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« On ne faisait pas le même sport qu’eux »
Toulouse va affronter Liverpool à Anfield, ce jeudi soir (21h) en Ligue Europa. En 2007, les Violets avaient déjà défié les Reds, cette fois en tour préliminaire de Ligue des champions. Une double confrontation marquée par deux défaites, mais qui avait aussi laissé d’ineffaçables souvenirs.
Le 26 mai 2007, soir de dernière journée de Ligue 1, le Stadium rugit à trois reprises pour célébrer les exploits de son chouchou suédois, Johan Elmander, auteur d’un triplé victorieux contre Bordeaux synonyme de troisième place finale. L’ambiance est à l’euphorie dans la Ville rose, cinq ans seulement après une saison dans le purgatoire du National et vingt ans tout pile après la dernière apparition européenne du club. Une rencontre historique, mais qui n’est pas grand-chose à côté de ce qui va suivre. Un troisième tour préliminaire de Ligue des champions face au grand Liverpool de Rafael Benitez perdu sans qu’il n’y ait rien à y redire, mais qui marque un moment à part dans l’histoire récente des Violets. Tant et si bien que seize ans plus tard, quand un tirage au sort taquin place les Reds dans le même groupe de Ligue Europa que le TFC, ces deux matchs sont dans toutes les têtes sur les bords de la Garonne. « Il faut replacer ça dans le contexte du club, qui depuis sa remontée en Ligue 1, n’avait connu que des fins de saison pour le maintien. On avait décroché une troisième place incroyable », remet Élie Baup, l’entraîneur toulousain à l’époque.
« Une des équipes les plus prestigieuses d’Europe »
Au milieu des potentiels adversaires aux quatre coins du continent, deux épouvantails se présentent aux Toulousains : l’Arsenal d’Arsène Wenger et Liverpool. Ce seront donc les finalistes en titre, cette fois battus par un Milan qu’ils avaient renversé à peine deux ans auparavant dans la folie d’Istanbul. Un ogre, en somme. « Jouer contre Liverpool, c’était rencontrer une des équipes les plus prestigieuses d’Europe à ce moment-là », assure Baup. Une montagne que les Toulousains prennent avec philosophie, bien conscients de ce qu’ils s’apprêtent à vivre. « Je me souviens que je faisais partie de ceux qui voulaient tomber directement contre un gros, histoire de jouer ce genre de match au moins une fois dans sa vie », assure le défenseur Mohamed Fofana.
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Très vite, l’excitation grimpe dans la ville rose, où chacun a hâte de voir débarquer Steven Gerrard, Peter Crouch, Jamie Carragher et Fernando Torres sur l’île du Ramier. « Les jours d’avant, c’était la folie, se remémore encore Fofana. Quand je me baladais, le match était sur toutes les lèvres. Y compris pour nous les joueurs, on ne va pas se mentir, c’était déjà dans notre tête, même si le championnat avait commencé. On sentait qu’il y avait une grosse attente, mais pas en matière de résultat. Le maître mot, c’était plutôt “créer l’exploit”. » Un moment à part dans lequel est bien conscient de devoir croquer à pleines dents Nicolas Dieuze : « Je suis d’ici. Je connaissais l’histoire du club, je sais d’où l’on partait, les années à faire le yo-yo entre la Ligue 1 et la Ligue 2, donc c’est une sorte d’aboutissement de tout ce qu’avait fait le club depuis la reprise par Olivier (Sadran, NDLR). »
Cagnard, Playstation et coup tactique
Mercredi 15 août, 16h30. Le grand jour enfin arrivé, les travées du Stadium sont prêtes à faire monter encore quelque peu un thermomètre déjà en surchauffe. « À l’aller, on savait qu’il ferait très, très chaud. Avoir programmé le match en milieu d’après-midi, il me semble que c’était un coup du club pour augmenter nos chances, parce qu’on savait que les Anglais avaient plus de mal sous de fortes chaleurs », avance Pantxi Sirieix. Une théorie confirmée par Dieuze, mais le pari est finalement perdu. « Au début, tu te dis que tu vas essayer de les faire douter. On les reçoit en plein après-midi, en se disant qu’ils vont souffrir de la chaleur. Tu parles ! Il fait 40 degrés, et c’est toi qui en baves, parce qu’avant ils ont fait quinze jours de stage à Dubaï et se sont donc acclimatés. » Dans le jeu, les Violets peinent logiquement face à la force tranquille des Reds.
