- Coronavirus
L’Italie et le Mondial à l’envers
L’amateur sait qu’il faudra, comme l’Italie en 2006, de la détermination, de l’endurance et un peu de combinazione aussi. Après tout, c’est dans les mises au vert et les arrière-cours qu’on gagne les rencontres les plus difficiles, pas dans les bacs à sable.
Deux choses dans la vie donnent plus de frissons que l’amour : le Mondial de football et l’hymne italien. Disons-le clairement. Quand le Fratelli d’Italia résonne tous les jours depuis les balcons de la Péninsule, le corps tout entier se met à vibrer. Depuis le début de la mise au vert généralisée, les Italiens se donnent du courage depuis les fenêtres, casseroles à la main. Et ça fait du bien. Car en 2018, pendant notre campagne russe, avouons-le, le Fratelli d’Italia hurlé (faux) par des héros aux allures de chanteurs de jazz nous avait manqué. L’Italie n’était pas au dernier Mondial. Et on avait eu beau faire comme si de rien n’était, notre Marseillaise sonnait désespérément creux. L’amateur de football le sait bien. Quiconque n’a pas battu l’Italie en phase finale n’a pas vraiment gagné le Mondial. Ce vide est aujourd’hui comblé chaque soir à 18h depuis le début du confinement. Fratelli d’Italia a enfin retrouvé sa place, pendant un mois (au moins), dans tous les salons du monde.
« Restez confinés »
À force de les écouter s’encourager, quelque chose d’étonnant se passe en nous. Les images se superposent. C’est vrai que le rituel est le même. Prendre un air grave, sortir les drapeaux, disposer les verres de bière équitablement, laisser une place au plus fragile sur le canapé, écouter les dernières consignes, et puis, se mettre en ordre de marche. « Restez confinés. » À 4, 5 ou 60 millions derrière, la meilleure façon de gagner, c’est toujours en défense. Peu importe le rival. Rien ne passera. Et à la fin, ce sera l’Italie qui gagnera. En tout cas, l’hymne le promet. Quand Fratelli d’Italia retentit, le silence se fait et les choses sérieuses commencent. Dans la tribune d’en face, croyez-nous, plus personne ne ricane et tout le monde écoute.
Souvenons-nous, au tout début de la finale du Mondial 2006, comment Buffon, Totti, Pirlo, Gattuso, Zambrotta, Materazzi, Luca Toni, Cannavaro hurlaient les yeux fermés et les poumons bien remplis. Imaginons-les maintenant chantant sur les balcons de Rome, Bergame ou Florence. Écoutons-les tous gueulant la fraternité héroïque depuis les cuisines et les salles à manger. « Serrons-nous en cohortes/ Nous sommes prêts à la mort/ Nous sommes prêts à la mort/ L’Italie nous appelle ! » Voilà comment on devrait toujours chanter un hymne : une casserole à la main.
La meilleure défense du monde
Alors évidemment, en Italie, on n’a pas hésité à reculer, à défendre comme des fous, à prononcer le mot de confinement sans retenir son souffle. L’amateur de football est rassuré. Il a enfin retrouvé sa Squadra. Elle est bien qualifiée pour ce Mondial d’un nouveau genre. Un Mondial sans ballon. Un Mondial à l’envers en quelques sortes. Il sait que l’épreuve sera longue et qu’il y aura de la casse. Nesta, meilleur défenseur du monde à l’époque, n’a pas joué la finale 2006. L’Italie a pourtant gagné grâce à son remplaçant, Marco Materazzi. Voilà pourquoi sans doute l’épopée de 2006 est rediffusée en boucle à la télévision du pays.
L’amateur sait qu’il faudra, comme eux en 2006, de la détermination, de l’endurance et un peu de combinazione aussi. Après tout, c’est dans les mises au vert et les arrière-cours qu’on gagne les rencontres les plus difficiles, pas dans les bacs à sable. On dira parfois des choses qu’on regrette. C’est vrai. On fera une place à notre voisin mal en point. Aussi. Mais en attendant, on s’écartera les uns des autres pour mieux défendre ensemble (contre le virus, la meilleure stratégie c’est clairement la zone, jamais d’individuelle). Et on sait bien comment tout cela se terminera. Les choses reviendront à la normale, et à la fin, l’Italie l’emportera. C’est normal, c’est le Mondial.
Par Thibaud Leplat