Bon anniversaire, Lionel. Alors ça vous fait quoi de souffler ces 49 bougies ?
Ça ne me fait pas grand-chose, sauf que pour répondre au téléphone, je dois désormais prendre mes lunettes pour voir qui appelle, chose qui n’arrivait pas avant (rires).
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
J’ai passé mes diplômes d’entraîneur il y a une douzaine d’années maintenant. À la suite de ça, j’ai décidé de commencer cette nouvelle carrière en repartant dans le monde amateur, un monde d’où je viens et qui m’a permis de faire la carrière qui a été la mienne. C’est comme ça que je me suis retrouvé à entraîner Poitiers et le FC Sens. Poitiers qui est ma ville natale et le FC Sens qui se trouve en Bourgogne, ma région d’adoption.
C’était vraiment important pour vous de repartir d’en bas ?
Oui, car si je suis devenu professionnel, c’est grâce au monde amateur. Puis ça permettait d’entraîner des clubs qui me tenaient à cœur tout en faisant mes classes, même si, bien entendu, le monde amateur est très différent du monde professionnel. Ça m’a beaucoup aidé à l’époque dans ma progression et ça m’aide d’ailleurs encore aujourd’hui.
Ça ne vous a pas fait bizarre de retrouver l’amateurisme après quinze ans de professionnalisme ?
Si, évidemment, même si ça s’est toujours très bien passé avec tout le monde et surtout avec les joueurs. Cela m’a surtout permis de réaliser à quel point j’avais eu de la chance dans ma carrière. En fréquentant le niveau amateur, on se rend compte qu’il faut tout un tas de concours de circonstances pour arriver à faire une carrière. Pour devenir pro, il faut beaucoup de chance et de talent. Et du talent, je n’en avais pas énormément, mais de la chance, si, et c’est ce qui m’a permis de tomber sur les bonnes personnes qui m’ont aidé à me forger un mental d’acier pour devenir professionnel.
Comment passe-t-on d’entraîneur du FC Sens à sélectionneur de Tahiti ?
J’ai rencontré Sepp Blatter en 2006, durant le Mondial allemand, et il m’a demandé si j’étais intéressé par le fait d’essayer de qualifier une petite nation pour un tournoi majeur. J’étais plutôt intéressé, donc il m’a présenté Reynald Temarii qui était vice-président de la FIFA à l’époque, avant qu’il ne soit pris dans l’engrenage des dernières affaires qui ont émaillé l’instance, et également le président de la Fédération tahitienne. Là-dessus, je me suis engagé avec lui pour mettre en place toute une politique technique d’élite à Tahiti, c’était l’intitulé de mon contrat. J’ai essayé de rester fidèle à la culture polynésienne tout en apportant de nouveaux outils pour progresser, car il fallait éviter de reproduire ce qui avait été fait jusqu’alors et qui n’avait pas donné de résultat. J’ai eu la chance d’avoir un staff formidable à mes côtés et on a su faire du bon travail en amenant la sélection qui était 198e sur 202 au 128e rang du classement FIFA. On a également réussi à qualifier l’équipe pour la Coupe du monde des U20 et la Coupe des confédérations 2013 au Brésil, tout en étant sacré champion des nations océaniennes. C’est une fierté, car ça prouve qu’on ne s’était pas trop trompés dans notre politique en mélangeant des jeunes avec quelques cadres. J’espère que la sélection va continuer de progresser.
À la fin de cette mission, vous filez donc en Indonésie ?
J’ai signé au Aceh United, où ça s’est plutôt très bien passé, on a fait une belle saison et j’ai eu la chance d’être nommé meilleur entraîneur d’Indonésie, les gens en sourient peut-être, mais il n’empêche qu’à cette époque-là (2011, ndlr) le pays comptait quelques bons entraîneurs et pour moi, ça reste une fierté. Bien sûr, je ne suis pas Mourinho (rires), mais il n’empêche que ça m’a fait énormément plaisir. Il faut savoir que l’Indonésie est un grand pays de football qui, malheureusement, a été banni par la FIFA pour des problèmes politiques.
Pour mon premier entraînement avec le Sanga Balenda, il y avait 25 000 personnes, un truc de fou, je n’avais jamais vu ça de ma vie.
Après ça, direction la Belgique pour sauver le FC Bleid.
Oui, on est arrivé dans ce club de National belge qui était dans une situation compliquée où les joueurs n’étaient plus payés depuis longtemps. On a réussi à maintenir le club et à le pérenniser puisque, depuis, la situation s’est améliorée. Avec mon adjoint, on savait à la base qu’on allait faire ça sans être payés, mais le facteur humain nous intéressait énormément sur cette aventure. Disons qu’on a joué les Abbé Pierre (rires). De toute façon, je pense qu’en football, si on veut réaliser de belles choses, il ne faut pas penser uniquement à l’argent, le foot est avant tout une aventure humaine.
Après un nouveau passage en Indonésie, vous revenez finalement en France, à l’été 2014, pour prendre les rênes du FC Istres. Comment ça s’est fait ?
C’est M. Cremadès qui est venu me chercher. Malheureusement, cette aventure a été un échec, puisque je n’ai pu entraîner que jusqu’au mois de novembre. M. Cremadès voulait qu’on crée des académies ensemble, et au mois de novembre, alors qu’on connaissait une série de huit matchs sans défaite, il m’a demandé de me focaliser sur les académies… Je n’ai pas aimé cette période, ça a été compliqué, je ne pouvais pas faire ce que je voulais. J’ai besoin d’avoir les mains libres pour travailler, c’est très important.
