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L’Olympique de Marseille sous pavillon saoudien : science-fiction ou anticipation ?
Depuis quelques jours, le média italien TuttoMercatoWeb affirme que le prince et milliardaire saoudien Al-Walid bin Talal aurait la volonté de racheter l'OM et que les négociations avec Frank McCourt seraient même avancées. Une information démentie par l'entourage du propriétaire américain, mais qui soulève plusieurs interrogations. Réflexions géopolitiques, économiques et sociales autour d'un possible intérêt de l'Arabie saoudite pour Marseille et le football français.
En attendant le retour de la petite musique de la Ligue des champions au stade Vélodrome et surtout après deux mois sans match, il fallait bien une folie pour réveiller les fantasmes marseillais : et si un milliardaire saoudien rachetait l’OM ? La rumeur court depuis quelques jours dans les lignes du média italien TuttoMercatoWeb, qui assure que le milliardaire Al-Walid bin Talal – dont la fortune s’élève à 17,2 milliards d’euros, selon Forbes – pourrait devenir le futur propriétaire du club phocéen. Beaucoup de bruit, beaucoup d’excitation et un démenti de la part du clan McCourt, obligé de réagir auprès de La Provence face à l’insistance de la piste saoudienne. Les optimistes répondront qu’il n’y a pas de fumée sans feu, les autres préféreront ne pas accorder trop d’importance à une rumeur a priori bancale. Une chose est sûre : l’OM est loin, très loin, de passer sous pavillon saoudien.
Al-Walid bin Talal, milliardaire sous surveillance
La première interrogation concerne l’identité de ce potentiel acheteur, dont le nom avait déjà été évoqué en 2014 pour reprendre l’OM : il s’agit là d’un pur businessman, et non pas du fonds d’investissement souverain saoudien. Problème, il n’est absolument pas dans les petits papiers de Mohammed ben Salmane, dit « MBS » , le prince héritier d’Arabie saoudite.
« Pour l’avoir fait vérifier, cette information n’a pas de fondement, commence Jean-Baptiste Guégan, géopoliticien du sport. Aujourd’hui, personne ne peut affirmer qu’Al-Walid bin Talal a la possibilité de racheter l’OM. Il est surveillé par le régime et ne dispose pas d’une liberté de mouvements, donc je le vois mal racheter un club, a fortiori en Ligue 1, maintenant. » Il faut poser le contexte : en novembre 2017, le roi Salmane et son fils MBS lancent une vaste purge anticorruption, enfermant près de 200 détenus VIP au Ritz-Carlton. Parmi eux, un prisonnier de luxe nommé Al-Walid bin Talal, actionnaire de Twitter et propriétaire du George V (le palace parisien), qui finira par abandonner une partie de ses actifs pour être « libéré » (cette procédure inédite aurait rapporté 106 milliards de dollars au royaume, d’après le procureur général d’Arabie saoudite). Une façon pour le pouvoir de marquer son territoire.
Difficile alors d’imaginer le milliardaire mettre la main aussi facilement sur un club de foot européen, même s’il jouit d’une meilleure réputation que le sulfureux MBS auprès des élites du Vieux Continent.
« Al-Walid bin Talal est facilement considéré comme fréquentable, chez les occidentaux, éclaire Jean-Baptiste Guégan. Il fait partie de ces Saoudiens qui vivent à l’occidentale (il a étudié aux États-Unis, N.D.L.R.). Il a les mêmes codes que nos élites occidentales. » Et si la probabilité de le voir enfiler le costume de patron de l’OM est pour le moment assez faible, il s’agit de ne pas définitivement écarter la piste Al-Walid bin Talal. « C’est tout à fait plausible qu’un homme comme Bin Talal s’intéresse à Marseille, surtout que la situation est top : ils sont qualifiés en Ligue des champions, sans que ce soit radieux économiquement, juge Raphaël Le Magoariec, spécialiste des sociétés du Golfe. Du moment que les rachats des businessmen saoudiens ne vont pas à l’encontre des intérêts du pouvoir et de MBS, il n’y a aucun souci. Surtout qu’un rachat de club européen, c’est tout bénef pour l’image d’une Arabie saoudite moderne et ouverte. »
La stratégie du « sport-washing »
Depuis l’arrivée aux affaires de Mohammed ben Salmane, l’Arabie saoudite a compris, avec une grosse quinzaine d’années de retard sur ses voisins du Qatar et des Émirats arabes unis, que le sport représente un axe diplomatique majeur. Les ambitions sont multiples pour le royaume, qui a déjà pu accueillir des événements importants sur son territoire (Supercoupes d’Espagne et d’Italie, combat de boxe Joshua-Ruiz, Dakar…) : diversifier son économie pour préparer l’après-pétrole, changer son image écornée par la guerre au Yémen ou l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, développer une diplomatie du football et en profiter pour rattraper son retard sur les petites pétromonarchies du Golfe. « Dans le cas du rachat d’un club de foot, ce qu’il faut regarder est la stratégie qu’il y a autour, développe Jean-Baptiste Guégan. On peut se servir de ce club pour se montrer, mais aussi pour obtenir et construire des liens privilégiés avec des décideurs locaux aux niveaux économique et politique. Il y a aussi cette stratégie dite desport-washing, c’est-à-dire de montrer avec le foot que les Saoudiens sont des gens appréciables, aimables, et qu’ils font gagner. »
Mohammed ben Salmane, dit MBS, le prince héritier d’Arabie saoudite
De la Premier League à la Ligue 1 ?
