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Liverpool : à la découverte de Taggy et de son bar à Anfield
Du trottoir du 21 Anfield Road, on peut observer un long pan de la Anfield Road Stand, colossale structure de béton qui projette son ombre sur une enfilade de maisons en briques d’un étage. Un sacré spectacle, qu’il convient de digérer avec une pinte de Guinness chez Taggy’s, pub ouvert en 2017 par un Norvégien barbu qui a quitté amis et famille pour s’installer dans le quartier du club qu’il aime depuis l’enfance. Portrait sur place.
« Le meilleur bar pour les supporters de Liverpool. » C’est ainsi que Ian Byrne, ancien président de Spirit of Shankly, principale organisation de fans du Liverpool FC, définit Taggy’s, pub au beer garden entouré de chênes qui peut accueillir plus de 1000 convives. « C’est un des mes endroits préférés au monde, poursuit Byrne, également député travailliste de la circonscription de West Derby. Les jour de match, tu as des milliers de personnes qui essaient d’entrer. Le patron est Norvégien et c’est sûrement un des plus grands supporters de Liverpool. Ça illustre le cœur international de cette ville. Vous allez voir, il a un accent Scouser-Norvégien ! » Ce jour-là, une surprenante Bentley bleu nuit est garée sur le parking humide, contrastant avec la bannière rouge accrochée sur des murs de briques citant Bill Shankly, mythique coach des Reds de 1959 à 1974 : « Le socialisme auquel je crois, c’est que tout le monde travaille les uns pour les autres et que tout le monde en récolte les fruits. C’est la façon dont je vois le football, la façon dont je vois la vie. » Taggy Herstad, lui, voit la vie en red depuis ses 5 ans.
Svein et le hareng
Né en 1969, il a grandi à Florø, la ville la plus à l’ouest du pays. « Une bourgade très agréable, décrit-il sous sa grosse barbe. C’est près de la montagne, mais c’est surtout une ville bâtie sur le commerce du hareng. On disait que c’était l’or de la mer. » Depuis le XIXe siècle, les marins du coin voguent sur les eaux froides du nord de l’Europe et font fréquemment escale à Liverpool. Nombre d’entre eux en profitent pour ramener maillots, bonnets et écharpes du club de Mo Salah. Taggy pense que c’est peut-être ainsi que Svein Indrevaer est tombé amoureux des Reds. Avant que Kenny Dalglish n’enfile les buts à Anfield, c’est ce petit Norvégien, de 4 ans son aîné, qui était son « joueur de foot favori ». Il était attaquant et jouait au milieu des vaches sur un champs transformé en terrain de foot de fortune par une bande d’ados, avec de vieux filets de pêche accrochés dans les cages. « Svein jouait attaquant. C’était toujours le plus fort et il supportait Liverpool. Il avait un maillot rouge, ce qui était rare, dans les années 70. Et il était super gentil. Quand j’avais 4 ans, je voulais tout faire comme lui. Alors, je suis devenu fan de Liverpool moi aussi. J’aimais Liverpool avant même de comprendre que c’était un club de foot. » Comme Taggy, Svein a pu suivre les aventures du LFC à la télé, les matches anglais du samedi soir étant retransmis localement depuis 1969. Mais il n’a jamais pu connaître l’équipe de Jürgen Klopp, les frappes soudaines de Steven Gerrard, ni même les courses en profondeur de Michael Owen. « Il est mort d’une leucémie en 1993, s’assombrit Taggy. Il n’avait que 22 ans. En 2017, j’ai fait poser une plaque en son nom au stade. »
C’est peut-être en partie parce que son ami n’a pas pu vivre sa passion aussi longtemps qu’il aurait dû que Taggy a poussé la sienne aussi loin. Depuis gamin, il entretenait un rêve : suivre Liverpool durant une saison entière. À l’aube du nouveau millénaire, il échafaude un plan. Il vend la Jeep Wrangler qu’il adore et enchaîne les heures sup’ sur les docks de Florø, où il bosse depuis 12 ans. Il s’envole pour l’Angleterre, trouve un petit studio et parvient en effet à voir tous les matches des Reds. Cette saison, les Norvégiens John Arne Riise, Vegard Heggem et leurs coéquipiers ne finissent que cinquièmes. Mais Taggy s’est fait des amis et s’est acclimaté à la ville. « Liverpool est beaucoup plus grande que Florø, mais les villes sont similaires de plein d’autres façons, assure-t-il. Il y a les docks, les chantier navals. L’humour est similaire : honnête et direct. Le contact avec les gens est facile. » S’il retourne un an sur les bords de la mer du Nord, il s’installe définitivement sur ceux de la Mersey en août 2004. Après la fin de ses études, son épouse le rejoint l’année suivante.
