainsi que le maintien de sa popularité et de son aura sont donc à mettre à l’actif des supporters, de leur travail acharné pour animer les tribunes et de l’amour qu’ils portent à leurs couleurs. Difficile derrière de venir leur reprendre un droit qu’ils avaient gagné légitimement…
D’autant que si l’on a maintes fois répété que les pouvoirs des virages étaient autant de bâtons dans les roues des dirigeants, il faut savoir que cette situation ne déplaisait pas à tout le monde, bien au contraire. Christophe Bouchet le sait mieux que quiconque : « Les supporters sont devenus une manière de contrôler le club par l’extérieur. Le club était un peu en délicatesse et quand ça n’allait pas, on s’est aperçu que c’était une manière de… ne pas d’avoir la main sur le club, il ne faut pas exagérer, mais disons qu’il y a des gens à l’extérieur qui ont toujours eu intérêt à perturber le système pour que le club ne se relève pas trop vite. » Ludovic Lestrelin va plus loin dans son explication : « À Marseille, la mairie a un rôle extrêmement important vis-à-vis de l’OM, parfois en sous-main, et les supporters y ont des relations. Ils peuvent passer par des intermédiaires, des élus, pour faire pression sur le club. Il y a donc des rapports de force qui s’instaurent. Et donc tu as des groupes qui s’installent et qui deviennent très clairement des acteurs politiques, à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur du monde du football. » À Marseille comme ailleurs, football et politique font souvent bon ménage. À partir du milieu des années 90, et plus encore au moment de la reconstruction du Vélodrome dans l’optique de la Coupe du monde 98, les supporters sont devenus des acteurs incontournables du club. Des acteurs avec qui il faut désormais composer coûte que coûte. « Le destin et les intérêts de l’OM sont complètement liés au destin et aux intérêts des groupes. Ça devient donc des partenaires avec lesquels il faut négocier, batailler, et qui, parfois, sont capables de peser sur les décisions de l’OM en sollicitant leurs alliés à la mairie. »
Difficile de s’attaquer à la bête
On le voit, plus qu’un commun accord entre la direction de l’OM et les associations de supporters, le système de commercialisation des abonnements par les virages s’est progressivement imposé de lui-même, au gré des aléas de l’histoire récente du club phocéen. Et malgré quelques tentatives de reprise en main, les différents présidents de l’OM ont tous fini par lâcher l’affaire face à la cascade d’emmerdes que cela impliquait. Quelque temps après son arrivée au club, Christophe Bouchet a bien essayé de réformer en partie le système de billetterie en virages avant de finalement jeter l’éponge, comme d’autres avant lui : « On s’est d’abord aperçu que la billetterie était mal gérée. Ou du moins qu’il y avait mieux à en tirer. On a donc commencé par avoir une politique de billetterie significative, au sens moderne du terme, c’est-à-dire en essayant de voir un peu qui il y avait dans les tribunes, comment ça se passait, qui faisait quoi et comment on pouvait améliorer la rentabilité du système. Mais grosso modo on savait, parce qu’on n’était pas complètement idiots, qu’il ne fallait pas toucher aux virages. Mais comme on a eu des résultats qui nous ont permis de remonter la pente assez vite, on a pu augmenter les tarifs dans le stade et c’est à partir de là qu’on a commencé à s’intéresser à la question des virages. On s’est dit que si on en avait la gestion, on pourrait améliorer encore plus les choses. On a donc commencé un peu à regarder ce qu’il s’y passait pour finalement, très vite, ne pas aller plus loin. On savait que c’était touchy comme sujet. » Il aura donc fallu attendre la saison 2015/2016 et le retour de « Petit vélo » au Vélodrome pour assister à la chute d’un système vieux de presque trente ans. Et si le coup porté aux associations de supporters ne leur est pas fatal, la révolution est bel et bien en marche dans la citée phocéenne.
Par Aymeric Le Gall