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L’Italie vous appelle
Cette année encore, l'Italie du football convoque un récit qui n'appartient qu'à elle : celui de grands clubs désargentés, de stars en partance, et de stades pourris. Mais aussi d'entraîneurs brillants, de conférences de presse lunaires, de buts à gogo et de joueurs injustement sous-cotés. Bienvenue en Serie A, le seul grand championnat européen où le romantisme est et restera un concept d'avenir.
Un jour, Johann Wolfgang von Goethe a saisi une de ses pensées au vol. Pour ne pas la laisser s’échapper, il l’a gribouillée sur un coin de table, avant de la publier dans son ouvrage :Maximes et réflexions, venu enrichir la fourmillante pensée philosophique du 19e siècle. La plume du célébrissime philosophe allemand avait alors tracé ces quelques mots : « Une différence qui ne fournit rien à l’esprit n’est pas une différence. » Un peu plus de 200 ans plus tard, il faut croire que les enseignements de l’auteur de Faust ont voyagé jusqu’en Italie. Ce samedi, à l’aube de son édition 2021-2022, la Serie A est sans doute le championnat majeur qui débute avec le moins d’argent, le moins de stars et le moins de visibilité. Mais aussi avec le plus d’idées et de séduisantes étrangetés.
Anti-star system
Passons d’abord en revue ce qui fâche. A savoir les étoiles filantes du championnat, parties essaimer le ciel de constellations que des années lumières financières séparent désormais des grands clubs italiens. Cet été, la Serie A a perdu Gianluigi Donnarumma, Ashraf Hakimi et Romelu Lukaku. Soit trois des plus grandes stars de son édition précédente. A une moindre échelle, elle a laissé partir des éléments moins médiatiques mais très prisés comme Rodrigo de Paul (Atlético de Madrid) ou Cristian Romero (Tottenham). Une nécessité économique accentuée par la crise de la Covid-19, mais qui résulte aussi de la compétitivité financière réduite des grandes écuries italiennes, larguées pécuniairement par la Premier League, le duo Real-Barca (auquel on peut désormais ajouter l’Atlético) et l’insubmersible Bayern Munich.
A cet égard, la mise en retrait notable de Suning, l’actionnaire majoritaire de l’Inter, constitue un coup dur pour le football transalpin, dont le champion en titre semble diminué sportivement. Si le zéro pointé des clubs italiens en coupe d’Europe depuis 2010 (aucun trophée en plus d’une décennie, du jamais vu dans l’histoire du championnat) dénote le déclin de ses grandes écuries historiques, le succès chatoyant de la Nazionale à l’Euro 2021 atteste aussi de la densité sportive de la Serie A. De nombreux joueurs majeurs de la sélection évoluaient en effet à Sassuolo, à la Lazio ou la Roma, d’Immobile à Acerbi, de Spinazzola à Cristante, de Locatelli à Berardi. Comprendre : la puissance et l’attractivité de la Serie A ne se construisent plus qu’à la Juve, au Milan et l’Inter, mais aussi dans sa classe moyenne supérieure, à l’image des excellents résultats européens de l’Atalanta (1/4, puis 1/8e de finaliste de C1 en 2020 et 2021). C’est dans ces mêmes clubs que le football italien – celui pratiqué par l’équipe de Mancini à l’Euro – s’est régénéré idéologiquement et tactiquement ces dernières saisons.
La guerre des cerveaux
L’exercice à venir sera probablement une nouvelle illustration du phénomène : avec Maurizio Sarri à la Lazio, Vincenzo Italiano à la Fiorentina, Gasperini à l’Atalanta et Alessio Dionisi à Sassuolo, la Serie A va une fois de plus fourmiller d’idées, d’animations sophistiquées, de nuances offensives finement travaillées et recherchées. En somme, offrir un football à la fois cérébral et spectaculaire, qui fait sa marque de fabrique depuis déjà un bon bout de temps. Ce n’est pas d’un blockbuster boursouflé de talents individuels comme la Premier League qu’il s’agit ici, mais bien d’un laboratoire tactique où les limites de chacun sont transmutées par la force du collectif.
A l’échelon supérieur, les locomotives du championnat offriront un spectacle sans doute moins enlevé. Plombée par une gestion sportive et financière hasardeuse ces deux dernières saisons, la Juventus a choisi de revenir aux fondamentaux en misant sur Massimiliano Allegri, chantre d’un football attentiste, efficace et discipliné. Sur le mercato, la Vieille Dame a surtout enregistré l’arrivée de Manuel Locatelli, qui viendra dynamiser un milieu de terrain fossilisé par les lourdeurs balle au pied de Bentancur, Rabiot et Ramsey la saison passée. Naples n’a rien changé ou presque sinon son entraîneur, alors que Luciano Spalletti va devoir montrer en Campanie qu’il est toujours dans le coup. L’AC Milan a joué la carte de la stabilité, misant sur Mike Maignan pour remplacer Donnarumma et en achetant à Chelsea le prometteur stoppeur anglais Fikayo Tomori. Stefano Pioli, le premier coach à emmener le Rouge et Noir en C1 depuis 2014, reste aux manettes de l’ensemble. Rien à voir, en somme, avec le pari qu’a fait la Roma, en misant sur le phénomène José Mourinho. Ringardisé tactiquement depuis ses années madrilènes, le Portugais devra prouver qu’il n’est pas devenu qu’une bête de foire médiatique.
Paradoxalement, c’est encore l’Inter, championne en titre mais affaiblie, qui offre les promesses de jeu les plus intéressantes : désormais pilotée par Simone Inzaghi, la formation nerazzurra a choisi pour Mister un type dont le style de jeu semble dans la continuité d’Antonio Conte. Excellent tacticien, spécialiste du 3-5-2 et des phases de transition éclaires, l’ex enfant chéri de la Lazio a la gueule de l’emploi. Edin Dzeko et le piston droit Denzel Dumfries (meilleur joueur néerlandais du dernier Euro) ont été recrutés pour combler le vide béant laissé par les départs de Lukaku et Hakimi. L’Inter y perdra forcément en qualité individuelle, mais il faut souligner la cohérence des profils choisis. Et surtout savourer le retour d’un championnat où le sens commun est définitivement devenu celui du spectacle.
Par Adrien Candau