Des anciens joueurs comme habitués
« Parce qu’il faut bien vivre quelque part », Taggy choisit de s’enraciner dans le quartier d’Anfield, où les murs sont aujourd’hui couverts de murals représentant les idoles du club et où l’on achète plus de voitures rouges qu’ailleurs. C’est là qu’il élève ses deux enfants : un garçon, William et une fille baptisée Tia (comme This Is Anfield), qui supportent tous deux l’équipe du coin. Heureusement, car leur vie serait sinon un enfer. Taggy et sa famille vivent à l’étage de son rade, où le chanteur Jamie Webster vient régulièrement ambiancer la clientèle avec sa guitare et ses chants à la gloire de Thiago Alcantara, Virgil Van Dijk et les autres. S’ils décidaient de se rebeller contre leurs parents, ils pourraient se consoler en scrutant, à moins d’un kilomètre, le bleu evertonien de Goodison Park, posé de l’autre côté de Stanley Park. « Mais Taggy fait pousser des arbres pour qu’on ne puisse plus le voir », s’amuse Ian Byrne. Il en faudrait de toute façon plus pour perturber les fans de Liverpool qui se rendent là tant tout est fait pour leur plaire. Dans le pub, est entreposée une porte que les joueurs passaient, il fut un temps, en marchant des vestiaires au terrain. De loin, on dirait qu’elle est aussi couverte de graffitis que les toilettes d’un club du Cavern Quarter. En s’approchant, on voit qu’il s’agit, en fait, d’autographes d’une cohorte d’anciens joueurs tels Sami Hyypiä, Robbie Fowler, Jamie Carragher et même Djimi Traoré.
D’autres anciennes gloires, comme Jan Mølby et Alan Kennedy, sont devenues des habitués. Perpendiculaire au comptoir, des maillots portés par Fabinho, Trent Alexander-Arnold ou Bruce Grobbelaar (« lors de la finale à Rome en 84 ») trônent dans une vitrine qui surplombe des sièges sur lesquels les joueurs s’asseyaient au bord de la pelouse d’Anfield. « C’est plus un musée qui sert des pintes qu’autre chose, rigole Taggy. Ça a toujours été un rêve d’avoir un bar à thème sur Liverpool. Mais ça aurait pu être en Norvège, n’importe où. C’est incroyable que ce soit ici. » En plus du club, des joueurs et du stade, Taggy est tombé amoureux du quartier, qu’il défend comme s’il y était né. « Anfield a mauvaise réputation depuis l’époque de Thatcher, explique-t-il. Elle a voulu détruire cette ville. Il y a eu des rumeurs et c’est dur de s’en déparer. Mais à part quelques vitres brisées, c’est super. Les gens sont merveilleux. On se sent en sécurité. Les choses se sont améliorées quand le club a décidé de rester ici. On a beaucoup plus de touristes qu’avant. » En 2022, Anfield accueille des locaux, des touristes et de véritables fans venus d’ailleurs. Comme Svein et Taggy. Quand il les voit vider des Carlsberg sur ses tables en bois, il ressent une forme de fierté. « Ça me rappelle l’époque à laquelle je venais voir des matches depuis la Norvège, sourit-il. Avant d’aller au stade, j’avais déjà des frisons rien qu’en étant dans les pubs. »
Par Thomas Andrei, à Liverpool
Photos : Theo McInnes pour So Foot.
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