Liverpool à deux têtes

Liverpool est en ébullition. La ville est en effet le théâtre ce week-end d’une des deux oppositions les plus attendues de l’année dans la région, l’autre étant évidemment le duel entre le Liverpool FC et Manchester United. Pourtant, contrairement aux luttes sans merci et bave aux lèvres entre Reds et Red Devils, le combat pour la suprématie de la ville n’a rien d’une guerre de tranchée.

Du foot… et rien que du foot !

C’est finalement le légendaire Bill Shankly, expert es phrase qui tue, qui résuma le mieux l’esprit du duel fratricide : « Les deux meilleures équipes du pays sont dans cette ville : le Liverpool FC et la réserve du Liverpool FC » . Reds et Toffees se détestent cordialement, l’affaire est entendue, mais l’esprit se veut plus chambreur, à l’image de Shankly, que véritablement belliqueux. Cette affiche chargée de passion a même été rebaptisée “le derby de l’amitié”. Contrairement à d’autres joutes fratricides, le duel de la Mersey ne véhicule pas de ferveurs extra-sportives.

À Liverpool, pas de revendications religieuses (les catholiques du Celtic face aux protestants des Rangers), sociales (les prolos de Milan face à l’aristocratie de l’Inter) ou géographiques (les citadins de la Roma contre les banlieusards de la Lazio). Donc pas de démonstrations de force ou de bonnes rixes à coups de barre à mine. En fait, il n’est pas rare de voir les supporters des deux camps aller au stade ensemble. Et pour cause, nombre de familles locales comptent en leur sein des fans des deux équipes. De quoi animer les repas de famille mais surtout une profonde hérésie partout ailleurs.

Le Heysel ou quand les Reds privent les Toffees de C1

Liverpool sait cultiver sa mémoire collective, dans le succès comme dans ses drames qu’elle compte à peu près en nombre équivalent. Symbole des ravages causés par Margaret Thatcher, la ville du nord de l’Angleterre s’est longtemps érigée en pôle de résistance. Sociale d’abord mais aussi footballistique, ses deux clubs trustant les titres dans les années 80, au plus fort de la crise.

Durant cette décennie, les deux escouades taxent neuf championnats (dont sept pour les Reds), trois FA Cup (dont 2 pour Liverpool FC) et quatre finales, quatre League Cup (toutes pour les Rouges) et encore deux finales. Plus que jamais, à cette période, la ville ne compte que trois locomotives : Liverpool FC, Everton et Liverpool Echo, le canard local (boycott du Sun). Forcément, ça raffermit des liens.

Mais on l’a dit, à Liverpool même quand le succès coule à flot, la tragédie ne rode jamais bien loin. On l’oublie parfois mais l’année de la catastrophe du Heysel (1985), l’équipe en vogue est bel et bien Everton. Champions d’Angleterre, vainqueurs de la Coupe des vainqueurs de coupes (et finalistes de la FA Cup), les Toffees voient leur ascension continentale brisée par l’exclusion des clubs anglais suite à la tragédie en finale de coupe des clubs champions (39 morts) entre la Juventus et…Liverpool ! L’extraordinaire génération bleue privée de la plus prestigieuse compétition de clubs au monde à cause de son voisin : le plus grand moment de tension entre les deux entités.

Ces jeunes Evertonians qui passent chez les Reds

Si la pilule n’a jamais été totalement digérée par Everton, il faut reconnaître que les Toffees n’ont pas la rancune tenace, capables d’apporter un fier soutien au voisin une nouvelle fois endeuillé en 1989 après la bousculade mortelle d’Hillsborough (Sheffield) en demi-finale de FA Cup qui vit la mort de 95 fans des Reds.

Quelques jours plus tard, en finale à Wembley, les supporters d’Everton chantent avec ceux de Liverpool. Surréaliste ! Définitivement, les Reds ne marcheront jamais seuls. Près de 20 ans plus tard, en 2007, Liverpool renvoie l’ascenseur en invitant à Anfield la famille du petit Rhys Jones (tué par balle à 11 ans), fan d’Everton. Pour la première fois, l’enceinte mythique des Rouges chante l’hymne du rival voisin.

Oui, les deux équipes, malgré une rivalité exacerbée, semblent liées par un drôle de destin. À tel point que l’on trouve régulièrement dans les rangs du Liverpool FC d’anciens jeunes “Evertonians”. Le cas le plus célèbre est bien évidemment celui de Robbie Fowler, inconditionnel des Toffees formé chez les Reds où il devint “God” tout simplement. Mais on pourrait aussi citer Michael Owen, Steve McManaman, Ian Rush ou encore Jamie Carragher. Excusez du peu ! L’inverse est moins vrai en exemples notables si ce n’est celui de Peter Reid. Sans doute faut-il voir là le pouvoir d’attraction supérieur de la maison rouge, ses titres, son savoir-faire et sa régularité, fut-ce au prix des premières amours des jeunes apprentis.

Oui, le derby de la Mersey ne ressemble à aucun autre et samedi, à Goodison Park, c’est un peu de cette histoire pas comme les autres que Toffees et Reds se chargeront de perpétuer. Shankly déclara un jour : « Les gens disent que le foot est une question de vie ou de mort. En fait, il est bien plus que cela » . À Liverpool, un peu plus qu’ailleurs.

Dave Appadoo