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Lizarazu, des Lavezzi à Dijon
Festival du film d'aventure à Dijon. L'occasion de voir Bixente Lizarazu faire la raie manta et de futurs footballeurs prendre une leçon par un éclopé. Embarquement pour un petit voyage, des îles Lavezzi à la cité ducale.
C’est l’histoire d’un mec qui a fait sa vie grâce à ses jambes, et qui se lie d’amitié avec un autre à qui il en manque une, de jambe. Le premier, c’est Bixente Lizarazu ; le second, Frank Bruno. À dix-huit ans, Frank est « ponev » – pour personnel de pont d’envol – sur le porte-avion Foch quand il se fait rouler dessus par un Crusader en train d’apponter. Le Foch est engagé dans le conflit libanais. Le temps que le bidasse se fasse rapatrier, la gangrène a gagné la jambe et il faut amputer au niveau du tibia. Une injustice de la vie qui, paradoxalement, va pousser celle de Frank Bruno bien au-delà de l’entendement. « Cette jambe en moins, c’est une force en plus » , dit Frank. Il va parcourir le monde à la rame, à vélo, et même à pied. Surtout, il va sortir majeur du concours de moniteur de plongée. Diplômé, il rencontre Lizarazu, en fait un ami, réalise un film avec lui, jusqu’à donner une leçon de vie à d’apprentis footballeurs dijonnais. L’effet papillon, du Liban à la Côte d’Or.
Frères de sport et plongeurs en équipe
« L’idée, c’est de partir en immersion dans le sport d’un autre, avec un sportif emblématique de ce sport » , détaille un Lizarazu pris entre deux flashs. « Chamonix, c’était la Mecque du ski freeride et de l’alpinisme. Rio de Janeiro et le Brésil, c’était la Mecque du jiu-jitsu brésilien, qui a initié le MMA. Et la plongée sous-marine, pour moi, c’est Frank Bruno. » Depuis 2013, Liza se fait le plaisir de partager ses kifs sportifs via la série Frères de sport. Pour cet épisode, plongeon avec Frank Bruno, donc. Rencontré à Rodrigue au sortir de la Coupe du monde 2002 avec un autre Frank, Lebœuf, le Basque est séduit par la personnalité sans concession du chauve unijambiste. Un type qui, loin de s’arrêter à sa jambe en moins, a décidé d’avancer coûte que coûte.
Détendeurs en place, les deux amis vont fouiller le fond de l’eau, une excuse pour s’explorer soi-même. Les îles Lavezzi au sud-est de Bonifacio d’abord, lieu de prédilection de Frank Bruno. Puis l’atoll de Rangiroa, en Polynésie française. « Un jour, j’ai un message sur mon répondeur » , remet Frank Bruno. « Bayern, Bayern ! La foule gueule, et la voix de Liza qui me propose de venir lui rendre visite à Munich. Une semaine plus tard, je trouve un billet d’avion dans ma boîte aux lettres. Alors tu y vas, hein ! » Un truc simple, malgré les différences de vie. Plus de dix ans plus tard, Lizarazu est parrain de Bout de Vie, l’association de Frank Bruno qui vise à redonner le goût de vivre à des gamins amputés d’une partie d’eux-mêmes. Puis ils débarquent en Côte d’Or, pour défendre leur vision le temps d’une projection.
« Vivre sur un bateau comme Frank, ça c’est un vrai truc ! »
Dans la salle, il y a Tom, Alexis, Erwan, Lodi, Junior, Benny, Younes et une bonne partie du centre de formation du Dijon Football Côte d’Or. Sans oublier Mathieu, le boss du centre. Après la projection, il resitue à ses jeunes : « C’est costaud, son association, les aventures accomplies. Le mec, il est accroché, quoi ! Vous vous rendez compte, il lâche rien ! La devise du club, il y a quelques années, c’était « On lâche rien ». Là, le mec, il lâche rien, c’est impressionnant. Prenez ce petit moment de réflexion, le soir : qu’est-ce que j’ai fait aujourd’hui, pourquoi je me suis plaint, pourquoi je me suis pris la tête ? Et regardez ce que les gens peuvent faire autour de vous. Honnêtement, prenez ce temps et vous en sortirez grandi. »
Forcément, pas encore majeurs, les apprentis ont du mal à trouver les mots. C’est Tom qui finit par prendre la parole : « Frank Bruno, mentalement, il est fort. Il a perdu sa jambe et il a réussi dans un autre domaine. Il faut respecter ce qu’il a fait, c’est un bon exemple. » Alexis embraye, concerné : « Perdre une jambe, ça provoque l’arrêt d’une passion, du sport qu’on fait depuis qu’on est tout petit. Donc faut savoir trouver un autre domaine où on peut se développer et exprimer notre vie, c’est compliqué, je pense. Et Frank, il l’a très bien trouvé. » Et la notion d’isolement, de face-à-face avec soi-même ? Même Lizarazu a du mal : « Je n’ai pas un rapport à la solitude aussi extrême que Frank ou Sylvain Tesson (écrivain-voyageur, ndlr). Moi, j’aime la solitude sur une durée courte. Pas pendant six mois ! Sur la journée, ça ne me pose aucun problème ! (rires) Mais partir un mois seul, vivre sur un bateau comme Frank, ça c’est un vrai truc ! C’est un autre délire ! » Un autre délire que Mathieu voulait faire découvrir à ses jeunes protégés : « Faut regarder ce qui se passe autour de vous. On a parlé de politique, des élections, on va aller à l’opéra… L’année dernière, on a fait du théâtre, il y en a la moitié qui sont sortis en disant « Ouais, c’est nul à chier. » Mais non ! On apprend des trucs ! Parce que la vie ne s’arrête pas qu’au football et là, c’est la preuve. » Une preuve, aussi, que du Foch à Dijon en passant par un champion du monde, les voyages ne forment pas que la jeunesse.
Par Eric Carpentier