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Liverpool à l’heure africaine
Ce samedi soir, comme lors de toute cette saison 2017-2018, Mohamed Salah et Sadio Mané devront tout faire très vite. Manger d’abord : respectant le jeûne du ramadan, l’Égyptien et le Sénégalais auront un peu moins d’une heure pour prendre des forces avant le coup d’envoi de la finale de la Ligue des champions face au Real Madrid. Puis sur le pré du stade olympique de Kiev, presser, percuter et marquer parce que c’est dans l’ADN des deux Africains et désormais dans celui du Liverpool de Jürgen Klopp.
Ils sont les deux fers de lance du Liverpool de Klopp. Les deux qui permettent aux supporters des Reds de rêver à nouveau, onze ans après leur dernière finale de C1. Mohamed Salah et Sadio Mané. Les deux meilleurs joueurs de Liverpool sont, aussi, les deux meilleurs joueurs africains du moment. Un sacré retour de flamme, si l’on considère que, depuis la fin de la génération Drogba-Eto’o-Yaya Touré, beaucoup déploraient le manque de talent du continent africain. Cela fait d’ailleurs six ans qu’un finaliste de Ligue des champions n’a pas présenté au moins deux joueurs africains dans son onze titulaire. Le dernier en date, c’était Chelsea, en 2012, qui avait aligné Obi Mikel, Kalou et Drogba face au Bayern Munich. Avant eux : les Nigérians Finidi et Kanu avec l’Ajax (1996), les Ivoiriens Kolo Touré et Emmanuel Eboué avec Arsenal (2005) ou encore Yaya Touré et Sameto (2009). Mais aucun de ces duos/trios ne semble avoir eu l’importance du couple Mané-Salah dans une équipe (ceux du Barça 2009 étaient importants, mais il y avait Iniesta, Messi et Xavi autour d’eux), tant les deux hommes, par leurs qualités respectives, militent pour la philosophie prônée par Jürgen Klopp.
Liverpool et ses contes africains
Alain Giresse, qui a fait de Mané un titulaire en sélection du Sénégal, confirme : « Sadio, c’est ce qu’il lui faut : une équipe qui est bien organisée, et qui lui permet d’avoir de l’espace devant. Liverpool base son jeu sur l’utilisation de l’espace, et avec ce système, Klopp utilise parfaitement les qualités de Mané et Salah. » Au-delà de la capacité de Sadio Mané à s’intégrer dans une animation faite pour ses qualités, le Sénégalais déploie dans le système de Klopp son QI football en pleine évolution. « Sadio a progressé tactiquement, dans ses placements, dans ses coulissements dans le jeu défensif. Et au niveau mental, on ne peut pas dire qu’il tremble, en demi-finale aller, il rate deux occasions, mais marque derrière. Et au match retour, il rebondit et fait un gros match » , analyse Giresse. Lorsque Mohamed Salah a rejoint les Reds l’été dernier, Klopp évoquait la vitesse de l’Égyptien comme « la clef » .
À cette époque, beaucoup voyaient l’ancien joueur de la Roma comme un vulgaire tout-droit capable d’un coup de génie de temps à autre. Auteur de 44 buts et 16 passes décisives en 51 matchs cette saison, l’Égyptien a montré qu’il serait bien plus que ce qu’on attendrait de lui. Des joueurs africains aussi forts que le Lion et le Pharaon, les Reds n’en ont jamais eu, mais leurs prédécesseurs ont su se montrer décisifs. En 1984, Liverpool s’impose aux tirs au but en finale de C1 face à l’AS Roma (1-1 a.p) grâce à son gardien, le Zimbabwéen Bruce Grobbelaar, qui, après avoir gesticulé et déstabilisé les Giallorossi, devient le premier joueur africain à brandir le trophée. Il est rejoint 21 ans plus tard au palmarès par le Franco-Malien Djimi Traoré, titulaire lors de la légendaire finale d’Istanbul (3-3 a.p) contre l’AC Milan. Mais la victoire du Liverpool de Sadio Mané et Mohamed Salah aurait une saveur particulière, inspirante pour les autres talents du continent.
Champion d’Europe à la sauce africaine ?
En signant à Liverpool l’été dernier contre 70 millions d’euros (bonus compris), Naby Keita est devenu le joueur africain le plus cher de l’histoire. Comme Sadio Mané, et Mohamed Salah avant lui. Le milieu relayeur guinéen, dont la spécialité est de briser les lignes adverses par ses courses, confirme l’importance dans le système de Jürgen Klopp de joueurs pouvant se projeter très rapidement vers l’avant. Et la philosophie de l’Allemand pourrait servir les équipes africaines dès le mois prochain lors de la Coupe du monde, elles qui présentent certaines similitudes avec le peut-être futur champion d’Europe. De par des qualités qui prévalent chez certains joueurs. Sur les côtés, la vitesse de Mané et Keita Baldé au Sénégal, de Salah en Égypte, ou d’Ahmed Musa au Nigeria.
Dans le cœur du jeu, les courses répétées d’Idrissa Gueye chez les Lions, ou de Wilfred Ndidi chez les Super Eagles, entre autres. Pour sûr, l’Afrique a du talent. Mais l’inspiration pourrait surtout être collective, et transformer en équipes celles qui n’ont souvent été qu’une somme d’individualités. Liverpool, école de la verticalité et du pressing, est un modèle possible ; Alain Giresse tempère toutefois : « Si on regarde les deux joueurs d’Afrique noire qui se démarquent aujourd’hui, ce sont Sadio et Aubameyang, deux joueurs d’espace et de vitesse. Mais après, tous les joueurs africains n’entrent pas dans ce registre. Et même chez ceux qui peuvent avoir des qualités proches de celles de Sadio, ce qui fait la différence finalement c’est le talent, c’est ça la différence. » Ce samedi soir à Kiev, les Reds compteront d’abord sur celui de leurs deux ailes supersoniques. Plus de doutes, à Liverpool, être à l’heure africaine c’est être très, très en avance.
Par Romuald Gadegbeku
Propos d'Alain Giresse recueillis par RG