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Lloris, capitaine double face
Impeccable sur le terrain depuis le début du Mondial, le gardien des Bleus soufflera samedi contre l’Argentine sa 101e bougie internationale. Un aboutissement sportif qui se cache derrière un porteur de brassard qui souffle de la sciure avant les rencontres, mais qui n’hésite pas à assumer son décalage avec un milieu dans lequel il ne se reconnaît pas vraiment.
La compétition, la vraie, et le retour d’une vieille mélodie : le rideau étant tombé jeudi soir, via une soirée avec une fenêtre ouverte sur Kaliningrad, une autre sur Saransk, sur le premier tour du Mondial, l’heure est désormais aux explications. C’est l’heure des retrouvailles entre les grands de ce monde, un G16 à l’odeur de gazon coupé, et Didier Deschamps, qui dirigera samedi face à l’Argentine son 80e match sur le banc des Bleus, est donc venu vendredi soir tartiner la presse avec une histoire connue : celle des « compteurs remis à zéro » et des « matchs couperets » . Ce huitième de finale de Coupe du monde face aux Argentins sera-t-il différent de celui face aux Allemands en 2014 ou de l’angoissant France-Irlande de l’Euro 2016 ? Non, sur le fond, « ça passe ou ça casse, il n’y a pas le choix » . En V.D. (Version Deschamps), cela veut dire, en gros : maintenant, arrêtez de m’emmerder avec vos questions sur l’identité, le style, la forme d’Antoine Griezmann, et votre chasse aux poux, la parole est au caractère, ce qui replace le sélectionneur de l’équipe de France sur son terrain de jeu favori. Soit un espace délimité par le succès immédiat, l’absence de calcul et un retour au sport qui s’écrit avec un vainqueur et un éliminé. Didier Deschamps commence à s’animer lorsque le classement disparaît, mais sait aussi que tout ça ne laisse aucune échappatoire. Parfait, c’est ce qu’attend avec impatience son capitaine, Hugo Lloris : une production de pièces.
Le foot à l’état brut
Le gardien des Bleus l’a répété vendredi, comme pour tirer le tapis rouge sous les pantoufles de Deschamps : « Nous voulons répondre présent afin de continuer l’aventure, car c’est un nouveau tournoi qui démarre. On se prépare à jouer un huitième de finale de Mondial contre l’Argentine, on se doit d’être à notre meilleur niveau. Il va falloir se surpasser si on veut espérer passer ce tour. Il faudra tous faire les efforts pour sortir de ce match avec le moins de regrets possible. » Stop. Lloris exaspère le suiveur, passe son temps à tirer sur la corde du lisse et transforme la conférence de presse d’avant-match en lutte contre l’ennui ? Là, à cet instant, c’est le joueur qui vient pourtant de repasser au-dessus du capitaine. Interrogé il y a quelques mois sur son rôle de porte-brassard, le portier de Tottenham avait avoué être, dans ces moments, « dans la retenue, la protection du groupe » , mais avant cette rencontre contre l’Argentine, Hugo Lloris a surtout tenu à appuyer sur un message qu’il ne cesse de faire tourner lorsqu’on lui en offre la possibilité hors du cadre officiel.
Dans une Coupe du monde où, pour la première fois de façon aussi significative, chacun essaye de tout expliquer par les chiffres, la data, la tactique ou des formules savantes, le capitaine tricolore, qui a fêté contre le Danemark sa centième sélection (il est le gardien français le plus aligné de l’histoire et n’est plus qu’à trois capes d’égaler Didier Deschamps), ramène le foot à son état brut. Dans France Football, il y a quelques semaines : « J’allais acheter mes équipements à Vintimille, mais pas sur le marché du faux ! Il y avait une boutique spécialisée pour les gardiens, avec des tenues qu’on ne trouvait pas en France et qui sortaient de l’ordinaire.(…)J’avais un pantalon bien rembourré, pour plonger sur le sable.(…)Cela me fait du bien de parler de tout ça. Tout a tellement changé autour ; le contexte, les enjeux… Mais je ressens toujours le jeu de la même manière qu’à cet âge-là : l’odeur de la terre, les premiers plongeons dans la boue, ma grand-mère qui lavait mes affaires… »
Il y a une forme de protection envers le milieu et un refus de l’utilisation du football, ce qui explique le comportement du Lloris vu depuis toujours. Après la défaite face à la Colombie (2-3) fin mars, le chef de file avait alors tout ramassé sur son passage, attrapant au col la nouvelle génération qui l’entoure aujourd’hui : « La Colombie a peut-être un peu moins de talent, mais c’est une vraie équipe.(…)Le foot, ce n’est pas que le talent, c’est aussi le mental.(…)Souvent, on ne se focalise que sur celui qui a le ballon. Mais il faut du mouvement. S’il n’y a pas de mouvement, on se retrouve dans une situation de galère.(…)On a du talent, on peut faire de très grandes choses… si on joue en équipe et cela, il ne faut pas l’oublier. Il ne faut pas se voir trop beau. »
« Il a bien fallu que j’assume »
Hugo Lloris sait qu’il ne s’appartient plus depuis longtemps, que sa parole est utilisée et c’est son histoire avec les Bleus qui veut ça : il est le visage de l’après-Knysna, sa capacité d’effacement jouant pour lui et tout ça lui a permis de durer, surtout que Mandanda s’est planté à chaque fois qu’il a eu l’occasion de lui souffler la place de numéro un. Ainsi, le bonhomme a accepté le rôle qu’on l’a forcé à prendre – l’exemple à suivre, la caution représentation –, mais ne se cache plus pour remettre tout le monde à l’endroit lorsque tout ne tourne pas correctement. Dans ce premier tour, il est alors venu parler de « maîtrise » après la rencontre contre le Pérou lorsque Paul Pogba s’est contenté de gesticuler autour des questions dans un jeu de « on parle, on parle » , mais on est là, hein. Lloris, lui, ne joue pas avec les détails : il sait que c’est précieux et que tout va maintenant se décider là-dessus. Lorsqu’il a été invité à parler avant la compétition dans L’Équipe, il a alors bousculé Griezmann : « Il sait bien qu’il ne peut pas réclamer sa liberté et dire : si ça va bien tant mieux et si ça ne va pas, je veux qu’on me laisse tranquille. Non. C’est Antoine Griezmann, il a un statut, il doit l’assumer. Moi, on m’a collé un statut de capitaine à un moment où je n’étais pas prêt et il a bien fallu que je l’assume. » C’est ce qu’il demande, au-delà du « groupe qui vit bien » , à l’heure de se mettre en danseuse sur le col argentin. Rien de lisse, donc : juste la parole d’un parrain de son sport et de l’honneur collectif.
Par Maxime Brigand