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L’indispensable Monsieur Delaney
Né en plein cœur de Copenhague d’un père américain et d’une mère danoise, Thomas Delaney, un gars sans histoire très apprécié en Scandinavie, s'apprête à disputer son deuxième Mondial. Portrait d'un mec qui porte à la fois la casquette de plus danois et celle de moins danois des Danois.
Ne cherchez pas un Danois plus international que Thomas Delaney. Issu d’un papa américain, dont il a hérité du nom, Thomas Delaney, pilier de la sélection scandinave, est né à Frederiksberg, une municipalité enclavée au cœur de Copenhague. Ainsi, le milieu relayeur a fait ses classes à quelques encablures de là, au Parken, là où réside le FC Copenhague. Là même où le binational est devenu l’icône du FCK et même du pays. « Il est super bien perçu au Danemark, relève Frederik Gernigon, journaliste du quotidien danois B.T. C’est un joueur très sympathique avec ses coéquipiers et les journalistes, très ouvert. Ce n’est pas un mec qui se la pète ou qui se distance beaucoup du public. Il est souvent très abordable. C’est un gars simple, qui ne va pas faire de vagues dans le groupe s’il ne joue pas. »
Du reste, Thomas Delaney ne joue plus avec Séville, le club qui est le sien depuis un an et demi, désormais dirigé par le fantasque Argentin Jorge Sampaoli. Une seule titularisation depuis le mois d’octobre : c’est le maigre bilan statistique du relayeur danois depuis la prise de fonctions de l’ancien technicien de l’OM. Il se murmure de fait qu’à 31 ans, l’enfant de Frederiksberg est sur le point de faire son retour sur les bords de la Baltique. « Il vient du FC Copenhague, il incarne beaucoup cette équipe, il en a été le capitaine. Il y a des rumeurs qui disent qu’il va revenir, et lui le dit aussi. Il est dans une phase où il essaie de profiter de son dernier gros contrat à l’étranger », détaille Gernigon.
Un coéquipier modèle
Le Belge Ariël Jacobs, qui fut son entraîneur dans la capitale danoise (2012-2013), le temps d’ajouter une SuperLiga à son palmarès, n’a rien de négatif à dire sur l’attitude de son ancien joueur, dont il n’a jamais cessé de suivre l’évolution depuis que leurs chemins se sont séparés, il y a presque dix ans. « Quand je suis arrivé au FC Copenhague, Thomas était blessé à un genou, il a rejoué trois mois après la blessure. C’était presque une recrue, et dans son comportement, il y avait beaucoup d’envie. Il savait qu’il lui faudrait se battre pour retrouver sa place, qu’il ne partait pas comme un titulaire, mais ce n’est pas le genre de joueur à vous pourrir un vestiaire avec ses états d’âme. »
L’ancien coach d’Anderlecht l’avait exilé sur le côté gauche de son milieu, puisque l’axe était déjà squatté par le duo Claudemir-Kristensen. Delaney, en bon professionnel pas adepte du clash, s’était rapidement adapté. « C’est typiquement le genre de joueur avec qui on prend plaisir à travailler tous les jours. Il est sympathique, très bien élevé, et sa mentalité est irréprochable. » Accessoirement, le milieu de terrain de la Danish Dynamite est aussi bon coéquipier, un leader sans être un aboyeur et toujours à l’aise dans son nouvel environnement, comme au Werder Brême (2017-2018), lors de sa première expérience à l’étranger. « Je l’ai rapidement vu lire des livres en allemand, pour apprendre la langue. Thomas est un mec intelligent, pas forcément celui qui va passer ses journées à déconner, mais qui sait se fondre dans l’ambiance », intervient l’ancien défenseur sénégalais Lamine Sané.
