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L’œuf ou Liverpool
Les Reds abordent en position de favoris leur quart de finale face au FC Porto, un adversaire balayé la saison dernière au stade des huitièmes (0-5 au Portugal, 0-0 à Anfield). Ce coup de force avait obligé l’Europe à reconsidérer les hommes de Jürgen Klopp comme des outsiders plus sérieux que prévu. Mais ce Liverpool, seul rescapé des demi-finalistes de la dernière édition, peut-il aller encore plus loin qu’en 2018, c’est-à-dire d’aller chercher le titre ?
« J’ai remporté la Ligue des champions trois fois et ce sera la quatrième cette saison si Dieu le veut ! » Tout aussi présomptueux ou bigot qu’il puisse paraître, Pepe a raison de croire aux chances du FC Porto. Sauf que le défenseur international, fraîchement rentré au pays, est l’un des rares chez les Dragões à ne pas avoir gardé les séquelles de la dernière confrontation face à Liverpool, la saison dernière au stade des huitièmes de finale de la Ligue des champions. Les autres pourront ainsi lui rappeler à quelle démonstration ils ont dû faire face, quand les Reds étaient venus inscrire dans leur antre cinq de leurs vingt-huit buts en sept matchs européens.
La dynamique affichée actuellement par les vice-champions d’Europe – invaincus depuis le 12 janvier et restant sur une série de cinq victoires – ne présage pas un renversement brutal du rapport de force. « Nous sommes en feu, sincèrement, assurait Jürgen Klopp ce lundi. Ça se voit à l’entraînement, nous sommes dans une bonne période. » De là à faire l’analogie entre la volonté de Liverpool et celle d’une puissance divine, il ne faudrait peut-être pas s’y risquer. Mais il est difficile de penser qu’un collectif aux rouages si bien huilés ne puisse pas disposer des Portugais, si tant est que la machine tourne dans le bon sens. Surtout que c’est en grande partie sur les bases de son déplacement au Portugal le 14 février 2018, que Liverpool a construit une structure devenue depuis bien plus robuste.
Reprendre un doigt de Porto
Il n’y a qu’à regarder, pièce par pièce, ce qui était déjà assemblé l’an dernier à l’Estádio do Dragões et le comparer à aujourd’hui pour finir de s’en convaincre. Déjà présents sur le front de l’attaque, Mohamed Salah, Roberto Firmino et Sadio Mané avaient tous planté. À l’époque, voir l’Égyptien inscrire son 33e but de la saison avec Liverpool, toutes compétitions confondues, n’avait rien d’une surprise. Mais ses deux compères étaient alors surtout considérés comme de fidèles lieutenants. Le match à Porto a grandement participé à faire évoluer ça, notamment en braquant le projecteur sur Sadio Mané, auteur ce soir-là d’un triplé. « C’était un grand moment et l’une des plus belles soirées de ma carrière, se félicitait le Sénégalais dans une interview donnée à l’UEFA. Réussir à jouer un rôle majeur et à marquer trois fois était donc sensationnel et j’étais vraiment aux anges. » Un an plus tard, le partage est plus équitable et il fallait bien ça pour compenser la baisse de régime de Mohamed Salah ces dernières semaines. Et si les observateurs saluaient son retour à l’efficacité ce vendredi face à Southampton, après près de deux mois de disette, c’est bien Mané qui tenait la baraque (11 buts en 2019 dont le doublé de la qualification contre le Bayern).
Le principal réglage qui a été apporté à cette équipe est surtout à chercher un peu plus bas sur le terrain. Au début de la saison 2017-2018, Liverpool était encore ce chien fou qui donnait tout pour l’attaque, au risque de négliger sa solidité défensive. Le match nul 3-3 concédé à Séville lors de la phase de poules, après avoir mené 3-0 au bout d’une demi-heure, en était l’exemple parfait. À Porto en février, les Reds étrennaient pour la première fois sur la scène européenne leur tout nouveau stoppeur : Virgil van Dijk, acheté 84 millions d’euros au mercato hivernal. Ne concéder aucun but lors de ce huitième de finale était déjà significatif de la plus-value à venir. D’autant plus qu’entre-temps, Alisson Becker est venu sécuriser le poste de gardien de but, pour 62,5 millions d’euros. Un ensemble bien plus cohérent, qui permet d’ajouter un vrai socle pour supporter la folie des flèches de devant.
Repousser la sortie de l’Europe
Mais d’autres paramètres sont à prendre en compte à l’heure de ces retrouvailles face à Porto. Un opposant que Sadio Mané juge, « cette saison, un peu plus fort, tant sur le plan individuel que collectif » . L’an dernier, le titre était un objectif rapidement devenu chimérique, et les troupes de Jürgen Klopp ont pu se concentrer très tôt sur l’Europe, avec une finale à la clé face au Real Madrid (perdue 1-3). En 2019, la donne est complètement différente : la couronne d’Angleterre est à portée de main, malgré le mano a mano avec Manchester City. D’où la peur de disperser son énergie et la naissance d’un épineux dilemme. « Pour être honnête, la compétition la plus prestigieuse à mes yeux est la Ligue des champions, expliquait mi-mars Mohamed Salah. Mais le rêve du club et des supporters, c’est d’être champion d’Angleterre. À partir de là, je serais content de sacrifier mon rêve pour le leur. Et si on peut gagner les deux, tant mieux. C’est ce qu’on va essayer de faire. »
Entre-temps, lui et ses lads ont réussi à sortir le Bayern à Munich (alors qu’ils peinaient cette saison à l’extérieur). Un signal fort : si la C1 était vraiment secondaire, elle aurait été bazardée au tour précédent. Car telle est aussi la réalité : la Ligue des champions ne se refuse pas et, en général, c’est plutôt elle qui vous refuse. D’autant plus que les Reds ont eu le temps d’y accumuler de vraies bonnes sensations. « Nous avons connu plus de moment positifs dans cette compétition que de négatifs » , comptabilisait Jürgen Klopp. D’ailleurs, ce n’est pas parce que les citoyens britanniques ont voté pour le Brexit qu’il est aujourd’hui effectif. Alors Liverpool peut bien retarder un petit peu sa sortie de l’Europe, souhaitée par la majorité des supporters en mal de titre depuis 29 ans, afin de profiter un peu de ses avantages, tout en gardant dans un coin de sa tête ses impératifs nationaux.
Par Mathieu Rollinger