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Liverpool-Arsenal, le sacre du siècle
Ce n'est pas un derby à proprement parler. Pourtant, les chocs entre Liverpool et Arsenal ont souvent livré des matchs au scénario fou - on se souvient encore du quadruplé d'Archavine - qui ont contribué à écrire l'histoire du championnat anglais. À commencer par ce match du 26 mai 1989.
Qui ne se souvient pas du but salvateur de Kun Agüero, à la 94e minute de l’épilogue de la saison face à QPR, pour offrir à Manchester City son premier titre depuis 1968 ? Un final incroyable et un suspense haletant qui ont marqué l’histoire récente de la Premier League, de manière forte. Pourtant, le championnat anglais n’a pas attendu de rencontrer le petit génie argentin pour s’offrir des dénouements improbables, faits d’ascenseurs émotionnels et de retournements de situations plus dingues les uns que les autres. Quoi qu’il advienne, il sera dans tous les cas difficile d’égaler ce 26 mai 1989, peut-être l’un des matchs de football les plus célèbres de l’histoire du jeu. Car si Manchester City partait logiquement favori face aux Queen Park Rangers, la situation était tout autre pour les Gunners. Un grand pas en arrière est nécessaire pour comprendre les enjeux de la rencontre.
Les larmes de Hillsborough
Nous sommes fin mai 1989 à Liverpool, six semaines après la terrible tragédie de Hillsborough. Dans une saison qui aurait logiquement pu être arrêtée, les Reds, animés par une énergie rare, mettent toutes leurs forces dans leurs dernières batailles, comme pour rendre hommage aux 95 victimes – la 96e décédera quelques années plus tard – qui ont péri dans la catastrophe. Une semaine auparavant, le 20 mai, les hommes de Kenny Dalglish ont ainsi brillamment remporté la FA Cup, en s’offrant Everton au terme d’un match extrêmement relevé, finalement remporté 3-2 après la prolongation, alors qu’Everton était revenu à 1-1 à la 89e minute. Ce jour-là, le sort a choisi Liverpool. Une semaine plus tard, les Reds, champions en titre, s’apprêtent à recevoir Arsenal pour le dernier match de la saison, afin de fêter un 18e titre devant leur public. Car s’il s’agit bien d’une finale entre Reds et Gunners, personne ne se fait d’illusion sur l’issue de la rencontre. Il faut dire que la situation est plus que complexe pour les Londoniens. Alors qu’ils ont compté jusqu’à 15 points d’avance sur Liverpool durant la saison, les hommes de Graham ont laissé leur avance fondre jusqu’à voir Liverpool revenir, et finalement les dépasser de trois points à un match du terme de la saison. La donne est donc simple : pour être titrés, les Gunners doivent l’emporter par au moins deux buts d’écart. Un exploit. Car Arsenal n’a pas gagné depuis quinze matchs à Anfield. A contrario, Liverpool n’a pas perdu par deux buts d’écart ou plus à domicile depuis trois ans. Sans oublier qu’il faut remonter à 1971 pour trouver alors trace du dernier titre des Gunners. Tandis qu’entre 1971 et 1989, la machine Red s’est octroyée dix titres de champion. Circulez, y a rien à voir.
« Une montagne à gravir »
Pourtant, à quelques minutes de l’entrée en jeu des deux équipes et du sacre annoncé des Reds, George Graham se montre étonnement serein : « On a une montagne à gravir. (…) Mais on peut se détendre, profiter du match, en espérant inscrire les buts dont nous avons besoin. (…) Je n’arrête pas de lire les journaux, et plus je les lis, plus je pense que c’est un voyage inutile que de venir ici. C’est vraiment une bonne situation, parce que nous pouvons monter sur le terrain, et si nous arrivons à garder notre cage inviolée pendant un bon moment, il y aura toujours des opportunités pour marquer des buts. » Après que tous les joueurs d’Arsenal ont offert des fleurs au public, aux quatre coins du stade, et que le président d’Arsenal a remis un chèque de 25 000 livres à son homologue pour le fonds destiné aux familles des victimes d’Hillsborough, la grande finale tant attendue peut débuter sous les applaudissements d’un Anfield en transe. La première mi-temps est extrêmement fermée, les joueurs d’Arsenal sont bien regroupés en défense et balancent de longs ballons devant pour tenter de faire la différence en contre-attaque. Sans oublier qu’à l’époque, la passe en retrait vers le gardien qui peut se saisir du ballon à la main est encore la norme, et les deux équipes abusent de ce point de règlement. Il faut donc attendre la seconde mi-temps pour commencer à frissonner. Mais quel frisson !
Thomas, pour l’éternité
On joue la 52e minute lorsque, suite à une faute de Whelan, Winterburn botte un beau coup franc indirect repris de la tête par Alan Smith – pas le blond peroxydé évidemment – qui ouvre la marque en consolidant au passage sa place de meilleur buteur du championnat avec sa 22e réalisation de la saison. Il ne faut alors pas dix secondes aux coéquipiers de Bruce Grobelaar pour venir encercler l’arbitre et contester le but. Un hors-jeu ? Une faute ? Dans la confusion générale, personne ne comprend réellement, mais après avoir longuement consulté son assistant, David Hutchinson accorde le pion et relance complètement le suspense du championnat. Toujours est-il que les minutes s’écoulent, et Liverpool, solide, tient bon et croit tenir le score idéal pour s’offrir sa couronne tant attendue. Mais alors que l’on entre dans les arrêts de jeu, les dieux du football décident d’un seul coup de faire parler leur magie. Alors que Richardson, milieu d’Arsenal, est au sol, visiblement touché, l’arbitre décide en conséquence d’accorder trois minutes de temps additionnel. Trois minutes pour la postérité. On joue cette fois la 91e minute lorsque le commentateur annonce « la dernière attaque d’Arsenal » . Dixon met un long ballon vers Smith, qui contrôle du gauche, en pivot, avant de remettre la balle dans la course de Michael Thomas, lancé dans un rush désespéré. Le natif de Londres, après avoir profité d’un contre favorable à l’entrée de la surface, se retrouve seul face à Grobelaar et l’ajuste parfaitement d’un petit extérieur du droit, plongeant Anfield dans un silence jamais revu jusqu’aujourd’hui. Malgré les larmes, les supporters des Reds resteront applaudir le nouveau champion lors de la remise du trophée. L’élégance et la dignité, les deux maîtres mots du plus beau match de football anglais. Pour toujours.
Par Paul Piquard