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« Nous devons mieux refléter la société dans laquelle nous vivons »

Propos recueillis par Florian Porta
11 minutes

En moins de treize mois, Lise Klaveness a pris les rênes de la fédération norvégienne, sorti la sulfateuse pour dénoncer le Mondial au Qatar et tenté d'intégrer le Comité exécutif de l'UEFA. Même si elle a finalement perdu son dernier pari, il faudra bien compter avec la Norvégienne dans le futur. Entretien.

« Nous devons mieux refléter la société dans laquelle nous vivons »

Retraitée des terrains depuis désormais onze ans, Lise Klaveness, 42 ans, ne perd pas son temps. Au printemps 2022, un mois à peine après son élection à la tête de la Fédération norvégienne, elle étrenne ses nouvelles fonctions lors du congrès de la FIFA au cours duquel elle ne mâche pas ses mots : « La décision d’accorder le Mondial au Qatar a été prise de manière inacceptable. Il n’y a pas de place pour des employeurs qui ne veillent pas à la liberté et la sécurité des ouvriers du Mondial. Pas de place pour des dirigeants qui n’accueillent pas le football féminin. Pas de place pour des pays hôtes qui ne peuvent pas garantir légalement la sécurité et le respect des personnes LGBT. »Un an plus tard, celle qui compte 73 sélections avec les Gresshoppene continue de s’opposer à Gianni Infantino, sauf sur certains sujets, comme celui, plutôt épineux, de l’absence de diffuseurs au sein du Big 5 pour la prochaine Coupe du monde féminine. Quand le président de la FIFA indiquait ne pas vouloir vendre ce Mondial au « rabais », la Norvégienne va dans le même sens, pour NTB, une agence de presse norvégienne : « C’est la plus grande source de revenus pour le football. Il est en soi positif qu’il poursuive une politique qui concerne les revenus des femmes et pas seulement l’argent de l’Arabie saoudite. C’est exactement ce que nous devons soutenir, je pense. C’est bien qu’il mette un peu de pression. » Un combat commun qui ne l’empêche pas de vouloir faire bouger les choses, elle qui rêve désormais d’être élue, parmi les hommes, pour siéger au comité exécutif de l’UEFA. Avec 18 voix sur les 55 possibles recueillies le 5 avril dernier, lors du 47e congrès de l’UEFA, Lise Klaveness va devoir patienter, au moins deux ans, avant de pouvoir retenter sa chance, mais n’entend pas rester sur la touche d’ici là.


Quelle a été votre réaction après ces élections ? 

Le fait d’obtenir 18 voix, ce qui représente environ un tiers des votes, en si peu de temps, confirme que de nombreuses personnes souhaitent un changement. Il ne faut pas oublier que je me suis présentée après seulement un an de présidence du football norvégien, et que j’ai rencontré beaucoup de mes collègues présidents pour la première fois pendant ma campagne. J’ai également eu des échanges intéressants avec des personnes qui m’ont avoué qu’elles ne voteraient pas pour moi cette année. J’ai beaucoup appris pendant ces 10 semaines et je serai mieux préparée pour la prochaine campagne, j’aurai plus de connaissances.

Qu’avez-vous retenu de cette campagne ? 

Les associations européennes de football sont divisées en trois groupes : un progressiste, un conservateur et un groupe entre les deux. Pour ma prochaine campagne, en 2025, je passerai encore plus de temps à discuter avec les présidents qui font partie du groupe qui hésite. Plus de personnes doivent être mobilisées pour moderniser les instances dirigeantes du football. Nous devons mieux refléter la société dans laquelle nous vivons afin d’avoir la confiance nécessaire pour aller de l’avant.

Dans le football international, il existe une culture de la peur assez forte, une exigence non écrite selon laquelle il faut garder la tête baissée et ne pas vraiment contester quoi que ce soit, du moins pas ouvertement.

On vous avait promis plus de voix que vous n’en avez finalement eu. Comment l’expliquez-vous ?

Je ne veux pas spéculer sur la raison pour laquelle certaines personnes ressentent le besoin de dire une chose et de voter autre chose. Beaucoup de gens m’ont averti, m’ont dit que l’on n’obtenait qu’un tiers des votes promis. C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé, mais ce n’est pas une chose à laquelle je consacre beaucoup de temps et d’énergie.

Votre tendance à vous exprimer sur certains sujets, la Coupe du monde au Qatar notamment, a-t-elle pu effrayer les autres présidents au moment de voter ? 

