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L’Irlande du Nord prend sa revanche
Première du groupe F après trois journées, l'Irlande du Nord est l'équipe surprise du début de la phase éliminatoire pour l'Euro 2016. Avec trois victoires en autant de rencontres, les joueurs de Michael O'Neill ne cessent d'impressionner et s'apprêtent à affronter la Roumanie, le gros morceau du groupe, ce vendredi soir à Bucarest. Un choc aux allures de tournant pour une sélection qui n'a jamais goûté à la saveur d'un championnat d'Europe.
Claudio Ranieri a la tête basse, le regard dans le vide. L’Italien constate les dégâts. Son équipe de Grèce, qu’il a reprise après la Coupe du monde 2014, explose sous ses yeux. Face à elle, ce soir-là, dans le bouillant stade Georgios Karaiskakis du Pirée, l’Irlande du Nord s’envole. On joue la 51e minute de jeu et l’attaquant nord-irlandais Kyle Lafferty vient conclure une contre-attaque express pour sceller la victoire de sa sélection (2-0), chez les Grecs. Ce succès confirme une impression : l’Irlande du Nord est bien plus qu’une surprise. Michael O’Neill, le sélectionneur, lève les bras au ciel et savoure. Ses hommes viennent de remporter leur troisième victoire en autant de rencontres et caracolent en tête du groupe F des éliminatoires à l’Euro 2016. À l’image de l’Islande, l’Irlande du Nord est la sensation de ce début de phase de qualification. Vendredi soir, à Bucarest, les hommes de O’Neill affronteront la Roumanie pour confirmer. Pour entrer dans l’histoire aussi.
Une sélection en quête d’identité
L’histoire est justement la clé de voûte de cette sélection nord-irlandaise. Pour comprendre ses racines, il faut remonter le temps et les heurts. L’Irlande du Nord reste à ce jour le pays occidental où les guerres de religion contemporaines ont eu le plus de conséquences. Depuis la fin des années 60, les populations catholique (41%) et protestante (42%) se déchirent. L’époque des « Troubles » reste un marqueur indélébile de l’identité du pays. Les nombreuses manifestations entre unionistes-loyalistes – protestants – et républicains-nationalistes – catholiques – ont conduit l’Irlande du Nord dans un marasme sans fin. Le 30 janvier 1972, à Derry, lors du tragique « Bloody Sunday » , 14 manifestants sont tués par l’armée britannique. Une manifestation sanglante qui marque le début d’une guerre interne durant près de vingt ans jusqu’à l’accord de paix de 1998. Le partage du pouvoir entre protestants et catholiques est prévu sous la coupe de l’administration exécutive du Royaume-Uni. En parallèle et sans surprise, la sélection nationale connaît ses heures les plus sombres. Elle anime des débats intenses au pays. L’hymne chanté avant les rencontres est le God Save the Queen, les symboles de la Grande-Bretagne sont nombreux et pour beaucoup de Nord-irlandais, cette absence d’identité marque une fracture avec la sélection. Si bien qu’ils refusent de la supporter. La trajectoire de l’ancien international Neil Lennon, joueur du Celtic Glasgow au début des années 2000, fera écho dans tout le pays. Catholique, Lennon est la cible des unionistes pendant de nombreuses années, après avoir pris parti pour une équipe d’Irlande unifiée. Devenu par la suite entraîneur du Celtic en 2010, celui-ci reçoit même des menaces de mort, se réveillant un matin avec le dessin d’un homme pendu nanti de l’inscription « Neil Lennon, R.I.P. » sur le mur de sa maison de Belfast. La Fédération nord-irlandaise (IFA) entreprend alors des démarches internes importantes afin de pacifier le pays. Un programme de lutte contre le sectarisme sera mis en place et les supporters de l’Irlande du Nord recevront même le trophée Brussels International Supporters en 2006, pour avoir réussi à unir les fans avec leur sélection nationale. La nomination du catholique Michael O’Neill au poste de sélectionneur en 2011 achèvera le travail de fond entrepris par l’IFA.
