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Liverpool-Real Madrid : Paris est leur fête
Alors que le Stade de France accueille samedi soir la troisième finale de Ligue des champions de son histoire, un Real Madrid qui se plaît à cultiver l'art de l'imprévisibilité s'apprête surtout à retrouver Liverpool, plus complet que jamais, quatre ans après une finale remportée par les Merengues à Kiev. Reste qu'entre-temps, les Reds ont appris à gagner et sont prêts à renverser la table.
Ce soir, Paris tremblera. À Saint-Denis, d’abord, où la piste du Stade de France, qui va accueillir samedi soir la troisième finale de Ligue des champions de son histoire après les éditions de 2000 et 2006, toutes deux raflées par des clubs espagnols (le Real et le Barça), peinera à résister aux vibrations des sauts liverpuldiens et madrilènes. Cour de Vincennes, ensuite, où les supporters de Liverpool n’ayant pas réussi à attraper un sésame pour la rencontre sont attendus en masse pour s’époumoner dans une ambiance de kermesse royale. Dans les murs de la ville, enfin, une finale de C1 pouvant se payer le luxe de s’enfoncer dans des zones interdites et de prendre d’assaut les foyers, les chambres d’ados, les terrasses des bars et d’allumer une mèche dans tous les esprits. Une finale est une histoire à vivre et à écrire, qui réveille le temps d’une soirée les pulsions les plus primitives : la crainte et le plaisir. Il est impossible de ne pas se passionner pour une telle rencontre, même au bout d’une saison qui s’est de nouveau amusée à grignoter les organismes et à torturer les esprits. Une finale, c’est autre chose, un autre frisson, un voyage à part, et l’affiche du jour, entre un Liverpool qui n’a probablement jamais été aussi complet et un Real qui se plaît à cultiver l’art de l’imprévisibilité, concentre sur le papier tout ce qui a un jour poussé des millions de personnes à se passionner pour ce drôle de sport. Ce soir, Paris tremblera, et pourtant, un homme ne tremblera pas.
« Ce que nous avons fait est de la folie »
Carlo Ancelotti aura 63 ans dans treize jours et n’a plus l’âge pour ces bêtises. Alors, Carletto, entré dans l’histoire fin avril en devenant le premier entraîneur vainqueur des cinq grands championnats européens un an après avoir terminé 10e de Premier League avec Everton, laisse ses congénères s’agiter, crier, siffler dans leurs doigts, hurler des consignes inaudibles et retourner leur zone technique. L’entraîneur italien, débarqué dans le foot pro en 1976 et qui ne l’a jamais quitté depuis, a déjà vu tous les films et préfère bien souvent croiser les bras. Ancelotti est un homme de peu de gestes, de peu de mots, de mains dans les poches, que l’on a encore vu lors de la demi-finale retour face à Manchester City, alors que le Bernabéu venait une énième fois de voir l’irrationnel se pointer, discuter tranquillement avec Marcelo et Toni Kroos juste avant le début de la prolongation, là où Pep Guardiola s’ébrouait au milieu de ses soldats. Ce calme est cependant une façade, et celui qui aura l’occasion ce samedi soir de tirer pour la quatrième fois de sa vie les grandes oreilles l’a confié cette semaine face à la presse : « La période la plus difficile, ce sont les trois ou quatre heures qui précèdent le coup d’envoi. Je ressens un malaise physique. J’ai eu un peu plus de mal avec ça cette saison, avec une transpiration accrue, une accélération du rythme cardiaque, des pensées négatives… Mais heureusement, tout s’arrête une fois que le match commence. » Carlo Ancelotti est humain, et son Real Madrid, champion d’Espagne pour la 35e fois de son histoire cette saison, ne l’a peut-être jamais autant été aussi.