Dans toutes les organisations internationales de la communauté mondiale, il y a des groupes de personnes qui seront toujours mal à l’aise face à d’autres dirigeants qui tentent de faire bouger les choses, et de changer le statu quo. Dans le football international, il existe une culture de la peur assez forte, une exigence non écrite selon laquelle il faut garder la tête baissée et ne pas vraiment contester quoi que ce soit, du moins pas ouvertement. Il faut corriger cela pour améliorer les processus de prise de décision. Cette situation n’est pas propre à l’UEFA ou à la FIFA. Je me rends compte que le point de vue norvégien sur certaines questions, comme celle du Qatar, met certaines personnes mal à l’aise, mais c’est la réalité de l’évolution des politiques et de la manière dont les organisations mènent leurs activités et leurs opérations.

Nous devons faire en sorte que les droits de l’homme restent en tête de nos priorités.

Vous avez indiqué viser les élections de 2025. Qu’est-ce qui vous laisse penser que les choses peuvent évoluer d’ici là ?

Je pense que le changement s’imposera et que l’UEFA et la FIFA devront s’adapter. Il s’agit maintenant de s’assurer que ce changement se fera dans la bonne direction, en faveur des droits de l’homme, de la diversité, de la démocratie et de la transparence. Les droits de l’homme font partie du football, ce sont des valeurs fondamentales inscrites dans les statuts des instances dirigeantes du football. J’espère que les discussions internationales auxquelles nous avons assisté à la suite de la manière inacceptable dont le Qatar s’est vu attribuer la Coupe du monde en 2010, et les conséquences, tout aussi inacceptables, qui en ont découlé, ne se reproduiront pas de la même manière. Il faut que les dirigeants, les joueurs, les supporters, les sponsors et les médias défendent réellement ces valeurs et ces réformes dans les moments difficiles. Nous devons faire en sorte que les droits de l’homme restent en tête de nos priorités. Nous ne pouvons pas être naïfs à cet égard. Nous devons nous battre pour les valeurs et l’avenir de notre sport en protégeant ces valeurs fondamentales.

 

Aleksander Čeferin rappelle régulièrement sa volonté de développer le football féminin, mais l’UEFA ne laisse que peu de places aux femmes. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

Le football est le sport le plus important et le plus populaire auprès des femmes en Europe et pourtant, il n’y a qu’un seul siège au comité exécutif pour les femmes (une place réservée aux femmes via un quota imposé et occupée par la Galloise Laura McAllister depuis les élections du 5 avril dernier, NDLR). Il est inacceptable de monter les femmes les unes contre les autres uniquement parce qu’elles sont des femmes. L’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu me porter candidate à un poste vacant au sein du comité exécutif de l’UEFA était d’augmenter le nombre de femmes en son sein. Il est vraiment temps que des femmes ayant de l’expérience, que ce soit dans le football masculin et féminin, soient impliquées dans les prochaines avancées. Je suis pleinement convaincue qu’au cours de cette décennie, le nombre de femmes entrant au comité exécutif de l’UEFA sera bien supérieur à une ou deux, et je crois qu’il est de mon devoir de m’exprimer sur ces questions au nom d’un grand nombre de personnes. Cette question dépasse largement ma personne et ma candidature.

Aucune femme n’a encore siégé au comité exécutif de l’UEFA, en dehors de la place qui leur est réservée et donc en étant élue parmi des candidats masculins, qu’est-ce qui pourrait faire de vous la première ? 

Je n’ai pas été nommée au comité exécutif, mais je m’efforce maintenant de trouver d’autres moyens pragmatiques d’apporter ma contribution et mon aide dans ce domaine. J’ai l’esprit d’équipe lorsqu’il s’agit de trouver des solutions et de faire avancer les choses. Je ne suis pas du genre à me coucher et à être grincheuse parce que je n’ai pas réussi à me faire élire. En ce qui concerne mon désir de développer le football féminin sans tirer vers le bas le football masculin, j’ai le sentiment d’avoir de nombreux amis et alliés dans toute l’Europe. Je pense que ma formation d’avocate et de juge, mon expérience de joueuse professionnelle, internationale, de première femme directrice technique des équipes nationales masculine et féminine ainsi que des meilleurs clubs de Norvège, de première femme commentatrice à travailler sur le football international masculin et féminin, et désormais, depuis plus d’un an, de présidente de la Fédération norvégienne font de moi une candidate légitime.

