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L’inexorable déclin du football brésilien
Le Brésil a atteint les demi-finales avant de couler. Sans Neymar, la Seleção a démontré qu'elle avait encore perdu en qualité par rapport aux dernières années. Jusqu'où ira la chute ? Que faut-il faire pour ressusciter le football brésilien ? Quelle piste suivre ? Une chose est sûre, la route sera longue. Très longue...
Des buts, des larmes, des buts et encore des larmes. La fin de la Coupe du monde a viré au cauchemar pour le Brésil, qui a encaissé dix buts sur ses deux derniers matchs devant un peuple dépité, passé de l’espérance d’un titre casanier au profond désespoir de l’humiliation. Un peuple qui, une fois passé le traumatisme, a essayé de chercher un responsable. Un comportement typiquement brésilien diront certains, humain diront d’autres. Le fait est que Fred, Scolari, Thiago Silva, la CBF et la blessure de Neymar sont autant de mots (ou maux) qui reviennent dans la bouche des locaux pour expliquer le déclin de leur équipe nationale. Tous ont leur part de responsabilité, certains plus que d’autres, et il faudra que chacun des acteurs du football brésilien assume ses erreurs pour que la Seleção retrouve son lustre d’antan. En prenant sa retraite internationale, Fred, qui était sans doute le moins fautif du lot, l’a déjà fait. Un peu par amertume envers un public qui n’a pas été tendre avec lui, certes, mais quand même. Scolari a également eu la décence de remettre sa démission auprès de la CBF. D’autres cadres de cette équipe du Brésil maudite devront suivre cette voie pour que la révolution ait réellement lieu. À commencer par les pontes du football national.
Le Brésil sur les traces de l’Europe
José Maria Marin, le président de la CBF, a d’ores et déjà admis vouloir engager un technicien étranger. José Mourinho a déjà dit non au Brésil et semblait de toute façon hors d’atteinte à cause de son salaire. Pareil pour Pep Guardiola, grand fantasme du Brésil. Une tentative de réforme, que ce virage vers l’Est de l’Atlantique? Pas vraiment. Pas du tout, même. Cela fait depuis 1986 que la confédération brésilienne de football essaye de calquer son modèle sur celui de l’Europe, persuadée que la volonté de bien jouer, de « jogar bonito » , est incompatible avec la victoire, et qu’il fallait plutôt s’inspirer du modèle européen. À l’époque, cette théorie faisait sens puisque la génération Zico, Sócrates & co avait failli dans la conquête du Graal. La lose magnifique n’est pas prophète au pays du football, celui-là même qui s’endigue à présent dans une « européanisation » a priori sans issue. L’enseignement tactique prend petit à petit le pas sur l’expression technique du joueur – bien que l’absence de terrains dans les grandes villes favorise la pratique du futsal chez les plus petits – et l’on envoie de plus en plus d’entraîneurs dans le Vieux Monde afin de mieux apprendre, comme si tout était mauvais au Brésil. Ainsi, des clubs comme le FC Porto, Lyon ou le PSV – entre autres – apportent dans le cadre de partenariats leurs connaissances en échange de joueurs prometteurs. Oui, les Brésiliens ont à apprendre de l’Europe. Notamment l’efficacité et la modernité de ses institutions. Aujourd’hui, n’importe quel footballeur peut raccrocher les crampons et commencer une formation d’entraîneur au pays de la Bossa Nova sans avoir reçu un enseignement acceptable. D’où l’absence de très grands coachs brésiliens depuis plusieurs années. À part Tite et Muricy Ramalho, qui a vraiment l’étoffe d’un grand chez les Auriverdes ? Les clubs brésiliens doivent devenir de vraies institutions avec des infrastructures dignes de ce nom tout en continuant de transmettre un football créatif et joyeux. Car c’est ce qu’est le Brésil.
Une acculturation inévitable ?
Un problème majeur demeure. Quand bien même la CBF redonnerait-elle une place importante à l’enseignement technique dans ses catégories de base, la Seleção pourrait-elle redevenir ce qu’elle était il y a 30 ans ? Le monde a bien changé depuis 1982, la mondialisation s’est accélérée et les modèles ne sont plus les mêmes. Quand dans les années 80, un môme voulait ressembler à Pelé, Garrincha ou Tostão, quand au début des années 90, il voulait ressembler à Zico ou Falcao, en 2014, il s’identifie à des icônes du football européen et tout ce qui les entoure, à commencer par les compétitions qu’elles disputent. L’objectif d’une jeune pousse est désormais d’exploser le plus rapidement possible dans son pays afin d’avoir l’opportunité de traverser l’Atlantique le plus rapidement possible. D’où la multiplication de joueurs comme Diego Costa ou David Luiz, à savoir des joueurs qui ont terminé leur apprentissage du football en Europe sans avoir vraiment connu le Brasileirão auparavant et qui ont donc très rapidement oublié « leur » jeu. Luis Alvaro de Oliveira Ribeiro, l’homme qui a retenu Neymar jusqu’à l’été 2013, a beau avoir essayé de lancer un courant révolutionnaire pour la rendre attirante, la Serie A ne fait plus rêver personne. L’apparition récente – et déjà révolue – dans le championnat brésilien de stars comme Seedorf, Forlán et Deco n’a pas eu l’effet escompté. Et même si cela avait été le cas, cela ne suffirait sans doute pas. Car plus qu’un championnat, c’est la Ligue des champions qui fait le plus défaut au Brésil. Une compétition qui n’a aucun égal et surtout pas la Libertadores, la faute aux petits championnats continentaux. L’Eldorado du « garoto » se trouve donc en Europe. Et quand il finit par y aller, il lui est demandé de laisser de côté sa samba et ses grigris de favela à deux reais pour faire des millions de passes et de la mise en place tactique pendant de longues heures. Le jeu de Neymar, qui a radicalement changé en une saison, en est la preuve. Pour retrouver la voie du beau jeu, la Seleção sera peut-être hélas contrainte de se soumettre à l’Europe et ses préceptes. Une nouvelle forme de colonisation.
Par William Pereira