À 32 ans, 34 ans et 36 ans, Kroos, Benzema et Modrić ont parfaitement su, tout au long de la saison et sur toutes les scènes, prendre le relais en matière de leadership pour gérer un groupe habitué depuis plus d’une décennie à vivre au rythme de deux autorités (Cristiano Ronaldo et Sergio Ramos). Sans eux, le Real a dû repenser l’équilibre de son vestiaire, et on a alors vu Benzema, qui va vivre samedi le sommet de sa carrière en club au bout d’un exercice solaire, prendre les commandes du navire, soutenu de près par ses deux autres potes historiques, mais aussi par les performances d’un Thibaut Courtois tentaculaire et l’envol d’un Vinicius Junior qui a déjà fait mal à un Liverpool bricolé en mars 2021. Ce Real Madrid, aidé par des remplaçants (Rodrygo, Camavinga) souvent performants pour faire grimper le curseur énergie d’un cran, n’a peut-être rien révolutionné sur le plan du jeu et est peut-être l’équipe la plus irrationnelle de la saison en cours, mais elle sait exactement où elle veut aller et comment elle veut y aller. Elle sait surtout gagner, même quand elle vacille, même quand elle semble au-dessus du vide, peut-être même encore plus lorsqu’elle semble au-dessus du vide. « Ce maillot vous fait quelque chose, a révélé vendredi David Alaba, dans un entretien donné à The Athletic. Il te donne un sentiment de conviction. Quand tu le portes, tu sais qui tu es, tu sais à quel point tu es bon, tu sais ce que tu peux faire… Et cette confiance et ce courage se répercutent sur notre jeu. C’est le caractère de ce club : nous ne cessons jamais de croire en nos propres capacités. C’est pour ça que nous revenons toujours. Nous avons déjà vu beaucoup de choses dans le foot, mais ce que nous avons fait ces derniers mois est de la folie. »
De la pure folie, dessinée par des joueurs qui savent écrire l’histoire quand elle le demande et faire exploser le moindre plan tactique. Il faut ici rendre hommage à ce Real et le sortir un temps de la caricature : cette équipe, parfois un peu bordélique, sait s’adapter à tous les scénarios et a su, par exemple, changer sa structure et offrir des sorties de balle brillantes pour fatiguer City il y a quelques semaines. Ce Real est en réalité typiquement Real, il vit chaque match comme un duel de cape et d’épée et, comme l’a un jour expliqué Xavi : « Ils te regardent droit dans les yeux et te défient. Tu veux attaquer ? Vas-y, nous aussi on va le faire, mais si vous ne marquez pas, nous, on la mettra dedans. » En C1 peut-être encore plus, tant le club madrilène vit pour cette compétition. Casemiro le disait récemment dans Panenka : « Ce club gagnera des Ligue des champions jusqu’à la fin des temps. Les soirs de C1, la ville entière se comporte différemment. C’est vraiment palpable, il y a une ambiance particulière. »
Les cartes de Liverpool
Il y a quatre ans, à Kiev, Liverpool avait senti de près ce drôle de pouvoir et avait perdu pied après un début de match intense, dont l’élan avait été coupé par la blessure de Mohamed Salah, les erreurs de Loris Karius et une merveille de Gareth Bale. À cette époque, les Reds savaient déjà étouffer leurs adversaires, mais tremblaient encore au moment de mettre le dernier coup de marteau sur le dernier clou. Depuis, Liverpool a réappris à faire la fête, à croquer dans des médailles, et Jürgen Klopp tient aujourd’hui entre ses doigts ce qui est peut-être l’équipe la plus complète et la plus affûtée physiquement du continent. Une équipe passée pour de bon reine dans l’art d’imposer un match sur une moitié de terrain à ses adversaires, qui n’hésite pas à jouer avec une ligne défensive très haute – personne n’a provoqué plus de hors-jeu en Europe que les Reds cette saison et le Real est, d’ailleurs, l’équipe la plus souvent sanctionnée, ce qui sera l’un des enjeux d’une rencontre où le duel entre Vinicius Junior et Trent Alexander-Arnold sera scruté de près –, qui est portée par des centraux impériaux au sol et dans les airs, et qui a su ajouter à ses qualités de base (l’intensité, le contre-pressing) une puissance sur phases arrêtées, mais aussi une capacité à jouer avec le rythme, donc à vivre plusieurs moments dans une même rencontre, ce qui est essentiel dans une finale. En ce sens, la présence ou non de Thiago Alcántara, touché face à Wolverhampton le week-end dernier, aura une incidence, mais Klopp sait que son Liverpool possède dans son trousseau les clés pour sanctionner le Real et le faire tourner dans tous les sens, que ce soit grâce aux décrochages de Sadio Mané s’il est de nouveau aligné en faux 9 ou en sanctionnant un Real qui peut perdre sa structure lorsqu’il a le ballon et être ainsi souvent exposé à la perte du ballon.
Dans sa saison, marquée par une bataille pour le titre perdue sur un fil et deux succès aux tirs au but face à Chelsea lors des finales des deux compétitions nationales, Liverpool, troisième meilleure attaque du continent et comeilleure défense, manque cependant d’une chose essentielle : un sommet remporté au couteau. Les Reds ont ainsi eu connu un parcours sans secousse jusqu’à Saint-Denis, mais n’ont pas réussi à attraper le moindre succès face aux autres membres du top 4 de Premier League (Manchester City, Chelsea et Tottenham – six nuls en six rencontres). Dans El Pais, Sadio Mané a malgré tout tenu à souligner que sa troupe arrive « mieux préparée qu’en 2018. Nous savons ce qui nous attend et nous savons que ce sera très difficile, mais si tu veux être le meilleur, tu dois battre les meilleurs. » S’il dégage au loin l’idée d’une revanche, Jürgen Klopp appuie également sur l’expérience gagnée par ses hommes : « C’est une bonne chose d’avoir joué des finales ces dernières années. Ce qui est amusant, c’est que nous avons perdu face au Real à Kiev et que nous avons gagné contre Tottenham à Madrid(en 2019, NDLR). Là, nous rejouons face au Real. Quand on est en finale, Madrid est toujours impliqué, d’une manière ou d’une autre, mais si on y va en se disant « vengeance ! », « revanche ! », ça ne va pas bien se passer. Ce n’est pas notre style. Nous devons juste jouer notre football, car si on est au top, on est difficiles à jouer. » Jouer, ça et rien d’autre. 41 ans après la victoire de Liverpool au Parc des Princes, la table est de nouveau dressée. Il ne reste plus qu’à la renverser.
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