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Lloris, un héros si discret
Hugo Lloris est champion du monde. Il faut le répéter, tant son nom n’apparaît guère en tête de liste des demandes de selfies. Même Adil Rami, qui n'a pas joué une seule minute sur les pelouses russes, semble lui avoir volé la vedette. Sans lui, nous n'aurions pourtant jamais vu la finale. C'est du moins ce que se répètent, un peu dans le vide, spécialistes et connaisseurs. Mais ni son tempérament taiseux ni le storytelling de l'époque ne lui offrent de tribune.
Parmi les analyses qui expliquent la victoire tricolore et la popularité de ces Bleus version seconde étoile, tous les lieux communs convergent pour souligner leur jeunesse et leur adéquation culturelle avec le pays « réel » . Pourtant, au sein des incontestables contributeurs à cet inespéré triomphe, Hugo Lloris ne correspond guère à ce profil type, du haut de ses 31 ans et de sa longue expérience en bleu.
Vétéran discret de plus d’une décennie de liste des 23, capitaine en retrait et parfois par défaut qui a joué sous les ordres de trois sélectionneurs, il incarne cependant lui aussi la force irrésistible de la team de Didier Deschamps. N’oublions pas que c’est le soldat inconnu qui a remporté finalement la grande guerre.
Le « poilu » des Bleus
Son palmarès paraît assez exceptionnel. Surtout en sélection nationale. Deux Mondiaux, une finale d’Euro en 2016, plus grand nombre de capes pour un gardien de but et un record de capitanats. Sans oublier, désormais, une Coupe du monde qu’il a pu brandir en guise de consécration de sa carrière. De quoi compenser des gratifications bien plus modestes en club, à Nice, Lyon ou Tottenham. S’il n’est question que de juger ses performances, il faut avouer que sa résilience impressionne. Souvent contesté pour sa capacité à se trouer bêtement sur des erreurs indignes de son niveau (sa passe décisive contre son camp face à la Suède, son dribble manqué contre Mario Mandžukić en finale de Coupe du monde, ses boulettes avec les Spurs…), il a toutefois toujours su répondre présent lors des grandes compétitions.
Le parcours un brin inattendu de l’EDF lors de l’Euro à domicile lui doit largement. Au moins autant qu’aux prouesses de Payet puis Griezmann. La demi-finale contre l’Allemagne en fut l’illustration parfaite. En Russie, ses arrêts surréalistes à la FIFA 18 ou à la Gordon Banks lui ont également enfin permis de graver son talent dans les mémoires et dans les gifs sur Twitter. Finalement, son ultime bévue devant les Croates avait presque vocation de signature. Après un tournoi sans faute, Lloris reste Lloris. Humain, peut-être trop humain.
Humain after all
Le portier des Spurs est hors champ. Dans cette équipe qui semble soudée par sa dimension générationnelle et ses codes communs, il figure une histoire silencieuse et néanmoins bien actuelle. Si certains pouvaient ressasser la défaite conte le Portugal au stade de France, lui ne sait que trop bien le chemin parcouru depuis Knysna quand le bon peuple l’attendait à l’aéroport pour le menacer. Fort éloigné de l’exubérance contagieuse sur vidéo de trente secondes de Dembélé, à l’extrême opposé de l’assurance médiatique de Mbappé, Hugo Lloris, fils discret des classes moyennes au cœur de ce sport emblématique des quartiers populaires, se contente de servir tel qu’il est et comme il peut. L’ombre sur la mesure.
Il serait facile d’y voir le maillon faible de la communication post-mondial. Ou encore un joueur décalé au regard de la cohérence du groupe 2018. Pourtant, cette manière presque fragile de vivre le football, qui offre en contre-pied la possibilité aux exploits de surgir, romance une autre symbolique du foot que le pays avait peut-être aussi besoin d’entendre. L’espoir que l’on peut décrocher les étoiles sans avoir l’obligation de maîtriser les réseaux sociaux ou de savoir daber avec le président de la République.
Par Nicolas Kssis-Martov