Et vous aviez les mains libres, au Congo ?
Ce n’est pas vraiment pareil, j’y suis allé pour aider le président du club du Sanga Balende qui m’avait demandé un coup de main, car il n’avait pas encore d’entraîneur. J’y suis allé pour une mission de quelques matchs, seulement. Mais c’était une belle aventure, on a réussi à remporter nos cinq matchs. Ce club, personne ne le connaît en Europe, mais ça n’en reste pas moins un grand club là-bas, ils ont d’ailleurs joué la Ligue des champions l’année dernière. Pour mon premier entraînement, il y avait 25 000 personnes, un truc de fou, je n’avais jamais vu ça de ma vie.
Vous êtes rentrés il y a maintenant trois semaines. En attendant une prochaine expérience, quel regard portez-vous sur ces douze années en tant qu’entraîneur ?
Énormément de satisfaction ! J’ai eu quelques victoires, à mon petit niveau, certes, mais par exemple, le fait d’être le premier à avoir qualifié Tahiti à une Coupe du monde U20 reste pour moi une vraie satisfaction. Avec Poitiers, on est monté invaincu en CFA. J’ai sauvé un club en Belgique. Bref, j’ai vécu de beaux moments jusqu’à présent.
Votre rêve ne serait-il pas de prendre Auxerre, votre club de cœur ?
Évidemment, j’aimerais beaucoup venir à Auxerre. J’habite dans le coin et je croise souvent des gens qui me disent qu’ils aimeraient bien me voir prendre les rênes du club. Mais j’ai bien conscience qu’il y a des gens en place et un bon entraîneur qui fait très bien son travail. Si, un jour, les dirigeants souhaitent me proposer quelque chose, ils connaissent très bien mon adresse, mais une chose est sûre, ce n’est pas moi qui irais me proposer, par respect pour les personnes en place. Mais bien sûr, avec tout ce que représente ce club pour moi, ce serait magnifique de pouvoir l’entraîner un jour.
Vous regardez toujours autant de football ?
Pas vraiment. Disons que je me concentre sur le football qui m’intéresse à un moment précis. Quand j’étais en Belgique, par exemple, je regardais le football belge. Dernièrement, au Congo, je commençais à regarder le football local. J’ai besoin d’essayer de comprendre le football dans lequel j’évolue. Je me focalise là où je suis, je ne peux pas regarder plusieurs championnats en même temps et les décortiquer.
Buffon, c’est le Dino Zoff des temps modernes
Mais parce que vous ne pouvez pas regarder des matchs en simple spectateur ?
Non, je n’y arrive plus. Mon regard sur ce sport a changé, et regarder un match sans l’étudier est presque devenu impossible. Je suis obligé de regarder la tactique, les joueurs… Je n’arrive plus à me laisser aller devant un match, mon cerveau est contaminé par mon rôle d’entraîneur.
Et vous regardez plus particulièrement le poste de gardien ?
En tant qu’entraîneur, non, car il faut avoir une vision globale d’une équipe. Je regarde l’articulation des lignes dans un système précis, mais pas un poste en particulier.
Parlons gardien quand même, un peu. Quel est celui qui vous impressionne le plus aujourd’hui ?
Celui que je trouve extraordinaire, c’est Gigi Buffon. Après, c’est un bon copain, donc je ne suis peut-être pas objectif. Mais il fait une carrière absolument incroyable, c’est le Dino Zoff des temps modernes.
Et chez nos Français ?
Areola. Je pense que ça va être le futur grand. Selon moi, c’est un très bon. Je ne suis pas sélectionneur, je ne sais pas ce que Dédé pense, mais s’il commence à jouer, il peut aller sur les traces de Fabien Barthez, je pense.
Areola qui s’est retrouvé là car, apparemment, Ruffier aurait refusé de continuer à occuper le rôle de numéro 3. Qu’en pensez-vous ?
Je respecte toutes les décisions. Après, je trouve que cela peut renvoyer une mauvaise image aux jeunes, ce côté « je ne viens que si je joue » . Je ne sais pas quelle a été la discussion avec Dédé, mais peut-être qu’il s’est dit qu’étant donné qu’il n’était que troisième gardien, autant se concentrer à fond sur son club et ne pas se disperser avec l’équipe de France. On peut le prendre comme ça aussi. Il faut faire attention à ce que relaient les médias et on ne sait pas exactement ce qu’il a dit…
Vous, vous n’auriez jamais refusé ce rôle-là ?
Pour moi, ça a toujours été un honneur d’être appelé en équipe de France, peu importe que ce soit deuxième ou troisième. Aujourd’hui, je dis toujours à mes joueurs que de toute façon, c’est un groupe qui gagne. Les titulaires ont la chance de jouer, certes, mais on gagne tous ensemble. Savoir être remplaçant tout en travaillant à fond, sans faire la gueule, c’est super important. Surtout que c’est ça qui permet aux titulaires de hausser leur niveau également. Dans un groupe, tout le monde a son importance. C’est d’ailleurs avec cet état d’esprit-là qu’on a réussi à être champions du monde.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour cette cinquantième année qui débute ?
Je ne sais pas, la Juventus…(rires)
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