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L’oeuvre inachevée de l’architecte Guardiola
Comme une ville, une équipe de foot est un chantier permanent. C'est, en tout cas, la conception défendue par Pep Guardiola dès l'entame de son mandat, et ce jusqu'aux derniers jours de règne où ses choix audacieux prennent, rétrospectivement, l'allure d'une profession de foi.
A Vilanova, Guardiola pouvait léguer un monument achevé, au toit infranchissable, un héritage lourd, trop lourd, qui ne pouvait qu’écraser son successeur. Il a préféré lui laisser entre les mains une oeuvre en mouvement, ouverte à de nouveaux apports, et témoigner ainsi de sa confiance dans le futur de l’équipe. Dès le début de saison, Guardiola s’est refusé à se répéter, malgré les succès, malgré les éloges qui pleuvaient sur son équipe. Passage à trois derrière, et grands travaux d’aménagements. Lors des quatre jours où le Barça a tout perdu, ou presque (il reste la Coupe du Roi), l’entraîneur catalan s’est à nouveau défié de tout conservatisme, préférant ainsi aligner l’inexpérimenté Tello face au Real, plutôt qu’un Pedro pas au mieux de sa forme, certes, mais qui reste l’un des grands artisans des succès du Barça.
Ensuite, au moment de recevoir Chelsea, pour le match qui devenait le plus important de la saison, c’est, cette fois, Cuenca qui était lancé, tandis que Dani Alvès, l’un des rares éléments qui semblait indiscutable pour Guardiola (avec Xavi et Messi), prenait place sur le banc. Cuenca, Tello, des joueurs qui n’offraient pas de garantie de succès immédiats mais des jeunes talents porteurs d’avenir. Celui du Barça, dont l’intérêt doit primer sur celui de ses employés, Pep y compris.
Piédestal
Sans faire de Guardiola un saint ou un Gandhi des bancs de touche, il est évident, à l’observer, à écouter ceux qui le connaissent, que l’homme n’a pas l’âme d’un mégalomane, d’une rockstar, d’un homme providentiel. Le chaos lui succèdera peut-être, et l’entraîneur pêche sans doute par naïveté en pensant que le vestiaire acceptera avec autant de respect les ordres d’un subalterne, plutôt que ceux d’un homme qui avait déjà tout gagné avec le Barça. Mais en s’exposant à la critique par d’ultimes choix pas loin d’être déroutants, Guardiola est descendu de son piédestal de lui-même, et a revendiqué un droit à l’expérimentation, à l’erreur, vital pour son successeur.
Il n’est pas là question de suggérer que l’emblème catalan a sciemment souhaité ces revers. La victoire est un leitmotiv pour Guardiola, et il tenait sans doute autant à cette deuxième Ligue des champions de rang qu’à sa liberté de manoeuvre. Une victoire à Munich, et le débat sur l’identité de la meilleure équipe de tous les temps aurait ainsi été fermé, mais aurait-il pu continuer à vivre dans une position de demi-Dieu, celle que lui aurait conféré le regard des autres au moment de croiser l’architecte d’une oeuvre à la perfection pas vraiment humaine ? Guardiola, c’est comme Zidane en 2006 : deux manières de sacrifier sans doute inconsciemment un trophée, pour rester parmi les vivants.
Juste un homme
Car il existe encore un seuil qui sépare l’idole sportive de l’homme aux dons surnaturels qui taillerait le monde à sa manière, tel un Dieu grec. Celui franchi par Maradona, Pelé, Ali … Des hommes qui ne s’appartiennent plus vraiment. Un statut de roi Midas catalan qui transforme tout ce qu’il touche en or ne pouvait convenir à un homme qui, selon une version insistante, quitterait ses fonctions pour mieux s’occuper de sa famille. Malgré treize trophées accumulés, le Barça de Guardiola est aussi cet organisme faillible aperçu ces derniers jours. Pour Vilanova, le chantier reste ouvert …
Par Thomas Goubin