- Italie
L’Italie parie contre les pronos
La coalition gouvernementale formée par le Mouvement cinq étoiles et la Ligue du Nord - qui dirige l'Italie depuis mai dernier - a décidé en août 2018 d'interdire les publicités pour les paris, notamment sportifs, dès janvier 2019. Une réglementation qui devrait finalement n'entrer en vigueur qu'en juillet prochain. L'occasion de revenir sur une nouvelle forme de prohibition publicitaire, qui inquiète un bon paquet de clubs transalpins.
C’est donc un petit séisme politique qui a retourné la Botte en mars 2018. Une date où la coalition de centre droit, avec à sa tête la Ligue du Nord, ainsi que le Mouvement anti-système dit 5 étoiles (M5S) remportent la majorité des sièges de sénateurs et de députés. De quoi inciter la Lega et le M5S à former une alliance inédite. Un pacte dont l’une des premières mesures pourrait bien, à l’avenir, affecter la compétitivité des clubs de football italien.
Paris perdus
Retour en août dernier. Le nouveau gouvernement italien fait alors adopter le « décret-loi dignité » , qui vise à sanctionner les entreprises abusant de la flexibilité du marché du travail pour paupériser et précariser les travailleurs transalpins. En apparence, pas de quoi faire tiquer le football italien. Sauf que la loi comprend également une interdiction de la publicité des jeux de hasard à partir de janvier 2019. Une mesure finalement repoussée à juillet prochain.
Une disposition qui inquiète forcément les clubs de Serie A et B, dont une bonne partie bénéficie de sponsorings de sociétés de paris sportifs dont ils assurent la publicité (parfois sur leurs maillots). Problème : en football comme ailleurs, l’argent est le nerf de la guerre, et la Lega Serie A ne l’ignore évidemment pas. Selon une étude publiée par l’European Gaming and Betting Association, les entreprises de paris dépensent autour de 120 millions d’euros dans le sponsoring du sport italien, une bonne partie de cette somme étant dédiée au football.
Des trous dans les caisses
« C’est difficile de chiffrer précisément la somme touchée par les clubs de foot. Mais juste en Serie A, on a quatorze clubs sur vingt qui sont sponsorisés par des entreprises de paris » , pose Nicola Dolci, avocat au sein du cabinet de conseil Withersworldwide et spécialisé dans l’économie du sport. « Il y a même des clubs, comme l’AC Milan, qui ont deux partenaires dans le secteur, déroule Alessandro Baroncelli, professeur de management international à l’université catholique du Sacré-Cœur de Milan et spécialisé dans l’économie du football. Sans oublier la Lazio dont le sponsor maillot est Marathonbet, un acteur international du secteur. Mais on peut toutefois imaginer, après la mise en place de l’interdiction, qu’il sera plus facile pour les grands clubs du championnat de conclure d’autres partenariats avec des entreprises issues d’autres secteurs d’activités. Ce qui ne sera pas forcément le cas pour les clubs plus modestes de la Serie A. »
À titre d’exemple, Eurobet finance huit clubs qu’on pourrait identifier comme des puissances économiques moyennes de l’élite italienne : Cagliari, le Chievo, la Fiorentina, Empoli, le Genoa, la Sampdoria, l’Atalanta et l’Udinese. Voilà pour les retombées directes liées à l’interdiction. « Mais ce qui pourrait être encore plus important, ce sont les conséquences indirectes, reprend Alessandro Baroncelli. Une bonne partie des recettes publicitaires des chaînes TV à l’heure des matchs de foot vient de la publicité financée par des sociétés de jeu de hasard et de paris sportifs en ligne. Donc, cela pourrait affecter une ressource importante. Là, la Serie A a déjà signé les contrats pour ses droits de diffusion de 2018 à 2021, donc elle est à l’abri pour trois ans. Mais après ? On ne sait pas. »
Problème de santé publique
Reste encore à déterminer ce qui a pu bien pousser le gouvernement italien à soudainement partir en croisade contre l’industrie des paris. « Disons qu’il y a tout un mouvement, en Italie, qui se concentre contre les business considérés comme borderline d’un point de vue éthique » , répond Alessandro Baroncelli. À en croire les statistiques officielles, un peu plus de cent milliards d’euros ont été dépensés dans l’industrie des jeux de hasard et paris en Italie en 2017 (toutes formes confondues, à savoir machines à sous, jeux de cartes, pronostics sportifs, vidéoloterie, etc.). Soit une augmentation de 6% par rapport à 2016.
Près d’un million de personnes seraient par ailleurs dépendantes au jeu, dont près de la moitié seraient au chômage selon Associated Press. « Toute la question est de savoir si cette mesure de prohibition publicitaire sera efficace pour diminuer cette pathologie, avance Stella Riberti, avocate au sein du cabinet de conseil Withersworldwide, notamment spécialisée dans l’économie du sport et des médias. Les études scientifiques se contredisent. Peut-être que oui, peut-être que non. »
Sponsors sous embargo
L’application de la future interdiction est, elle aussi, porteuse de certaines zones d’ombre. Si un club bravait la nouvelle loi, par exemple en affichant une société de paris sportifs sur son maillot, il devrait payer une sanction administrative égale à 20% de la valeur du contrat de sponsoring conclu avec cette dernière (pour une amende plafonnée à 50 000 euros au maximum pour chaque violation constatée). L’ensemble devient encore plus complexe quand on envisage le cas d’équipes étrangères se déplaçant en Italie, par exemple dans le cadre des matchs de C1 ou de C3.
« Les équipes étrangères devront théoriquement payer une amende si elles affichent une publicité pour une entreprise de paris, estime Nicola Dolci. Elles devront probablement dissimuler leurs sponsors pour ne pas être sanctionnées. » L’opinion publique italienne semble, elle, plutôt divisée sur le bien fondé de cette nouvelle interdiction. Même si cette dernière vise probablement à aussi valoriser l’interventionnisme économique du nouveau gouvernement transalpin. Qui n’oublie sans doute pas que les élections européennes de mai 2019 approchent à grands pas.
Par Adrien Candau
Tous propos recueillis par AC