« Un catholique ne se sent pas comme faisant partie de cette équipe »
James McClean est un cas d’école pour illustrer la complexité du problème. Sous les couleurs de Wigan, il refuse d’arborer sur son maillot de foot, le 7 novembre dernier, le coquelicot en souvenir des soldats britanniques morts au combat. « Pour les Nord-Irlandais comme moi et particulièrement ceux de Derry qui ont connu le massacre du Bloody Sunday en 1972, le coquelicot a pris une symbolique très différente » explique-t-il dans une lettre adressée à son président. Reste qu’en 2012, ce même McClean, qui vient de signer à Sunderland, décide d’opter pour la sélection irlandaise et est appelé par Giovanni Trapattoni à disputer la phase finale de l’Euro 2012. Dans un entretien accordé au Daily Mail juste avant le championnat d’Europe, McClean justifiera son choix en avançant qu’à Windsor Park, le stade national, « n’importe quel catholique ne se sent pas chez lui avec ces drapeaux représentant l’Union Jack et les nombreux chants » . Il reçoit, lui aussi, de nombreuses menaces de mort. Le « Good Friday Agreement » permet en effet aux joueurs nord-irlandais de posséder les nationalités irlandaise et britannique. Une décision que la FIFA confirmera en 2007. Une explication de choix aussi des maux de la sélection nationale nord-irlandaise. Le Français Yohann Lacroix, ancien football-baroudeur ayant posé ses valises en Irlande du Nord en 2013 pour défendre les couleurs des Crusaders FC, l’un des quatre clubs de Belfast, connaît bien cette situation. « Pendant des années, de nombreux joueurs ne souhaitaient pas jouer sous les couleurs de l’Irlande du Nord. Pour eux, cette sélection n’était qu’un second choix, mais le travail de fond effectué par l’IFA semble porter aujourd’hui ses fruits. »
Lafferty, l’espoir d’un voyage en France
Aujourd’hui, la grande majorité des internationaux nord-irlandais évoluent en Premier League. On y retrouve Chris Brunt (West Bromwich Albion), Jonny Evans (Manchester United) ou encore le vétéran McAuley, lui aussi joueur de WBA. Ces joueurs évoluant au plus haut niveau ont permis à la sélection de renaître. Une impression confirmée par Graham Luney, journaliste sportif au Belfast Telegraph : « La victoire en Grèce a changé beaucoup de choses. Aujourd’hui, l’Irlande du Nord peut s’imposer dans la durée et ne plus être une simple équipe de surprise, comme l’a prouvé le passé, avec des succès contre l’Espagne en 2006 (3-2). Quelque chose se passe, notamment au pays, où il y a un véritable intérêt pour l’équipe nationale. » Le départ pour l’Angleterre est souvent la voie choisie par les joueurs du pays. George Best, la légende nationale, l’avait fait en son temps par génie. D’autres le font aujourd’hui pour exister loin du championnat national nord-irlandais dont le niveau se situe aux alentours « d’une bonne National » selon Lacroix. C’est la destinée qu’a choisie également Kyle Lafferty, « l’un des joueurs les plus prometteurs de sa génération » selon Graham Luney. En partant parfaire sa formation à Burnley en 2007 à l’âge de 17 ans, Lafferty s’est offert un futur et est aujourd’hui le digne successeur de David Healy, le meilleur buteur de la sélection nationale (36 buts) et recordman des buts en phase de qualification pour un championnat d’Europe avec 13 buts. Buteur lors des trois premières sorties de son pays dans cette campagne pour l’Euro 2016, l’attaquant de Norwich représente l’avenir de toute une sélection. Absent des compétitions internationales depuis la Coupe du monde mexicaine de 86, l’Irlande du Nord se déplace en Roumanie avec l’opportunité unique de marquer l’histoire de ce bout de pays. En conférence de presse, le sélectionneur Michael O’Neill, en poste depuis décembre 2011, a avoué partir bille en tête et « vouloir continuer cette marche en avant. Gagner ces trois premiers matchs est très bien, mais on ne pourra parler de véritable exploit que si l’on arrache notre billet au final » . Ils n’en ont jamais été aussi près.
Par Maxime Brigand