« Les quinze premières minutes étaient assez compliquées pour nous, après on a déroulé, confirme Mohamed Sissoko, entré en jeu côté merseysiders. On voyait qu’ils étaient nerveux, on ressentait à travers leurs regards qu’ils avaient une certaine pression de jouer contre un club aussi prestigieux. » Dans le camp d’en face, les souvenirs sont plus mitigés. « Le Stadium n’était pas plein, ce qui est paradoxal, s’étonne Dieuze. Les places étaient assez chères. Mais l’ambiance était top, on sentait qu’on allait vivre un moment particulier dans l’histoire du club. » Les Violets courbent finalement l’échine sur une praline d’Andriy Voronin juste avant la pause, sans parvenir à se relever par la suite (0-1). « Je sors dessus pour essayer de le contrer et malheureusement, je ne sais pas comment, la frappe passe entre mes jambes et se loge dans la lucarne. Ça fait un but un peu venu d’ailleurs », regrette encore Mohamed Fofana, aligné en charnière et contraint de se coltiner un certain Peter Crouch. « Il fait presque deux mètres, c’était très dur de défendre sur lui. C’était plus Nicolas Dieuze qui le gérait au duel aérien, et nous derrière, on gérait la profondeur pour contrôler les déviations éventuelles. Le moment fort pour moi, ça a surtout été l’entrée de Fernando Torres, c’était vraiment l’étoile montante du foot mondial, et j’étais d’ailleurs un peu déçu qu’il ne soit pas sur le terrain au départ. Quand il est rentré je me suis dit : “Ah ouais, j’ai l’impression d’être sur la Playstation !” »
Deux semaines plus tard, les Toulousains doivent tenter de créer un exploit monumental à Anfield. Il n’en sera rien, Élie Baup et sa bande rentrant en Haute-Garonne avec une lourde défaite (4-0) malgré un coup tactique tenté avec une défense à trois axiaux. « On n’était pas dans notre élément, ce choix ne nous a pas beaucoup aidés, constate le technicien aujourd’hui. Mais je retiens surtout l’échauffement, les chants… Il y a une sensation qui vous hérisse les poils, qui vous prend aux tripes. Il y a un côté émotionnel vachement fort. » « Quel que soit le système, je pense sincèrement qu’on n’était pas au niveau, on n’avait pas les armes pour les sortir », tempère Nicolas Dieuze. Reste la fierté d’avoir pu ferrailler avec de tels joueurs. « Sur le terrain, on voyait bien qu’ils ne faisaient pas le même sport que nous. C’était d’un niveau tellement supérieur que ça nous a remis les idées en place, lâche même un Sirieix qui n’en garde aucune rancœur. Je regrette beaucoup plus d’avoir perdu en demi-finales de Coupe de France contre Guingamp que d’en avoir pris quatre à Liverpool. Avoir joué à Anfield, ça restera gravé dans nos mémoires. »
Des souvenirs plein la tête
Seize ans plus tard, les acteurs de l’époque assurent avoir disputé là le match le plus prestigieux de leur carrière. « Certains ont réussi, comme Moussa Sissoko ou Jérémy Mathieu, qui a gagné la Ligue des champions avec Barcelone, mais on savait que la plupart d’entre nous n’aurions pas la chance de revivre ce genre de moments », admet Fofana. « C’est mon Graal sportif, assure Dieuze. J’étais conscient de mes qualités et de mes défauts. Jouer un tour préliminaire de Ligue des champions à Liverpool, je pense que pour moi, c’était le summum. » En tant que capitaine, l’ancien milieu de terrain doit « serrer la paluche de Gerrard, un monument du foot ». Sirieix, de son côté, prend soin d’échanger son maillot avec celui de Xabi Alonso, qu’il retrouvera en sélection basque quelques années plus tard. Fofana, pour sa part, récupère un souvenir plus original. « J’avais été désigné au contrôle antidopage, rembobine-t-il. Je me suis retrouvé avec Jamie Carragher, Sami Hyypia et Riise, je crois. Une de mes amies collectionnait les chaussettes de foot et m’avait demandé si je pouvais lui en récupérer une paire. J’en ai profité à ce moment-là pour demander à Sami Hyypia, avec mon anglais balbutiant. Il avait été très surpris de ma demande. “Socks ? Heu, OK.” Il me les a passées et j’ai remercié mon amie de m’avoir offert ce moment gênant ! » Surtout, cette double confrontation devient un marqueur pour toute une génération de supporters, comme l’avait été la qualification face au Naples de Diego Maradona au milieu des années 1980. « Ce sont des affiches qu’on gardera toujours en mémoire, souligne Sirieix. Liverpool, c’est une équipe mythique, un stade mythique. Quand on avait joué contre le Shakhtar (deux ans plus tard, en Ligue Europa, NDLR), c’était très très fort, mais ça n’avait pas eu le même impact. Parce que le passé entre en compte. » L’avenir, lui, s’écrit jeudi soir.
Actuellement dixièmes de Ligue 1, les hommes de Carles Martinez Novell s’apprêtent en effet à défier les Scousers dans leur antre. Seront-ils en mesure de faire mieux que leurs prédécesseurs ? « Là-bas, ça risque d’être compliqué, mais à la maison, je me dis qu’ils sont capables de faire un résultat, de les accrocher », avance Sirieix, recordman du nombre de matchs joués sous le maillot violet (260). Nicolas Dieuze est un peu plus optimiste, notamment parce qu’il ne s’agit pas, cette fois, d’un tour préliminaire par définition couperet. « Tu ne joues pas de la même manière en phase de groupes, observe celui qui est désormais agent de joueurs. Nous, il fallait qu’on aille renverser un score de 1-0. Là, ils pourront être plus prudents, jouer sur les transitions. Bien sûr, il faudra un Guillaume Restes en état de grâce pour croire en l’exploit. Gagner, je ne pense pas. Mais un nul, pourquoi pas ? » Au capitaine Vincent Sierro et à ses coéquipiers de jouer. Pour qu’eux aussi, dans quelques années, aient de jolis souvenirs à raconter.
Toulouse-Liverpool : la superbe semaine du couple Dønnum-BizetPar Tom Binet et Raphaël Brosse
Tous propos recueillis par TB et RB.