Mais dans cette optique, la Ligue 1 ne ressemble pas forcément à un terrain de jeu rêvé, les championnats anglais et espagnols étant plus compétitifs et plus médiatisés. « Aujourd’hui, le Qatar peut presque regretter d’avoir investi la Ligue 1, ce qui fait qu’on ne juge les résultats de son club qu’en Ligue des champions, résume Raphaël Le Magoariec. Et ça se retourne contre l’image du PSG à l’échelle mondiale. » Déjà présente en Premier League avec Sheffield United (le propriétaire, Abdullah bin Musa’ed bin Abdulaziz Al Saud, est un prince saoudien), l’Arabie saoudite fait dernièrement parler d’elle avec l’acquisition imminente de Newcastle par un fonds d’investissement public saoudien dirigé par MBS (la Premier League doit encore valider le rachat, alors que le Qatar s’y est opposé via une lettre cinglante envoyée à la PL par beIN Sports). Même chose en Espagne, où Turki al-Sheikh, président de l’autorité du divertissement saoudienne et proche de MBS, est devenu le patron d’Almería (D2 espagnole) l’année dernière. En attendant du concret dans le championnat français ? Pas impossible pour Raphaël Le Magoariec, qui devine « une volonté d’investir dans différents pays ».
Forcément, l’OM ressemble à un candidat crédible dans le paysage footballistique français pour un investisseur saoudien – ou un investisseur tout court, même. Une manière pour l’Arabie saoudite de venir titiller le PSG du Qatar ?
Pas vraiment, d’après Raphaël Le Magoariec : « C’est une projection des fantasmes européens sur le rachat de clubs rivaux. Mais les dirigeants du Golfe ne souhaitent pas du tout projeter leur rivalité dans le rachat de clubs à l’échelle internationale, ils n’ont aucun but à créer des conflits nationalistes autour de la possession de clubs en Europe. Ils souhaitent juste créer un objet globalisé, préférant travailler les nationalismes autour des grands clubs de leur territoire, comme en Ligue des champions asiatique, ou bien des sélections comme lors de la Coupe d’Asie. » Pour le storytelling, il faudra repasser.
Timing et écran de fumée
L’entourage de Frank McCourt peut clamer haut et fort que le club phocéen n’est pas à vendre, il n’empêche que la crise provoquée par le coronavirus risque de se présenter comme une opportunité en or pour des investisseurs étrangers bourrés de liquidités. Reste que pour l’instant, l’hypothèse d’un rachat dans les prochaines semaines est beaucoup trop bancale. « Pour l’OM, ce n’est pas le bon timing. Il faut attendre que les municipales soient passées, pose Jean-Baptiste Guégan, auteur de Géopolitique du sport. Il faut surtout savoir si l’équipe municipale est prête à vendre le Vélodrome : si tu ne peux pas avoir le stade, tu ne peux pas dégager des sources de revenus suffisantes, c’est trop contraignant. » Il faudra aussi attendre de disposer d’une photographie plus claire d’un football français au bord du précipice, qui ne sait plus vraiment si l’explosion des droits TV aura bien lieu.
Mais alors, pourquoi faire circuler une rumeur de rachat par Al-Walid bin Talal ? Parce qu’il faut engendrer du trafic en cette période de vaches maigres pour les médias spécialisés dans le sport ? Possible. Jean-Baptiste Guégan n’écarte pas une autre hypothèse : « Ça peut aussi être la stratégie du ballon d’essai, c’est-à-dire tester le marché pour voir si les différents acteurs sont réceptifs, comment le microcosme réagit, obtenir un prix de vente (le chiffre de 248 millions d’euros a été évoqué dans L’Équipe, N.D.L.R.). »
Dans un environnement comme celui de Marseille, l’avis des supporters est important et un nouvel investisseur ne pourrait pas se permettre de mettre des billes dans l’OM sans prendre la température auprès des fans. « Après, il faut aussi savoir que les Saoudiens sont très bons, même si parfois maladroits, quand il s’agit d’utiliser les agences de communication pour occuper le terrain, prévient Raphaël Le Magoariec. Ils savent bien que ça va prendre avec les fantasmes autour des rachats de clubs par des Golfiens. J’ai l’impression qu’ils font surtout beaucoup de fumée, sans que ça se transforme toujours en quelque chose de concret. » Un mot d’ordre : ne surtout pas s’enflammer. L’OM est encore loin d’entrer dans une nouvelle dimension, mais ses supporters pourront toujours se consoler avec des émotions en Ligue des champions.
Par Clément Gavard
Tous propos recueillis par CG