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Lionel Messi, le marcheur blanc

Par Maxime Brigand, au stade Ahmad-ben-Ali
Lionel Messi, le marcheur blanc

Alors qu'il vivait le millième match de sa carrière, samedi soir, au Qatar, Lionel Messi, qui a été l'homme qui a le plus marché du premier tour, a su débloquer un scénario cadenassé en jouant les durs, puis en distribuant son génie face à une Australie (2-1) qui a regardé l'Argentine dans les yeux. L'histoire retiendra qu'il a profité de ce huitième de finale pour inscrire le premier but de sa vie en match à élimination directe de Coupe du monde.

Il a pointé une première fois le bout de son nez, à 21h23 heure locale, déclenchant d’un coup d’un seul les cris et les flashs. Il n’est pourtant d’abord rien venu faire de bien extraordinaire : quelques petites rotations des épaules pour échauffer le haut de son corps, quelques petites passes, quelques petits mouvements de chevilles pour préparer ses jambes à la longue balade qu’il s’apprêtait à faire. Rien de plus. Puis, après un rapide passage dans le vestiaire domicile du stade Ahmad-ben-Ali, il est revenu sur scène avec ses potes, prêt à s’élancer dans le millième match d’une vie professionnelle débutée le 16 octobre 2004 à la 82e minute d’un Espanyol-Barça qui l’avait vu, sur sa première prise de balle, mettre le pauvre David Garcia le cul par terre. Cette fois, il a lancé sa nuit par une petite déviation en direction de Papu Gómez, envoyé sur le gazon à la place d’Ángel Di María, touché au quadriceps et absent forcé de ce premier match joué par l’Argentine dans la deuxième partie de ce Mondial 2022 : un huitième de finale face à l’Australie. Derrière, comme s’il n’avait pas avalé assez de bornes lors d’un premier tour où personne n’a marché plus que lui (un peu plus de quatorze kilomètres), il s’est remis en route, tête baissée, laissant parfois croire qu’il allait se pencher pour cueillir un pissenlit et souffler dessus.

 C’est un privilège de jouer avec lui. On sait que l’on doit être patient, on sait qu’il va finir par trouver un petit espace. Et on sait que l’on a toujours cet as dans la manche.

Sa première demi-heure, passée à rôder, chercher des espaces côté droit ou à décrocher dans sa moitié de terrain pour aider son équipe à avancer derrière la première ligne de pression d’une Australie venue avec son 4-4-2 habituel, n’a pas été la plus simple des 168 premières demi-heures internationales accrochées sur son CV. Un temps, on a même cru naïvement qu’un homme – Keanu Baccus, 24 ans, milieu du Saint Mirren FC dans le civil – avait réussi à lui poser des menottes avant de planquer la clé dans ses chaussettes. Et, à la 35e minute, alors que Lionel Scaloni voyait ses soldats patiner, perdre la bataille des airs et avancer sans le moindre profil capable d’attaquer le dos de la défense australienne, il s’est définitivement éclairé. Secoué le long de la ligne de touche, Lionel Messi s’est embrouillé avec Aziz Behich, assez fortement pour le rendre nerveux et le pousser à commettre, dans la foulée, une faute sur Papu Gómez. Messi s’est alors avancé, a botté le coup franc dans la boîte des Socceroos et a vu Harry Souttar repousser un ballon qui lui est rapidement revenu dans les pieds. Là, le numéro 10 argentin a trouvé Alexis Mac Allister en retrait, qui a trouvé Nicolás Otamendi en relais et il n’a ensuite plus eu qu’à lâcher une frappe rasée vue des centaines de fois. « C’est un privilège de jouer avec lui, racontera Nahuel Molina en zone mixte plus tard. On sait que l’on doit être patient, on sait qu’il va finir par trouver un petit espace. Et on sait que l’on a toujours cet as dans la manche. » Moment d’histoire : samedi soir, Lionel Messi, utilisé en faux 9, a inscrit son premier but lors d’un match à élimination directe de Coupe du monde, une compétition dans laquelle il compte désormais une réalisation de plus que Diego Maradona.

La tournée du chef

Ce huitième de finale, logiquement remporté par une Argentine qui a su monter en puissance et en intensité (2-1), a surtout été une confirmation définitive : lorsque la flamme de Messi vacille, celle de son orchestre chancelle avec. Déboulé au Qatar avec le désir de « profiter de chaque moment » et de tout photographier ( « l’ambiance, l’atmosphère, les moments avec les fans… » ), le capitaine de l’Albiceleste s’est envolé avec son troisième but de la compétition et a ensuite arrosé toute la seconde période, profitant de la décision de Scaloni de basculer une nouvelle fois en 3-5-2 après l’entracte, ce qui a permis à l’Argentine de s’éjecter du faux rythme imposé avec brio par l’Australie lors des 45 premières minutes. S’ils ont tout de même concédé plusieurs situations brûlantes, dont un but sur un coup de pétard de Goodwin dévié par Enzo Fernandez, et vu Lisandro Martinez dégainer un tacle miracle devant Behich avant qu’Emiliano Martinez n’enfile sa cape de héros sous les yeux du gosse Garang Kuol, les Argentins ont surtout assisté à la tournée de leur chef.

Lionel Messi, dont le cerveau est constamment en alerte afin de détecter des zones idéales pour venir cuisiner, a progressivement réussi à retrouver son allant, à rire dans des espaces réduits, à s’envoyer des raids et à sortir sa diagonale favorite en direction de Marcos Acuña. Il a aussi passé la fin de sa soirée à faire l’avion avec son pied gauche pour donner des bouchées à Lautaro Martínez, entré en jeu à la place d’Álvarez, décisif, mais l’attaquant de l’Inter s’est cogné à plusieurs reprises sur Mathew Ryan. Difficile de mieux résumer la soirée d’une Albiceleste qui a attrapé son billet pour les quarts au terme d’une rencontre traversée par le génie, l’extase et la douleur, dont l’Australie peut repartir la tête haute malgré l’issue. On retiendra aussi de cette nuit passée dans un Al Rayyan blindé de fans argentins surexcités que Messi a su jouer les durs pour électrifier le scénario. Cette qualification porte son sceau, mais que tout le monde se rassure, malgré tout : il a encore marché ses plus de quatre kilomètres à droite, à gauche, dans le rond central, le long de la ligne de touche, laissant chacun de ses coéquipiers – notamment De Paul, Mac Allister et Álvarez – se plier à ses virages et les compenser sans un bruit. L’Argentine, cette fois pas totalement imperméable après être montée en puissance sans ballon sur la fin du premier tour, avance, droite dans ses bottes, et Messi avec. Les Pays-Bas attendent. Et pour les pissenlits, on repassera.

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