- Premier League – 34e journée – Liverpool/City – Billet d’humeur
Liverpool, retour vers le passé
Liverpool, c’est une institution. Un palmarès long comme le bras de Wilt Chamberlain, des supporters en or, un stade mythique, bref, un membre éminent de la famille des grands clubs. Pourtant, depuis quelques saisons et particulièrement depuis l’exercice 2009/2010 les rives de la Mersey ressemblent aux rives du Styx. Suffisant pour que la jeune génération d’amoureux du ballon rond prenne les Reds pour ce qu’ils ne sont pas à quelques heures de leur match le plus important depuis cinq ans en Premier League.
Si Liverpool est une institution, que dire de ce traditionnel repas du dimanche ? Un debrief hebdomadaire de la situation du club le plus tourmenté d’Europe : votre famille. À sa tête, enfin ce qu’il en reste, un grand-père dont on n’a cessé de vous vanter le CV depuis votre plus jeune âge. Papi est comme Niagara, il a vu la guerre, le sang sur sa peau, la fureur et les cris. Un héros d’antan qui profite chaque semaine de la mi-temps entre le plat et le dessert pour raconter une anecdote déjà entendue mais toujours écoutée, au moins par respect. L’histoire de Ian Rush, John Barnes, Bruce Grobbelaar, Alan Hansen et Steve Staunton, Reds flamboyants champions d’Angleterre 1990, est elle aussi parvenue moult fois aux oreilles des moins de vingt ans chers à Aznavour. Une épopée épatante reçue cinq sur cinq, mais qui impose forcément moins de respect que les faits vécus par les mômes d’aujourd’hui. Pour cette belle bande de cartésiens, les Reds, c’est un peu de poussière sur des vieux bouquins et surtout, une exclusion sans sommation du fameux « Big Four » depuis 2008/2009. Septièmes cette saison-là, les joueurs de Liverpool terminent sixièmes la saison suivante, huitièmes en 2010/2011 et à nouveau septièmes l’année passée. Ou quand le grand Liverpool FC devient le Merseyside Red cher aux amateurs de PES.
Don’t look back into the sun
Ce Liverpool tête dure mais ventre mou, c’est le Liverpool qui a vu grandir Jon Flanagan. Formé chez les Reds, le môme né en 1993 n’a pas connu le dernier titre de son club en Premier League. L’affirmation est également valable pour Philippe Coutinho (né en 1992), Raheem Sterling (né en 1994) et Jordan Henderson (né en juin 1990). Des jeunes lads qui devraient être alignés cet après-midi pour le match le plus important de Liverpool en Premier League depuis plus de cinq ans. Une période durant laquelle les Reds n’ont jamais posé leurs fesses sur le trône de l’Angleterre pendant ne serait-ce qu’une journée, ce qui n’est pas le cas d’équipes comme Bolton, Fulham ou Swansea. Au moment de croiser le fer avec Manchester City, il s’agira donc pour ces jeunes ambitieux, parfois vicieux, de ne pas penser à « avant » pour écrire leur propre histoire et devenir les princes de la ville. Comme le chantaient si bien les Libertines : « Don’t look back into the sun, now you know that your time is come, and they say it would never come for you » . Emmenés par un Suárez de gala et par un Stevie G qui passe les années comme une bonne bouteille de pinard, les hommes de Liverpool ont l’occasion d’aller chercher un titre comme ils savent le faire : au panache. Car au moment d’ignorer les conseils de Pete Doherty de regarder le rétroviseur pour admirer leur passé, même proche, les Reds ont besoin d’enfiler les lunettes de soleil.
L’ultime branche européenne et le mythe rouge
Vieil arbre vigoureux de la forêt d’Anfield, Steven Gerrard n’a jamais été champion d’Angleterre, mais a vu d’autres tempêtes et surtout d’autres printemps verdoyants. S’ils ont été tenus éloignés d’un titre en Premier League depuis 24 ans, les Reds ne se sont pas gênés au moment d’éclabousser l’Europe du football de leur talent et de leur amour pour les finales à suspense. De l’inoubliable 3-0 – 3-3 d’Istanbul 2005 face au grand Milan au non moins rocambolesque 5-4 de Dortmund face au Deportivo Alavés du fils Cruyff en 2001, les joueurs de Liverpool n’ont jamais cessé de prouver que comme les histoires passionnantes d’un grand-père pour un petit-fils, la victoire est dans leur ADN. Un code génétique fait de succès donc, mais pas seulement. Au vrai, si le passé des Reds est aussi éblouissant que les phares du salaud qui roule en feux de route en ville, c’est aussi parce que le club a tout de celui que les gens aiment. Tout à l’heure, à 14h37, au moment du café de votre déjeuner dominical, le You’ll Never Walk Alone qu’entonneront les supporters présents à Anfield filera même la chair de poule à une grand-mère imberbe qui n’aime pas le football. Les noms de Dietmar Hamann, Stéphane Henchoz, Danny Murphy, Gary Mc Allister, Robbie Fowler ou Michael Owen font sourire les hérétiques du football anglais. 18 titres nationaux et cinq Ligues des champions implorent le respect même du côté de Milan ou de Madrid. Oui, le Liverpool FC, c’est comme ce déjeuner dominical : quand les plus anciens partiront, vous finirez, au bout de quelques années difficiles, par l’organiser vous-même. Et pas seulement par nostalgie, juste parce que c’est comme ça. C’est peut-être ça, un grand club.
Par Swann Borsellino