- Économie
Lionel Messi à l’Inter, combien ça coûte ?
Ces derniers jours, plusieurs médias ont annoncé que l’Inter envisagerait de recruter Lionel Messi lors du mercato d’été. En effet, l’ancien président nerazzurro Massimo Moratti a déclaré que « ce n’était pas du tout interdit d’y penser ». Si le joueur a depuis éteint le feu sur Instagram, la rumeur a marqué le début du feuilleton estival de l’Argentin dont le contrat expire en juin 2021. Mais d’ailleurs, quelles sont les implications économiques du recrutement de Messi ?
« File-lui ses 30 000. » Le recrutement de Messi n’est malheureusement pas aussi simple et précis que cette formule culte, mais reste néanmoins une affaire de gros sous. Avec des revenus certes, mais aussi et d’abord des coûts. L’achat d’un joueur comme Messi implique en effet un investissement de départ conséquent, avec le paiement d’une indemnité de transfert et/ou d’une prime à la signature.
Bien que plusieurs médias comme El País ou The Athletic fassent état d’une clause dans le contrat de la Pulga qui permettrait au joueur de partir gratuitement cet été, les termes exacts ne sont pas clairs et le potentiel acquéreur pourrait bien se voir payer une indemnité au Barça ou au joueur sous forme de prime alors que le contrat de Messi se termine en juin 2021.
Une baisse du prix des joueurs ?
Si le cabinet américain KPMG estimait en avril la valeur marchande de Messi à 175 millions d’euros, une baisse du prix des joueurs est à prévoir dans les prochains mois – le CIES (Centre international d’études du sport) a tablé sur une baisse moyenne de 28%, si les championnats ne reprenaient pas d’ici fin juin. Même si les économistes Luc Arrondel et Jean-François Brocard soulignent la « dualité du marché des transferts », et laissent entendre que le choc pourrait être moins important du côté des joueurs les plus cotés. Quant à la demande, les prix seront vraisemblablement tirés vers le bas par les gros comme les petits clubs qui doivent tous faire face à une pénurie de cash. Avec, notamment, le non-versement de certains droits TV et un manque à gagner en billetterie. Concernant l’offre, celle des « joueurs rares » ne variera pas tellement. Comparé en tout cas au marché dans son ensemble, qui verra probablement affluer de nombreux joueurs au profil similaire – du fait de la volonté des clubs d’abaisser leur masse salariale et de dégager des liquidités – dont les prix baisseront mécaniquement.
Outre le prix d’un transfert, recruter Messi implique aussi des coûts salariaux conséquents. À Barcelone, l’Argentin touche un salaire brut annuel qui approcherait les cent millions d’euros selon les documents dévoilés par Mediapart début 2018. Ce qui représente un peu moins de cinquante millions d’euros net, après impôts. Même s’il peut compter sur des contrats personnels avec Adidas, Gatorade, Huawei, Mastercard ou Pepsi, on imagine mal l’Argentin partir chez un cador européen pour un salaire bien inférieur. La fiscalité étant globalement homogène en Europe, le club voulant enrôler l’Argentin devra vraisemblablement poser une centaine de millions par année de contrat pour pouvoir se payer le salaire de la Pulga.
Une affaire de coûts… mais surtout de revenus
Les montants impliqués pour enrôler celui qui fêtera cette année ses 33 ans sont donc potentiellement colossaux, mais doivent néanmoins être mis en parallèle avec les revenus supplémentaires qui procéderaient de l’arrivée du joueur. Par sa capacité à faire basculer des rencontres, mais aussi par sa notoriété planétaire, Messi serait susceptible de booster chacune des trois principales sources de revenus d’un club : les droits TV, les revenus commerciaux (sponsoring, merchandising) et la billetterie.
En très forte croissance ces dernières années dans chacun des grands championnats européens, les droits TV pourraient encore augmenter dans les années à venir du fait de la forte concentration de diffuseurs et de l’arrivée de nouveaux acteurs (GAFA, DAZN). Dans ce contexte, disposer d’un joueur comme Messi dans son championnat permet à une Ligue de négocier les droits à la hausse et au club le détenant de prétendre à une plus grande part du gâteau. En particulier si la répartition des droits est bien moins égalitaire qu’en France ou en Angleterre comme c’est le cas en Italie, où la Juve a touché dix fois plus que Crotone lors de la saison 2017-2018.
Des revenus commerciaux décuplés
L’arrivée d’une superstar a également des répercussions sur la billetterie : augmentation du nombre d’abonnements, du prix des billets (la Juventus avait annoncé une augmentation de 30% de ses tickets l’été de l’arrivée de Cristiano Ronaldo), davantage de matchs potentiels joués en Ligue des champions… Mais les recettes de match ne représentant que 10 à 15% des revenus des mastodontes européens, c’est surtout sur l’augmentation des revenus commerciaux que tablent les dirigeants des grands clubs lorsqu’ils signent Messi, Ronaldo ou Neymar. Outre l’augmentation substantielle des traditionnelles ventes de maillots et produits dérivés (la Vieille Dame a enregistré une augmentation de 58% de ses revenus de merchandising entre 2018 et 2019, les portant à 44 millions d’euros) et le développement de contenus moins classiques (séries, plateformes de streaming…), l’arrivée d’une star permet aussi au club de faciliter la signature de gros contrats publicitaires dans les marchés émergents, de renégocier ses partenariats ou de faire monter les enchères. Hasard ou coïncidence, le contrat de l’Inter avec Pirelli qui rapporte entre dix et quinze millions par an – à titre de comparaison, le Real touche 70 millions d’euros chaque année de Fly Emirates – s’achève l’an prochain…
En théorie donc, l’augmentation des revenus suivant la signature d’une icône mondiale permet d’amortir le transfert sur une période inférieure à la durée du contrat. KPMG estimait ainsi en 2018 que le transfert de Ronaldo à la Juve serait amorti en deux à trois saisons après la signature du Portugais pour quatre ans, mais l’épidémie de COVID-19 pourrait bouleverser les calculs et les prévisions ainsi que les revenus futurs des clubs. Jean-François Brocard estime qu’on ne peut pas encore estimer l’impact sur les revenus que le confinement généralisé aura sur les championnats européens : « Il y a encore trop d’inconnues, nous ne savons pas quand les championnats reprendront ni comment seront touchés les actionnaires ou les sponsors des clubs. » Luc Arrondel le rejoint également, mais anticipe sur une augmentation des prêts avec option d’achat « qui permettent aux clubs de différer leurs paiements et donc de remédier à l’absence de cash » ainsi que sur l’avantage certain pour les clubs qui ont su constituer des réserves. Pour résumer, c’est donc une grande incertitude qui s’ajoute à l’irrationalité inhérente au marché des transferts. Ce qui rend d’autant plus compliqué l’estimation du coût réel de Messi, mais qui donne toujours envie de croire (naïvement) à un retour à Rosario. Bien plus sexy qu’un compte de résultat, aussi beau soit-il.
Par Victor Launay