La polyvalence avant tout
Mais si Thomas Delaney semble être quasi unanimement apprécié, ce n’est pas seulement parce qu’il est du genre à tenir la porte aux grands-mères à la boulangerie et à payer ses charges de copropriété un jour après avoir reçu la douloureuse. Non, celui qui pèse 70 sélections avec le Danemark et s’est imposé au FC Copenhague, au Werder Brême, puis au Borussia Dortmund pendant trois ans (2018-2021) est aussi un très bon footballeur, de ceux dont on mesure toute l’importance quand il est là, mais aussi quand il est absent. Ce bon vieux Sampaoli, dont l’équipe se traîne à une indigne 18e place en Liga, pourrait peut-être regarder quelques vidéos de son Danois en sélection ou au Borussia, même si sa saison 2019-2020, saccagée par de multiples blessures (cheville, genou, ischios) l’avait vu manquer 26 matchs. « Ce qui est appréciable chez lui, c’est son abattage. Il a beaucoup d’énergie, parfois trop, car il fallait le canaliser. Techniquement, je le trouve adroit, beaucoup plus que ce que certains veulent bien en dire. Et il a une vraie polyvalence. Moi, je l’ai utilisé milieu gauche, mais aussi arrière gauche, et il faisait le job, plutôt bien d’ailleurs », reprend Jacobs, qui estime que Delaney a su faire les bons choix de carrière. « Après le Danemark, il aurait pu aller en Angleterre, car il parle couramment anglais, mais il a tenu à aller en Allemagne, dans un championnat moins médiatisé, mais d’un excellent niveau, où beaucoup de joueurs scandinaves ont su s’imposer. » Un avis partagé par Sané, désormais éducateur à Lormont, près de Bordeaux. « Globalement, il s’est imposé partout, même si c’est un peu plus difficile cette saison. C’est vraiment le type de joueur très utile dans un collectif, qui travaille beaucoup, et que j’ai même vu marquer trois buts de la tête lors d’une victoire du Werder à Fribourg (5-2, le 1er avril 2017) », une performance que Delaney rééditera en septembre de la même année, lors d’un victoire du Danemark face à l’Arménie (4-1) en qualifications pour la Coupe du monde 2018. « Personnellement, je trouve que c’est un joueur qui n’est pas reconnu à sa juste valeur, mais il serait temps, car il est quand même très régulier. »
Højbjerg-Delaney, paire complémentaire
Avant de repasser par la Scandinavie, Thomas Delaney doit donc faire escale au Qatar, où son Danemark essaiera de consolider son image de nation grimpante entrevue depuis l’Euro. En sélection justement, son profil contraste avec celui du joueur de Tottenham Pierre-Emile Højbjerg, son associé au milieu de terrain, plus dur sur l’homme, plus expansif. « Højbjerg, c’est quand même un nom qui sonne plus international que Delaney. Il a aussi une tout autre aura : il est plus expressif sur le terrain, il gueule plus, il prend plus de responsabilités, il touche plus de ballons. Mais c’est une paire qui est assez complémentaire », analyse Frederik Gernigon.
L’un, Højbjerg, brille davantage dans l’utilisation du ballon, quand l’autre, Delaney, se coltine le sale boulot sans la gonfle. « C’est quelqu’un qui se distingue par sa faculté à travailler énormément sans ballon. Il n’est pas mauvais avec, mais ce n’est pas un joueur qui est exceptionnel techniquement non plus. Il apporte une dimension différente avec son pied gauche, mais c’est Højbjerg qui va davantage casser les lignes et jouer vers l’avant. C’est d’ailleurs lui qui fait la passe dé’ pour Cornelius contre la France au mois de juin. Delaney n’en fera quasiment jamais. » Et les analystes de Didier Deschamps se souviennent aussi que c’est lui qui avait offert à Andreas Skov Olsen le second but danois face à ses Bleus le 25 septembre dernier à Copenhague en Ligue des nations (2-0). Ce petit filou de Delaney ne choisirait-il pas ses victimes, à tout hasard ?
Par Clément Barbier et Alexis Billebault
Tous propos recueillis par CB et AB