Nous avons passé 50 ans sans la moindre femme parmi l’organe décisionnel du plus grand sport féminin d’Europe, il est assez évident que nous devons forcer les choses, mais nous devons être intelligents dans notre façon de le faire.

N’avez-vous pas peur de perdre votre liberté de parole si vous y parvenez ?

Quand j’étais joueuse, j’étais un numéro 10 créatif. Je souhaite également faire preuve de créativité dans ma manière de diriger et d’administrer le football. Le monde est en constante évolution, et le football européen doit également s’adapter aux changements de la société dans son ensemble. Je n’ai pas peur de perdre ma liberté d’expression dans le football, même s’il s’agit bien sûr d’un équilibre très subtil pour les personnes élues au sein des conseils d’administration. Tout le monde ne peut pas prendre de décisions, le président doit être le porte-parole. Je pense toujours que nous avons besoin de débats plus ouverts et de plus de transparence face aux nombreux dilemmes et défis sur lesquels les décisions sont basées.

Pour en revenir à la présence très minoritaire des femmes dans ces institutions, doit-on en passer par l’imposition ou l’augmentation de quotas pour accélérer cette féminisation ? 

Il n’est pas acceptable d’avoir une seule personne ayant des expériences et des connaissances pratiques du football féminin au sein du comité exécutif. Il ne s’agit pas seulement de politique, mais surtout de confiance et de qualité dans la prise de décisions. Nous devons avoir des objectifs afin de changer l’équilibre, sinon le changement ne se produira pas, et vous n’aurez pas les personnes les plus qualifiées dans les plus hautes sphères. Nous avons passé 50 ans sans la moindre femme parmi l’organe décisionnel du plus grand sport féminin d’Europe, il est assez évident que nous devons forcer les choses, mais nous devons être intelligents dans notre façon de le faire. Je pense qu’il devrait y avoir un pourcentage de femmes au sein du comité exécutif de l’UEFA beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui, et plus comparable à la représentation féminine dans d’autres parties de la société mondiale.

Que pourraient apporter les femmes dans ces instances ? 

Tout d’abord, les personnes issues du football féminin, hommes comme femmes, apporteraient leurs connaissances et un réseau compétent. Deuxièmement, les dirigeantes apporteront les perspectives nécessaires en examinant le jeu sous un angle féminin. Mais surtout : nous sommes dans le plus grand sport du monde. Nous ne pouvons pas accepter que notre beau sport soit aussi une organisation qui discrimine systématiquement nos filles d’une manière assez sévère.

Est-ce que dans les différents échanges que vous avez avec d’autres fédérations ou membres des institutions, vous sentez une réelle volonté d’intégrer des femmes ?

Il n’y a pas eu de réelle volonté de procéder aux changements nécessaires, mais depuis 4 ou 5 ans, je sens un changement d’attitude. De plus en plus de gens comprennent que le football féminin va continuer à se développer et que nous devons également nous adresser à toutes les femmes pour assurer la stabilité et la croissance au cours de la prochaine décennie de bouleversements géopolitiques. J’ai eu plusieurs conversations très intéressantes avec des présidents au sujet de l’égalité. Certains d’entre eux trouvent ce sujet pénible, un tracas politique qu’ils ne reconnaissent pas comme un véritable défi et une véritable opportunité, mais la plupart des présidents ouvrent de plus en plus les yeux.

La Fédération de Norvège, comme d’autres, mais pas la France, a mis en place l’égalité salariale entre hommes et femmes. Est-ce un combat qui doit être mené à l’échelle internationale ?

Absolument. D’une part, nous devons trouver des moyens de faire progresser également le football masculin et ne pas chercher à réduire les investissements dans le football masculin pour améliorer le football féminin. Mais, d’autre part, nous devons aussi être très clairs pour renverser un système qui empêche systématiquement nos filles de grandir. C’est l’un des plus grands défis à relever. Je pense que nous aurons des frictions, des conversations difficiles, mais ces confrontations sont nécessaires pour faire les bonds en avant qui s’imposent. Mais surtout, il faut que les médias et les sponsors joignent vraiment le geste à la parole en matière d’égalité. Nous devons tous commencer à joindre le geste à la parole. C’est ce que nous exigerons au cours de la prochaine décennie.

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Propos recueillis par Florian Porta

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