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L’intuable Uwe Rösler
Dans l’équipe de Wigan, victime expiatoire annoncée d’Arsenal en demi-finale de Cup cet après-midi, difficile de dégager une tête d’affiche. Pourtant elle est bien ronde et appartient à Uwe Rösler, son coach allemand et ancienne idole de Manchester City.
Le 5 mars 1994, City, celui d’avant les Émiratis, se déplace à Londres pour affronter QPR. Est aligné pour la première fois Uwe Rösler, un ancien international est-allemand inconnu au bataillon, prêté pour trois mois par le Dynamo Dresden. Un attaquant, grand, costaud, avec un mulet qui devient, 90 minutes plus tard, la nouvelle coqueluche des fans. Ces derniers chantent en chœur « Uwe, Uwe Rösler » sur l’air de Go West des Pet Shop Boys. Parce que non content de délivrer une passe décisive du talon pour l’égalisation, Uwe joue avec ses tripes. Il était « le héros qu’ils attendaient » , comme l’a dit Francis Lee, le président d’alors, à la BBC. Un Lee responsable de sa signature, dans des circonstances rocambolesques. Après une solide carrière dans des clubs de l’Est, Rösler rejoint Nuremberg après la réunification, mais ne parvient pas à s’adapter à son nouvel environnement. Alors il retourne à Dresde, son ancien club, avant de rejoindre l’Angleterre et Middlesbrough pour un essai de deux semaines. Boro ne le conserve pas, alors il repart chez lui. Où viennent le chercher les dirigeants de City. Pour le tester, ils l’alignent avec la réserve dans un match contre Burnley le mercredi. À la mi-temps, Brian Horton, l’entraîneur, demande à Lee ce qu’il pense de leur nouveau poulain. La réponse est sans équivoque : « Il fait la passe à des joueurs avec un maillot bleu et il a marqué un but : il est meilleur que ce que nous avons. » Le samedi, Rösler est titulaire avec la première contre QPR. Le début d’une belle histoire d’amour.
La naissance d’une légende
Quelques jours plus tard, Paul Walsh, un honnête buteur anglais sur la fin, débarque lui aussi à City. C’est le coup de foudre : Rösler marque cinq fois lors des douze derniers matchs, et son entente avec Walsh, sur la même longueur niveau don de soi, est totale. C’est assez pour convaincre le board de garder l’Allemand. Une bonne idée. Lors de la saison 1994-1995, bien que touché par les blessures, il claque 22 buts en championnat et en coupe, ce qui fait de lui le meilleur buteur du club. Il inscrit notamment un quadruplé en Cup contre Notts County, ce qui n’était jamais arrivé à un Citizen depuis 1953. En toute logique, la récompense de Meilleur joueur de l’année de City lui est décernée. Mais pas seulement pour ses buts, aussi pour son état d’esprit. Pas le joueur le plus élégant balle au pied, Rösler compense par un engagement de tous les instants. C’est bien simple, il court partout, harcèle les défenseurs, se bat dans les airs. Une mentalité très RDA qui enchante les supporters working class de City, qui n’aiment rien de plus qu’un homme qui donne tout pour le maillot. À tel point, qu’ils se mettent à chanter « Le grand-père d’Uwe a bombardé Stretford End » , du nom d’une tribune d’Old Trafford, en référence à un raid de la Luftwaffe lors de la Seconde Guerre mondiale. Un fait historique évidemment faux. Mais qui trouve presque une raison d’être lorsque celui qu’on appelle désormais « Der Bomber » mystifie Peter Schmeichel d’un magnifique lob contre les rivaux honnis d’United.
Plus fort que la mort
Ce sera l’apogée de la carrière de Rösler. City perd finalement ce derby 2-1 et descend à la fin de la saison. Puis encore une fois deux ans plus tard. L’Allemand retourne dans son pays, à Kaiserslautern. Puis voyage de club en club, jusqu’à se retrouver en Norvège, à Lillestrøm. Six mois après son arrivée, on lui découvre une tumeur dans la poitrine. Un long combat contre le cancer commence. Mais les fans de City ne l’ont pas oublié. Dans son autobiographie Knocking Down Walls, il se souvient : « J’étais dans mon lit d’hôpital, en train de me remettre de ma dernière dose de chimiothérapie, avec à peine la force de bouger mes bras. Le téléphone n’arrêtait pas de sonner, je l’ai pris et j’ai vu le nom d’un vieil ami de Manchester. « Allo… ? » Il y avait beaucoup de bruits de fond et j’ai eu l’impression qu’il pouvait à peine m’entendre. « Uwe, est-ce que tu l’entends ? » a-t-il crié. « Entendre quoi ? Je t’entends mal. » « Écoute. » Il a tendu son téléphone et j’ai compris. Mon ami m’appelait du City of Manchester Stadium où City jouait à domicile. Les fans chantaient mon nom et je pouvais l’entendre résonner dans l’enceinte. Ils ne m’avaient pas abandonné. C’était exactement ce dont j’avais besoin. J’ai raccroché et souri pour la première fois depuis longtemps. J’avais 46 000 Mancuniens derrière moi. Comment pouvais-je échouer ? » Rösler se remet, et passe ses diplômes d’entraîneur pendant sa convalescence. Il prend en main Lillestrøm en 2005, puis Viking, Molde, Brentford, et enfin Wigan en décembre dernier. Avec qui il élimine son club de cœur en quart de la Cup le mois dernier. Arsenal est prévenu, il n’y aura pas de sentiments.
Par Charles Alf Lafon